Un exemple de l’humour judéo-alsacien particulièrement corrosif !
« A Rauges wie a Haus »
Une immense colère
(aussi grande qu’une maison)
Poème anonyme écrit vers 1950, traduit par Alain KAHN |
A Raugeswie a Haus haw isch | J’ai une colère immense |
Wenn isch unseri Yedde aan lüg un horisch | Quand j’observe et écoute nos juifs |
Die Elsaesser, sgibt ka Leit sau fein | Les Alsaciens, il n’y a pas de gens plus fins |
Sie glawe’s, denn m’r schmüsst s’ne ein : | Ils le croient car on les en persuade : |
Denke doch in waat un braat | Pensez donc, de toute part |
Isch’s d’scheinschte Kelle, word g’saat. | On dit que c’est la plus belle communauté. |
Stolz sinn se ewer Oofes Afeseïne | Ils sont fiers de leurs ancêtres |
A novleri Abstammung hot mer nie g’seïne | On n’a jamais vu une aussi noble descendance |
Was se’n awer schun lang vergesse henn | Mais ce qu’ils ont depuis longtemps oublié |
Isch dass se frieher a grausser Dalles k’ett henn | C’est qu’avant ils vivaient dans une grande pauvreté |
Ausser de Gescht, das müss mer zügenn | A part le voyou, ça nous devons le reconnaître |
Sin se alli bekoofedi, feïni Leït gewenn. | Ils étaient tous des gens respectables, fins. |
Un deffemir’s glawe, s’isch EmessWoor | Et vous pouvez me croire, c’est la pure vérité |
Es geït ne maneschume heï tnoch noor ! | Sur mon âme, ça les poursuit encore aujourd’hui ! |
Mit’em Mees, isch kumme d’r Grattel | Avec l’argent, l’orgueil est venu |
Wie meï, wies chenner, wenn m’r setzt uf’em Sattel | Toujours plus, toujours mieux, quand on a une situation (quand on est assis sur la selle) |
Awer beï denne wü henn Lau Loone, | Mais chez ceux qui n’ont rien du tout |
Noch stärjer d’r Grattel, noch heïcher die Toone. | Encore plus fort l’orgueil, encore plus haut le verbe. |
Ich hee reïch jetzt schun brumme : | Je vous entends déjà grommeler : |
Was for a « Hutzpe », uns sau zü verkrumme | Quel toupet de nous caricaturer ainsi |
Ooser, liewi Leït, deffe mir Glaawe schenke | Certainement pas, chers amis, vous pouvez m’adresser vos reproches |
Ihr sin noch viel krümer wie ihr eïch denke. | Vous êtes beaucoup plus tordus que vous ne le pensez. |
Aaner fun eïch stell’sich jestzt for | L’un d’entre vous se présente maintenant |
Seïn Yung kummt haam un sagt’em ins Ooor : | Son fils vient à la maison et lui dit à l’oreille : |
« Babbe, ich will der’s fermassere Ich denk jetzt ball an meïne Hassene" | « Papa, je veux te le révéler. Je pense maintenant bientôt à mon mariage." |
Wie a rechter Yehüde bekume’ner s’Krimme | Comme un vrai juif vous ça vous donne des crampes |
Wie e grower Elsaesser brille’ner eraus : | Comme un Alsacien grossier vous hurlez : |
« Bring mer numme kaani fun driwe Un aach ka Bolläcken ins Haus ». | « Ne m’en amène surtout pas une de là-bas (de l’autre côté du Rhin) Et pas non plus une Polonaise à la maison ». |
Awer s’Yohr druf kummt er zü schleiche | Mais l’année suivante il vient se faufiler |
Mit’ere Schekse ; nim auszeweïche | Avec une non-juive ; ce n’est plus à exclure |
In dem Schlemassel isch eïch aans noch Reifer | Un tel malheur peut encore vous attendre (ce sera encore votre « bénéfice ») |
Sie isch fun sauferi Leit, un nit vun Zigeiner. | Elle vient de gens honnêtes, et non pas de bohémiens. |
Frumm sin’er aach wie sich’s kehrt | Vous êtes aussi pieux comme il faut |
In d’Schülle gein’er wenn’s nit stehrt. | Vous allez à la synagogue lorsque cela ne vous dérange pas. |
Am Yum Kipper un Kach Freitig | A Yom Kippour et Vendredi Saint |
Reschoone, Beisach esch eich ach noch wichtig. | Rosh Hashanah, Pessah, c’est encore important pour vous. |
Un wenn Weinacht’ am Erev Schawes fellt | Et quand Noël tombe la veille de Shabath |
Das basst’eich güt, dau word niks verfehlt. | Cela vous convient bien, là vous ne loupez rien. |
De Haam isch’d Esse ungfaär kauscher | A la maison les repas sont à peu près cachères |
Non, ihr henn’s yau gelernt nit besser. | Non, vous ne l’avez donc pas mieux appris. |
Drusse essen’er noch’em Flaasch | Dehors vous mangez après la viande |
Käs un Kichlich, un aach Glace | Du fromage et des petits gâteaux, et aussi de la glace |
Wenn ihr aach kan ‘Hasser fresse. | Même si quand même vous ne dévorez pas du porc. |
Eïeri Kinder gschmeck’s, sie henn’s vergesse. | Vos enfants aiment ça, ils ont (tout) oublié. |
Wenn ihr redde vun der richtig Yiddischkaat | Quand vous parlez de la vraie judéité |
Reïssen’er s’Maul üf, grauss und braat | Vous vous arrachez le gosier, grandement et largement |
« Beï uns geits noch bemuhne zü » (…) | « Chez nous ça se passe encore bien tranquillement » |
Wie noch immer wenn’s eich wort zü Waul | Comme toujours quand pour vous cela va trop bien |
Vor ze lewe wie a Yedd, sinn’er viel zu Faul. | Vous êtes bien trop paresseux pour vivre comme un juif. |
Was ganz schein un nooch esch vor eïch | Ce qui est tout bon et encore pour vous |
Isch driwe im Badische, im alte Reich. | C’est de l’autre côté dans le vieil empire badois. |
Wenn mer wil henn a faïner Eindruck | Si on veut avoir une belle impression (vision) |
Braucht mer numme zü stein an d’Kehlerbruck | On a juste besoin de se tenir au pont de Kehl |
Am Schwes un Suntig Nochmettag | Le Shabath et le dimanche après-midi |
Dau fahren’er schein rühig uf Bade-Bad. | Là vous roulez bien tranquillement vers Baden-Baden. |
« Sau schein saufer isch’s dortriwe A Service viel feiner wie dau hiwe » | « C’est si joliment propre là-bas de l’autre côté Un service bien plus fin qu’ici de ce côté » |
Wenn mer eïch aan lügt newer kutschiere | Quand on vous voit parader là-bas |
Das lepft am de Mage wie ihr eïch uffiere | Ça nous soulève le foie (le cœur) comme vous vous comportez |
Das macht ane kotze, eïer Spatziere ! | Ça nous fait vomir vos promenades ! |
Gift solles en’eïchein schenke driwe | Qu’ils vous versent du poison là-bas |
Un ihr eich eïnemme a Missemeschinne. | Et que vous succombiez par une mort subite. |
Das isch a Zaache ihr henn ‘Hasser im Rosch | Ça c’est une affaire, vous avez du porc dans la tête |
Wenn’er schun vergesse henn was g’scheje isch, | Si vous avez déjà oublié ce qui s’est passé |
Was die Wildi, ehlendi ‘Hadeissem | Ce que ces sauvages, maudits voyous |
Uns vor kurze Johre angedün henn. | Nous ont fait endurer il n’y a que quelques années. |
Henn ihr vielleïcht ka Staan ohne Keifer | N’avez-vous peut-être pas des stèles sans cercueils |
Ka Kinder, ka Mamme, ka Brieder | Pas d’enfants, pas de mamans, pas de frères |
Wü eïch Grinzkepf her hargeth enn ? | Que ces salauds vous ont assassinés ? |
Kenne’n ihr schün jetzt, sau schnell | Maintenant, pouvez-vous déjà, si vite |
Denne Yedde blutsaufer die Hand wedde rgenn ? | Donner à nouveau la main à ces buveurs de sang juif ? |
Henn ihr denn sau viel Dreck in die Ohre | Avez-vous autant de saletés dans les oreilles |
Das ihrs ‘Gschreï von de Deportierte nimmi hehre ? | Que vous n’entendez plus le cri des déportés ? |
Wenn mer aam hot die ‘Harpes gsaat | Quand on a fait honte à quelqu’un |
Derf mer bring eebbes gütes aach : | On peut aussi lui apporter quelque chose de bien : |
E güt Herz un a offeni Hand | Un bon cœur et une main ouverte |
Vor dass sinn’er bekannt | Pour cela vous êtes connus |
Vor Kahl, Z’dooke, Heckdisch un ’Hevre | Pour la communauté, la charité, la maison de retraite et les œuvres |
Ziehen’er eïch aus, dün eïch s’Fenster naus werfe | Vous vous déshabillez, vous allez jusqu’à jeter la fenêtre au dehors (tout ce que vous pouvez) |
Wenn mer eïch züheert isch’sn och ganz schein | Quand on vous entend il est encore bien beau |
Das ihr nit ball selbst mün schnorre gein. | Que vous ne deviez pas bientôt aller mendier vous-même. |
Steit mer awer am Disch wü er pokere | Mais si on se tient à la table où vous jouez au poker |
Dau knellts ganz andersch wie beïm schnodere | Là ça résonne tout à fait différemment que lorsque vous faites un don (à la Torah) |
Un wenn er fahren uf Nedderbrünn naus | Et si vous vous rendez là-bas à Niederbronn (au casino) |
Dort sinn’er aachgar nit sau hungerig | Là-bas vous ne paraissez pas si faméliques |
Wie ihr mit’em blaue Biksle sin karig | Comme lorsque vous êtes avares avec la petite boîte bleue (tronc du KKL) |
Denn mit dem ‘Halaumes was er neïnwerfe | Car avec le peu que vous versez dedans |
Kennen’n er in der Aubette nit a maul nit sitze | On ne peut même pas s’asseoir une fois à l’Aubette (restaurant strasbourgeois) |
Un wenn’er solle bezahle in d’F.J.U. Kass | Et si vous devez verser dans la caisse du F.S.J.U. (Fonds social juif unifié) |
Dau machen’er sau wischt, | Là vous faites si vilain, |
« Hab aach noch mei Edde bei mir Dass koscht mich meï Geld, ich garandier ! » | « J’ai donc encore mon père avec moi Ça me coûte mon argent, je l’assure ! » |
Der hot Brieder, der hot Dantes, | Celui-ci a des frères, celui-là des tantes, |
Alli henn ebs, oder ebs anderchs | Tous ont quelque chose, ou quelque chose d’autre |
Un oser wenn se sich ‘harpene | Et je jure qu’ils n’ont même pas honte |
Sau Misère zü heïle beï den’andere. | De guérir de cette façon la misère chez les autres. |
Sunst isch niks zü deïer, niks zü grauss | Autrement rien n’est trop cher, rien n’est trop grand |
Wie oft werfe se s’Geld be’hinnem zum Fenster naus. | Comme ils jettent souvent pour rien l’argent par la fenêtre. |
Fascht hätt ’isch vergess eunseri Bollacke | J’allais presque oublier nos Polonais |
Denne müss mer doch aach e bessel Kofed mache | A ceux-là aussi on doit rendre un peu d’honneur |
Die lewe noch sau schein beyeddischlich | Ils vivent encore si bien dans la tradition juive |
Denn sie henn viel gelernt und sehr gruendlich | Car ils ont beaucoup appris et très profondément |
Kumme sin se mit niks, a yeddisch Lef un viel ‘Hutzpe | Ils sont venus avec rien, un coeur juif et beaucoup de toupet |
Yets henn’se Mees, a karik Lef, awer als noch die ‘Hutzpe | Maintenant ils ont de l’argent, un coeur avare, mais toujours encore le toupet |
Mer müss sage sie henn sich güt eingelebt | Il faut le dire, ils se sont bien acclimatés |
Un alles schaufle fun den Elsaesser güt assimiliert. | Et ils ont bien assimilé tout ce qui est mauvais chez les Alsaciens. |
Un jetzt ihr Yedde henn’er B’schaad | Et maintenant vous les juifs, vous êtes informés |
Ich will eich noch saage worum ich graad | Je veux encore vous dire pourquoi justement |
Eich sau viel in d’Schü’h g’schett hab : | Je vous en ai tant dit (déversé dans la chaussure) : |
Ihr solle wisse, un dass henn’er vergesse | Vous devez savoir, et ça vous l’avez oublié |
Das mer nit lebt for Blesir, schlaufe un esse | On ne doit pas vivre pour le plaisir, pour dormir et manger |
Es geit alles sau lang as es geit | Tout va aussi longtemps que ça doit aller |
Ihr versindigen’eich, ihr liewi Leït | Vous vous rendez fautifs, vous, braves gens |
Unser Harjet denkt wenn er lückt eich zü : | Notre Bon D.ieu pense quand il vous observe : |
Bis se’n a Trett im Do’hes henn, esch ka Rüh. | Jusqu’à qu’ils aient un coup de pied dans le derrière, il n’y aura pas de repos. |
Die Welt esch nit dau for eïch | Le monde n’est pas là pour vous |
Awer ihr sinn dau for die Welt | Mais vous êtes là pour le monde |
Ihr denke norre sehr viel an eïch | Vous pensez seulement énormément à vous |
Un klammere’n eïch an dem treifene Geld | Vous vous cramponnez à cet argent impur |
Es ich eïch alli viel zü Waul | Vous vous sentez tous beaucoup trop bien |
Henn’alles vergesse schun wedder a maul | Vous avez de nouveau tout oublié |
Drumm haw’ich a Rauges wie a Haus ! | C’est pourquoi j’ai une immense colère ! |