C'EST dans les entretiens avec ma famille, que l'idée de traduire et de publier le recueil de nos prières m'a été inspirée ; entouré d'une épouse et de sœurs qui remplissent envers la divinité le devoir qu'elle nous prescrit de l'invoquer, et dont le cœur éprouve le besoin de s'adresser à notre Père céleste, elles m'ont souvent observé avec peine qu'elles ne fesaient qu'un jeu d'automate, en répétant machinalement des expressions qu'elles ne comprenaient point. La pensée de faire cesser un abus aussi contraire aux relations qui doivent exister entre la créature et son créateur, abus dont non seulement presque tout le sexe mais même une grande partie des hommes qui n'ont pas fait des études dans la langue sacrée, éprouvent les effets, m'a fait consacrer mes loisirs à ce travail. L'espoir d'opérer quelque bien m'a soutenu et m'a enfin, grâce au ciel, permis d'achever mon ouvrage. Je serai assez récompensé si mon travail produit ce bien, s'il peut contribuer à faciliter l'étude d'une langue archive des vérités de toutes les religions, et dans laquelle se trouve écrit tout ce que l'Israélite doit croire et espérer.
Je n'imiterai point quelques traducteurs qui pour faire valoir leur travail dénigrent ceux qui les ont précédés dans la carrière : honneur aux mânes de Venture qui le premier nationalisa nos prières, et dont l'ouvrage serait digne d'être entre les mains de tout Israélite ; si le style, vieux dès sa naissance n'avait ôté aux prières hébraïques la force et l'énergie qu'elles ont dans l'original, et si d'ailleurs l'usage de sa traduction au rit portugais pouvait convenir, à la majorité des Israélites français qui suivent le rit Ashkenès.
Je ne parlerai pas d'une nouvelle traduction qui a paru il y a quelques mois j'ai la petite vanité de croire la mienne antérieure ou du moins contemporaine à celle-là ; elle était déjà sous presse il y a un an, mais des circonstances tout à fait indépendantes de moi en ont retardé la publication. Je n'entretiendrai pas non plus le public des difficultés que j'ai éprouvées dans cette traduction pour l'adapter au génie de la langue française et conserver la fidélité exigée dans un ouvrage de ce genre ; ceux qui connaissent la diversité du génie des deux langues apprécieront mon travail sous ce rapport, et j'ose, en faveur de ces difficultés, réclamer l'indulgence dont j'ai besoin : je me bornerai donc à parler succinctement de la rédaction et de la composition de nos prières.
La prière jusqu'à la destruction du premier temple n'avait pas de forme fixe ; à l'exception du Kriat Schema qui était plutôt un acte de foi qu'une simple prière, aucune formule n'était adoptée ; chaque israélite, le cœur plein soit de réconnaissance pour les bienfaits dont son Dieu l'avait comblé, soit du sentiment de ses besoins, soit des dangers dont il était menacé invoquait le Seigneur, et les mots se présentaient en foule aux idées que chacun voulait exprimer. Un grand nombre des Pseaumes de David la prière de Hana , de Salomon celle d'Esechias, de Habacuc et de Jonas, nous prouvent cet usage par de nombreux et de beaux exemples.
Mais il en fut autrement à l'époque de la captivité de Babylone, les Israélites altérèrent leur langue maternelle par le mélange d'expressions Assyriennes et Chaldéennes, et un idiôme corrompu résulta de ce mélange. Esdras et le conseil qu'il avait institué appelé Kenecet hagdola sentirent qu'il était contraire à la majesté du service divin de le célébrer dans un langage obscur et corrompu ; ils rédigèrent alors le Rituel que nous avons encore aujourd'hui, et qui, à quelques variantes près, est suivi par les Israélites de toutes les parties du globe.
Nos prières sont composées de Pseaumes de versets tirés des livres de l'Ecriture Sainte et des formules prescrites par les rédacteurs du Rituel.
Ce n'est pas ici le cas de parler du mérite littéraire des Pseaumes ; ceux qui les examinent sous ce rapport, conviennent qu'ils laissent loin derrière tout ce les tems anciens et modernes ont de plus parfait à leur opposer (1). Considérés comme des prières, les Pseaumes offrent aux fidèles une source intarissable d'édification, de lumières et de consolations. L'âme est tantôt transportée au récit des merveilles de la création de la toute-puissance-universelle du Seigneur tantôt elle se dilate à la touchante peinture de la miséricorde du Créateur de son active providence de son amour pour la veuve et l'orphelin, de sa sollicitude pour le faible et le nécessiteux ; partout la poésie du roi prophète nous inspire un amour céleste qui épure notre cœur l'ennoblit et l'élève.
Les versets tirés de l'Ecriture Sainte portent le même esprit et inspirent les mêmes sentimens à ceux qui les méditent.
Les formules composées lors de la rédaction de notre rituel ont rapport aux grâces journalières que, nous devons rendre à notre Créateur et aux besoins que nous éprouvons à chaque instant ; ainsi le matin nous célébrons le Créateur de la lumière ; le soir, celui de la lune et des étoiles ; la ,plus importante de ces prières est celle répétée à chaque office, appelée Schemona Esra, où après avoir invoqué la toute-puissance de Dieu, nous lui demandons ce qui est nécessaire à notre vie morale et physique, en terminant par des actions de grâces au Dieu de nos pères, au Dieu de la bonté, au Dieu de'la paix ; les autres prières sont des actions de grâces particulières pour les diverses jouissances les diverses situations de la vie et pour les époques fériées de l'année.
Depuis que la manie de l'innovation a voulu empiéter sur le terrein de la religion, nos prières n'ont pas été à l'abri de ses attaques ; les uns ont pensé qu'elles ne devaient plus renfermer les passages qui ont rapport à la position des Israélites au tems où elles ont été composées; d'autres veulent que nous célébrions nos offices dans la langue nationale et que nous bannissions de notre Rituel tout ce qui a rapport aux espérances de l'Israélite, à la venue du Messie et à la réédification du temple. Quelques réflexions à ce sujet mettront nos lecteurs à même de ,juger que sans manquer à cet esprit de bienveillance universelle qui est celui de ce siècle et celui de toute religion éclairée nous pouvons conserver nos prières telles. qu'elles existe, entre bons citoyens et invoquer Dieu sous le nom d'Adonaï , aimer notre patrie, tout en croyant à la venue du Messie et même en la désirant.
Pourquoi donc renverser un ordre établi par les prophètes et les sages d'Israël consacré par vingt-deux siècles d'existence, ordre adopté et suivi par l'Israélite des bords de la Vistule, du Tibre et du Gange ? pourquoi introduire des sectes dans une religion qui depuis son existence a compté des rénégats, mais non pas des sectaires ? Nos prières ne respirent-elles donc pas cet esprit de charité universelle qui doit être celui de tous les peuples civilisés, et que nous sommes les premiers à invoquer?
Trois fois par jour nous disons : La bonté de l'Eternel s'étend sur tous les êtres, et sa miséricorde sur toutes ses œuvres. Toutes les créatures te rendent grâce. Les yeux de toutes les créatures sont tournés vers toi et tu leur dispenses leur nourriture au tems marqué par leurs, besoins. Tu ouvres ta main et tu rassasies tous les vivans à leur satisfaction (Ps. 145). Trois fois par jour nous demandons à l'Eternel sa bénédiction sur les productions de la terre, sur les étrangers vertueux (Pag. 81 et 82) ; s'il est des pseaumes où le prophète invoque la vengeance du ciel contre les idolâtres ; eh bien ! bénissons le ciel de ne plus vivre au milieu de ces peuples ne cessons pas plus de les chanter en hébreu que les catholiques en latin, les évangélistes, en français et en allemand ; s'il est enfin des prières qui se ressentent encore par leur humilité de l'ancienne oppression qui nous accablait gardons-nous de les supprimer ; en les répétant, notre amour envers le Seigneur qui nous a ainsi affranchis, en deviendra plus vif, notre gratitude et notre dévouement augmenteront pour les monarques et les peuples ministres de ses volontés qui nous font jouir des bienfaits de la liberté ; bienfaits que nous espérons devoir être bientôt partagés par tous nos coréligionnaires eu quelque endroit du globe qu'ils habitent.
Il serait encore moins raisonnable de ne plus se servir de la langue sainte dans la célébration de nos offices (2). Un tel changement contraire à une tradition sacrée et respectable, ne serait d'aucune utilité et aménerait l'inconvénient très grave de bannir entièrement l'étude de la langue hébraïque ; et certes, il doit être au moins aussi important à l'homme, de connaître la source des vérités d'où découle sa prospérité actuelle et à venir, que de pouvoir lire en original lés Odes d'Anacréon et de Sapho.
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Ceux qui prétendraient faire supprimer dans nos prières les passages qui ont rapport à la venue du Messie et à la réédification du Temple connaîtraient bien mal l'esprit d'une religion révélée. Une telle religion peut-elle admettre que l'Être infiniment bon, infiniment puissant et infiniment juste qu'elle nous ordonne d'adorer, n'ait pas fixé dans sa toute-sagesse une époque où les lumières données à un seul peuple seraient manifestes à tous les habitants du globe ? Telle est sous ce rapport la doctrine Israélite : en priant pour la venue du Messie, la restauration du culte, ce n'est pas seulement un bien-être particulier pour sa secte, que l'Israélite demande, mais c'est l'édification et la prospérité de toute la terre ; et s'il ne nous est pas donné à nous mêmes de goûter les prémices de cet heureux temps, ne négligeons rien pour en transmettre l'attente de main en main et perpétuer ainsi nos espérances. C'est dans cet esprit que sont dictées les nombreuses prophéties qui ont rapport à ces époques :
de mois en mois ( dit Isaie chapitre 66 v. 23) de Sabbat en Sabbat toute chair viendra se prosterner devant moi, dit l'Eterne.
Je donnerai, (Zéphania chapitre 3 v. 9) à tous les peuples une langue éloquente pour invoquer le nom de l'Éternel et un même joug pour le servir.
Ils changeront leurs épées en faulx et leurs lances en serpes, un peuple n'élèvera plus les armes contre un autre peuple ils n'apprendront plus la guerre ( Is. 2 v. 4).
De nombreuses nations se réuniront vers l'Eternel et je les agréérai pour mon peuple, (Zach. 2 v. 15), l'Eternel sera roi de toute la terre (Ibid.)
Cette doctrine aussi pure que philantropique a été consacrée par l'aigle des docteurs Israélites, Maïmonide dans son livre de Iad Hachzaka, traité des rois chapitre 12. Le Messie, à l'époque de son arrivée, dit-il, n'aménera point de changemens dans les révolutions du globe ; mais il donnera à tous les peuples la vraie religion et fera disparaître de la terre, la guerre la famine les vices et toutes les autres plaies humaines.
Que ces promesses consolantes restent dans nos prières elles ont pour garantie le serment de Dieu même ; ne cessons donc pas d'appeler l'époque où elles seront réalisées (3).