La Maison d'Enfants de Schirmeck
1945-1947
documents communiqués par Myriam GRANAT née SZPINNER




Couverture de l'album composé à Schirmeck et imprimé à Strasbourg


Les pensionnaires de la Maison et leurs éducateurs - cliquez sur la photo pour la voir en grande taille


La fête de Pourim à Schirmeck - Aaron Szpinner est au centre (avec la blouse blanch

Yehoshua Szpinner est originaire de Galicie. Avec son épouse, Esther, ils ont quatre enfants : Aaron, Kalia-Haia, Sara-Rivka et Miryam. C’est une famille religieuse et sioniste. Le père est actif dans le mouvement Mizrahi, sioniste religieux, et il est lié à la hassidouth de Belz. Il est engagé dans la vie communautaire.

Au milieu des années 30, la famille connaît des revers de fortune, sur le fond du renforcement de l’antisémitisme en Pologne, et en 1934 elle s’installée à Cracovie, où les parents se s’adonnent au commerce. Yehoshua et son frère ont une belle voix, et ils chantent pendant les offices à la synagogue.
Lorsque la guerre éclate, Aaron s’enfuit vers l’est, dans le but de rejoindre la Palestine, mais il est arrêté par le KGB et envoyé en Sibérie.

Le reste de la famille est incarcéré dans le ghetto de Cracovie. Mais les parents réussissent à confier leurs deux grandes filles à une famille polonaise contre une forte somme s’argent, et ils restèrent dans le ghetto avec leur dernière fille, âgée de trois ans. Le père, Yehoshua, est arrêté sur son lieu de travail et emmené en déportation, mais il réussit à sauter du train. Quant à Esther elle se sauve avec sa fille et ses parents, et ils se cachent chez une famille polonaise dans une commune proche de Cracovie, mais ils doivent s’enfuir sous la menace des Allemands. Dans une froide nuit d’hiver, sous la neige, ils trouvent à se cacher dans une famille de paysans au grand cœur. A la fin de la guerre, ils apprendront que les deux plus grandes sœurs ont été dénoncées et assassinées.

A la fin de la guerre, Yehoshua estime que le fait d’avoir survécu l’oblige à sauver les enfants juifs rescapés de la Shoah. Dans le cadre du mouvement Mizrahi, il des enfants juifs qui, pour être sauvés, ont été cachés dans des familles ou des institutions chrétiennes. C’est alors qu’il rencontre le grand rabbin ashkénaze de Palestine, Yitzhak HaLevi Herzog, qui est venu en Pologne pour essayer de sauver des enfants juifs. Celui-ci confie au couple Szpinner la mission de diriger une maison d’enfants à Schirmeck, où seront regroupés ces enfants.

La maison de Schirmeck est une colonie de vacances, fondée en 1921 sous l'impulsion d’Henry Lévy, et qui, jusqu’à la guerre, reçoit de nombreux enfants juifs pendant les vacances. Pendant la guerre de 1939-1945, la maison est occupée et transformée en hôpital par les Allemands. Après 1944, elle sert de centre de convalescence pour les militaires de la première armée française jusqu'en juillet 1945. C’est à partir de cette date que la Colonie recueille, durant deux années, des centaines d'enfants de déportés, souvent eux-mêmes anciens déportés, orphelins déracinés et privés de toute ressource et de toute affection. C’est grâce à cette maison et à ceux qui l’animent, qu’ils pourront se réadapter à la vie.

Yehoshua Szpinner et son épouse prennent en charge les plus jeunes de ces enfants, et leur méthode éducative consiste à leur procurer la chaleur et l’amour qui leur ont fait défaut. Ces documents photographiques nous montrent à quel point la vie dans cette maison de Schirmeck était centrée sur le respect de l’enfance et des valeurs juives. D'ailleurs, la Maison avait pris le nom de "Maison de l'enfant, Mizrahi et Torah veAvoda" (1). Elle fonctionnera de 1945 à 1947.

Aaron Szpinner, leur fils, les a rejoints pendant quelques temps dans la maison, avant de partir pour la Palestine. C’est lui qui a pris ces photos, et qui a composé le carnet que nous présentons. Par la suite, il montera en Israël (il est le père de Myriam Granat qui nous a fourni ces documents), tandis que ses parents s'intalleront à Paris.

L'album contient une fiche
consacrée à chaque
pensionnaire de la Maison.
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Hanouka à Schirmeck

Le "train des enfants du Rav Herzog"

Yitzhak HaLevi Herzog , né en Pologne, émigre au Royaume Uni avec sa famille, à l’âge de dix ans. En 1922, il est nommé grand rabbin de l'État libre d'Irlande et conserve ce poste jusqu'en 1936, date à laquelle il s’installe en Palestine, succédant à Abraham Isaac Kook au poste de grand rabbin des ashkénazes, fonction qu'il occupera jusqu'à sa mort. Il effectuera de nombreux voyages en Europe pendant et après la Shoah, afin de ramener au sein de leur peuple des enfants juifs qui, pour être sauvés, ont été cachés dans des familles ou des institutions chrétiennes. Son fils Haïm Herzog, sera le président de l'Etat d'Israël (1983-93), tout comme son petit-fils Isaac Herzog (élu à ce poste en 2021).

Fin janvier 1946, le grand rabbin Herzog quitte Jérusalem pour rechercher les rescapés en Europe. L’un des buts de ce voyage est la libération et le sauvetage des enfants juifs cachés chez des chrétiens et leur prise en charge. Pour cela il rencontre le Pape et le chef du gouvernement d’Italie. Ensuite, il est se rend en France pour former des équipes chargées de rechercher des enfants juifs cachés chez des chrétiens. Il va aussi en Suisse, en Belgique et en Hollande, pour rencontrer des chefs d’Etat et des ministres à ce sujet. En Allemagne il visite les camps de réfugiés et s’entretient avec le commandant de la zone américaine, et avec le directeur de l’UNRWA.

Ensuite le Rav Herzog se rend en Europe de l’Est. Il arrive à Prague le 25 juillet 1946, et entreprend des négociations avec les membres de l’UNRWA, pour l’accueil et le logement provisoire de réfugiés juifs de Pologne. Le grand rabbin comptait faire passer de Pologne vers la France et la Belgique environ 750 enfants, et 500 élèves de yeshiva. Il pensait avoir obtenu un accord de la part des Anglais pour les faire monter légalement en Eretz Israël (grâce aux "certificats" ). Comme le transfert vers la Palestine n’est pas encore organisé, il obtient l’accord du chef du gouvernement de Tchécoslovaquie pour permettre à ces jeunes de résider provisoirement dans ce pays, qui subventionnera leur séjour.

De Prague, il se rend en Pologne, où il rencontre le chef du gouvernement au sujet des rescapés, de leur sécurité, de la possibilité de les emmener à l’Ouest, et de faire sortir les enfants qui vivent chez les chrétiens. Il confie aux responsables juifs de l’argent pour le sauvetage des enfants. Herzog se rend à Varsovie, à Lodz et à Katowice pour surveiller le passage du "train des enfants". Finalement, celui n'emportera que 600 enfants environ, et quelques étudiants de yeshiva. Le train arrive à Prague le 22 août 1946.

Deux jours plus tard, le grand rabbin se rend en avion à Paris, pour s’occuper de la suite du placement des enfants. En effet, lorsqu’il se trouvait à Prague, il a compris que les Anglais refuseraient de leur allouer des certificats d'immigration. Les voyageurs restent pendant trois semaines dans un camp de réfugiés à Dablice (un quartier de Prague), et de là ils sont transportés en Alsace.  En France, les enfants sont dispersés en fonction des mouvements qui les ont pris en charge (Agoudath Israël, Gordonia etc.). Les jeunes qui sont à la charge du mouvement Mizrahi sont été placés dans deux maisons d’enfants : les petits à Schirmeck (la maison est dirigée par Yehoshua Spiner ; les animateurs sont des membres de l’Agoudath Israël, aidés par les membres du mouvement Mizrahi de France), et les plus grands à Strasbourg. Par la suite, les deux maisons seront réunies et tous seront placés à Gouzon, dans la Creuse.

En fin de compte, les voyageurs du "train des enfants du Rav Herzog" sont montés plus tard en Israël, par différentes chemins.

Note :

  1. Torah veAvoda ([observance de la] Torah et Travail [pionnier]) est la devise du Mouvement sioniste-religieux Mizrahi, et des mouvements de jeunesse qu'il a fondés : le Shomer Hadati, mouvement religieux de gauche auquel appartenait Aaron Szpinner (qui n'existe plus de nos jours), et le mouvement Bnei Akiba (n.d.l.r.).

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