S'il fallait définir en un minimum de paroles la personnalité
du Père Braun, ce sont les mots de justice, de rectitude, de modestie,
qui viendraient spontanément à l'esprit:
Justice, dans le combat incessant qui fut le sien, pour que
disparaissent à tout jamais et puissent être réparés,
dans la mesure du possible, les torts si graves causés à leurs
frères juifs, par les chrétiens, de puis tant de siècles.
Rectitude dans la pensée et le jugement, pour qu'un
tel combat soit toujours mené en pleine lumière, sans ambiguïté
aucune, mais dans une fidélité sans faille à nos identités
respectives. Modestie, car le travail accompli fut mené
sans ostentation ni tapage. Le Père Braun sut avoir l'humilité
des "grands ".
Ce grand appel de son adolescence, Roger Braun devait y répondre dans la fidélité à une autre vocation. celle de jésuite; et c'est avec une égale rigueur qu'il saurait assumer les exigences du premier comme de la seconde.
Les événements ne tarderaient pas à révéler le sens d'une telle préparation. Dès juillet 1942, sa formation étant terminée, le Père Braun était nommé aumônier général adjoint des camps d'internement français de "Zone Sud" et des Formations de travailleurs étrangers. Tâche écrasante et exaltante où le jeune prêtre allait se lier avec la Résistance juive et nouer avec nos frères persécutés d'innombrables amitiés, aussi profondes que durables.
Ils furent si nombreux, ces prisonniers voués à la déportation, et parmi eux, bien des enfants..., que Roger Braun réussit à sauver de la mort, souvent au péril de sa propre vie, qu'il s'agisse des internés dont il organisait la fuite, ou des cachettes improvisées au moment des rafles, jusque dans les locaux du Séminaire de Limoges et de l'Institut catholique de Toulouse; ou encore de ce réseau d'évasion qu'il avait mis sur pied, en direction de la Suisse et de l'Espagne, sans compter cette intervention auprès du Commissaire du Camp de Rivesaltes, le 8 septembre 1942, qui devait permettre à trente enfants de se voir arrachés au cauchemar de la déportation !
Ainsi, après la préparation intellectuelle, était venue
l'expérience de la vie, celle de la clandestinité et de la fraternité
éprouvée sous la menace du danger quotidiennement partagé,
celle de la découverte du judaïsme vivant et de ces juifs auxquels
les chrétiens sont redevables de leur propre identité.
La grande question ne pouvait alors que se faire de plus en plus lancinante, face à la prise de conscience - ô combien douloureuse! - de nos responsabilités chrétiennes dans l'expression de leurs solidarités historiques : comment faire pour réparer ? Comment faire pour éviter le retour des horreurs du passé? Comment faire pour qu'à deux millénaires d'enseignement du mépris se substitue en fin un véritable enseignement du respect ?
Certes, grâce à l'action courageuse de Jules Isaac, d'Edmond Fleg, du Père Chaillet, et de tant d'autres, l'Amitié Judéo-Chrétienne avait été fondée dès la fin de la guerre; mais le besoin se faisait sentir d'une revue chrétienne, à responsabilité catholique, d'un haut niveau intellectuel et théologique, capable d'ouvrir une voie inédite pour une approche chrétienne du judaïsme, voie étroite et rigoureuse, d'appel à la repentance et de renouvellement de la pensée. On aurait, bien entendu, recours à maintes reprises aux écrivains les plus compétents du judaïsme ainsi qu'au concours des "frères séparés" du christianisme ; mais les responsables de la Revue seraient spécifiquement catholiques, afin d'assumer plus clairement, dans la droite foulée du Concile Vatican II, les responsabilités propres de leur Eglise.
Il s'agissait donc d'une complémentarité à l'égard de l'AJCF, avec toutes les possibilités d'enrichissement réciproque qui peuvent en découler, tandis que l'unité du but poursuivi en commun apparaîtrait sans ambages dans des réalisations comme celle de ce numéro rédigé en commun sous les auspices de RENCONTRE et de SENS, et paru fin 1979, sous le titre Pour une Repentance chrétienne.
Le Père Braun vient de nous quitter après de longues années de maladie et d'innombrables séjours à l'hôpital, stoïquement supportés, sans que jamais s'en trouve affectée son activité dévorante au service de la cause à laquelle il avait voué son existence. Certes, il ne fut pas toujours compris, il connut la solitude et la critique, il eut à souffrir par fois de malentendus que lui rendait plus douloureux sa grande sensibilité. Mais tel n'est-il pas le lot de tous les pionniers ? Et les manifestations de sympathie exprimées par les communautés juives, au moment de sa mort, en France comme en Israël, sont venues confirmer encore le souvenir que nous garderons de lui et les traits d'une personnalité exceptionnelle marquée d'une double et unique fidélité : celle du religieux inconditionnellement ancré au cœur de son Église et, celle de l'ami, du frère des juifs qui ne s'y sont pas trompés et qui ont d'eux-mêmes reconnu et tenu à honorer en lui un "Juste parmi les nations"...
Et que nous reste-t-il à faire maintenant, à nous qui avons tant reçu de lui, sinon de continuer sa tâche ?
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