Cet article fut à l'origine un sermon. Quelques légères modifications ont été jugées nécessaires lors de la transformation du langage parlé en parole écrite. Le discours a été dit à Paris devant de fufurs rabbins le Sabbat Hanouca après la fin de la Grande Guerre. L'auteur s'y est appliqué à rendre en français des idées développées par Samson Raphaël Hirsch zatza"l et même, dans la mesure du possible, à traduire presque littéralement certains passages des oeuvres de ce rabbin célèbre.
לא בחיל ולא בכח כי אם ברוחי אמר ה' צ'
"Ni par la puissance ni par la force, mais bien par mon esprit, dit l'Eternel Cebaoth".
(Hapthora de Hanouca - Zacharie 4:6)
C'est une vieille histoire que nous ressuscitons ces jours de Hanouca : l'histoire d'une guerre terrible où les vaillants d'Israël, avec un courage sans égal, ont délivré leur peuple d'un ennemi barbare et impitoyable. C'est une fête de Victoire !
Les victoires du peuple juif, sont-elles donc si importantes qu'après plus de 2000 ans, nous les glorifions encore ? Pourtant, des actes d'héroïsme semblables à ceux des Maccabées, se retrouvent ailleurs aussi : c'est plus d'une fois que, dans l'histoire de presque tous les peuples, nous voyons une poignée d'homme vaincre une foule d'ennemis. Nous mêmes, hélas, nous venons d'être témoins d'actes héroïques si grands et si nombreux qu'il y aurait des fêtes sans interruption, si nous voulions les célébrer tous.
Mais est-ce bien vrai que nos Sages ont institué ces jours de Hanouca pour fêter des héros nationaux ?
Est-ce à nous, peuple créé pour une idée, pour la plus grande de toutes les idées, עם זו יצרתי לי תהלתי יספרו ('Ce peuple, je l'ai formé pour moi, pour qu'il publie ma gloire" - Isaïe 43:21) de nous glorifier de la force brutale des champs de bataille ? Et si Dieu n'avait pas donné la victoire par les armes à Israël, en vérité n'aurait-il pas trouvé un autre moyen pour sauver notre peuple ?
Cherchons donc à comprendre la signification de Hanouca : il y a une autre fête commémorative: Pourim. Ces deux fêtes serviront de lumière aux Israélites disséminés parmi les peuples, les guideront et les réconforteront au cas où, dans leurs malheurs, ils arriveraient à douter de leur mission à remplir sur la terre.
Le nom de Dieu n'est pas mentionné dans le livre d'Esther : ce livre ne contient aucun miracle, bien que cependant l'enchaînement miraculeux des événements nous montre que Dieu veille toujours sur son peuple. Ainsi, dans toutes nos pérégrinations à travers le monde, Dieu quoique invisible, reste toujours notre unique sauveur. Chaque larme est versée sous son oeil paternel. Chaque soupir se fraye un chemin vers Lui.
Comment, en effet, sans cette protection divine spéciale, le peuple d'Israël aurait-il pu subsister après toutes ses tribulations du moyen âge ? Et aujourd'hui même, comment, sans cette pensée réconfortante, ne perdrions-nous pas tout courage à la vue de peuples qui, quoique ennemis entre eux, sont d'accord pour s'acharner sur les millions de juifs sans défense en Europe orientale, à l'époque même où nous espérons le triomphe universel du Droit et de la Justice - tel que nous avons le bonheur de le fêter en notre France ?
Mardochée le Juif nous a appris à conserver la confiance quand notre existence même est en jeu : si ce n'est pas la reine Esther qui intervient pour sauver son peuple, le secours viendra ממקום אחר d'un autre Lieu (Est. 4:13). Nous n'avons pas besoin de combats pour être sauvés.
Hanouca n'est donc pas la commémoration d'une guerre.
De même que Pourim est le symbole de la protection divine du Corps d'Israël, de même ces huit jours de lumière nous enseignent que Dieu veille sur son Esprit en butte à la violence.
Sous Antioche Epiphane, prince de Syrie, Israêl a vu pour la première fois employer les armes de la tyrannie, non pas contre sa vie ni contre sa liberté, mais contre ce qui est pour lui plus que biens, pays, vie et liberté : contre sa Doctrine, sa Torah ; on voulait abolir la science de la Loi, éteindre la lumière des études sacrées, tuer la pureté des moeurs, anéantir la vie juive. Pour avoir lu dans les livres sacrés, pour avoir observé le sabbat et pour avoir accompli tout autre devoir religieux, les fidèles étaient condamnés à mort. La sainteté de la maison juive était livrée aux exigences des satrapes... alors les premières victimes tombèrent pour l'existence de notre Esprit : de notre Loi.
Et voici comment le Talmud résume cette histoire merveilleuse. Il ne fait aucune mention de la guerre. Du temps des Hasmonéens, narre-t-il, le temple et tous lès objets sacrés étaient profanés. Lorsque la courageuse famille des Hasmonéens eut le pouvoir, Jérusalem et le Sanctuaire furent purifiés. On convia tout Israël à fêter la résurrection du Temple. Mais quand on voulut rallumer la lampe perpétuelle, on ne trouva plus qu'un seul flacon d'huile sainte, munie du cachet du Grand Prêtre : la lampe ne pouvait brûler plus d'un jour. Et cependant, ô prodige ! cette minime quantité suffit pour huit jours et permit d'attendre la préparation des huiles pures
.En effet tout ce qui était sacré et saint en Israel semblait disparu, éteint à tout jamais. Alors dans un coin de la terre sainte - quand les fidèles étaient tués. quand les faibles de caractère trébuchaient, quand les lâches "s'assimilaient" de gaîté de coeur, quand la cause de l'Esprit d'Israël semblait abandonnée, dans le petit village de Modine, un vieillard humble ayant conservé intacte la foi inébranlable de ses pères, le Cohen Mathisyahou ben Yahanan s'éleva avec ses cinq fils pour rallumer la lampe éternelle de l'Esprit. Il ne se préoccupa point du petit nombre de ses fidèles compagnons, il se fia en Dieu qui accorde la victoire à l'Esprit sur la force brutale et qui - comme nous le disons dans le Al Hannissim - "livre les tyrans entre les mains de ceux qui aiment la Justice". Et la victoire de l'Esprit n'est pas éphémère. La lumière de l'idéal juif, gardée par très peu d'hommes à la foi ardente, brûle, et sa flamme va en grandissant jusqu'à la naissance d'une nouvelle génération qui continue, malgré tous les obstacles, à entretenir le feu de l'autel.,
Plus tard, cette même foi a donné à nos ancêtres cette conviction : qu'une seule école suffisait pour faire. survivre Israël au conquérant romain ; que toutes les inquisitions et toutes les persécutions ne pouvaient pas éteindre la lumière messagère de la Justice.
Mais Hanouca contient encore un autre enseignement. S'il y avait des forces brutales étrangères qui cherchaient à étouffer l'Esprit d'Israël, il se trouvait hélas des forces sournoises en Israël même qui voulaient faire oublier nos Traditions. Là encore cette vieille histoire de Hanouca se renouvelle , presque, à chaque contact avec une civilisation inconnue. Il faut savoir que jamais l'idée ne serait venue à Antioche Epiphane de sévir contre la Loi juive, s'il n'avait pas trouvé des collaborateurs, des instigateurs parmi les juifs. Ambitieux, fascinés par la civilisation grecque, plus encore attirés par les moeurs helléniques qui permettaient toute licence, ces "modernes" d'alors "ne faisaient aucun cas de tout ce qui était l'honneur de leur patrimoine et ne voyaient rien de plus grand que d'exceller en tout ce qu'estimaient les Grecs." (Livre des Macchabées.). Observer le sabbat, s'abstenir d'aliments impurs et surtout lire le livre de Dieu et étudier les traditions, c'étaient des choses surannées pour les hommes qui s'imaginaient posséder tout le progrès. L'ignorance allait de pair avec l'orgueil, l'orgueil de pair avec l'absence de toute vraie fierté. Orgueilleux à l'égard de leurs frères qu'ils méprisaient quand ils ne réussissaient pas à les entraîner avec eux vers la soi-disante civilisation, ils étaient prêts à toutes les bassesses pour gagner les faveurs de ces étrangers qui, au fond, étaient leurs mortels ennemis.
L'histoire du judaïsme du 19ème siècle, surtout dans l'Europe centrale, présente les mêmes phénomènes. Comme du temps des Hasmonéens, les adulateurs juifs de la civilisation ambiante eurent recours à la force étrangère pour, suivant leur présomption, éclairer leurs frères fidèles à la Loi. La police fermait sur leur demande plus d'un Minyan, plus d'une maison d'études.
Même lâcheté, même bassesse, même orgueil. Au temps d'Antioche ce furent l'élite du peuple, l'aristocratie, les grands prêtres qui donnèrent le ton pour embrasser les coutumes et les superstitions étrangères. On vit ceux qui devaient veiller à la pureté du temple, les Cohanim quitter l'autel pour le gymnase grec où ils dissimulaient leur origine par toutes sortes d'artifices et où ils préféraient être nommés Jason au lieu de Josué, Ménélaos au lieu de tloniâ. De même, au 19ème siècle, c'étaient des chefs, des notables, des "éclairés", qui ont obscurci le chemin lumineux de la tradition.
Même la fureur d'Antioche n'a pas agi d'une façon aussi dissolvante que l'ont fait depuis un siècle, dans ce pays là, les dirigeants des communautés. Antioche mettait l'hellénisme à la place du judaïsme, "la statue de l'abomination" à la place du Dieu vivant d'Israël. Mais on savait à quoi s'en tenir, on savait que ce qu'il demandait, était de l'impiété. La conscience avait le choix de se soumettre ou de se révolter. Mais qu'avons-nous vu ce siècle dernier? On voulait forcer que l'on confondit la piété avec l'irréligion, que l'on prît la démolition pour de la construction, la profanation pour de l'adoration, en un mot : on voulait enlever à la conscience la claire notion d'un judaïsme divin. On persécutait l'existence du judaïsme jusque dans les intelligences: on enlevait à la masse des fidèles la possibilité de voir clair, de distinguer entre la vérité et le mensonge, entre la piété et l'inpiété, entre la clarté et les ténèbres.
Et d'où vient que cette étrange confusion ait laissé indifférente la majorité des juifs occidentaux dont beaucoup de chefs spirituels ont imité l'exemple funeste des juifs assimilateurs d'Allemagne?
C'est que l'on avait négligé la préparation de l'huile sainte qui devait alimenter la Lampe de la Foi ; je veux dire que les communautés s'étaient bien occupés du progrès extérieur de leurs membres, mais elles avaient oublié de cultiver l'âme du peuple juif par l'étude de la Torah.
Qu'avons-nous gagné à ce que de notre milieu soient sorties tant d'étoiles dans toutes les sphères de l'art, de la science théorique et pratique ? Les communautés avaient négligé l'étude de la Torah ; la source profonde, inépuisable, de la science juive était dédaignée. Et quel était le résultat de cet aveuglement ? Les enfants les plus doués s'éloignaient de la communauté, et au seuil du temple de la Science et de l'Art, ils cherchaient à secouer, comme une poussière embarassante, toute originalité juive.
Que sert-il de mentionner dans les périodiques juifs que tel israélite est député, tel autre un grand docteur, tel autre un grand avocat, tel autre un grand savant, érudit ou artiste ?
Certes, notre siècle apporte le tribut de son admiration à une série brillante de grands esprits juifs. En raison de leur culture générale, on leur pardonne d'être juifs. Et on ne se souvient de leur origine que si l'un d'entre eux faillit, et alors la condamnation s'étend à la communauté. Mais s'ils avaient grandi, nourris de la Torah, dans un esprit juif, toutes leurs créations dans le domaine de la, musique et de la poésie et de la plupart des arts, sur le champ de la science et de la vie publique porteraient l'empreinte de l'Esprit juif, reflèteraient les rayons de ce grand Soleil qui aurait été leur lumière pendant toute leur vie ; ces maîtres ne pourraient pas et ne voudraient pas renier leur judaïsme. Dans leurs oeuvres les plus géniales on reconnaîtrait et on admirerait la manifestation la plus pure du génie juif. On les estimerait non pas quoique juifs, mais parce que juifs, pénétrés, trempés de l'âme juive. Et les filles et les fils les plus intelligents et les plus instruits deviendraient les piliers fidèles de l'édifice de la Communauté juive, les avant-gardes, les éclaireurs de leurs frères.
Ce tableau ne serait-il qu'un mirage? N'est-il pas possible qu'il devienne la réalité ? Certains mouvements peuvent nous inciter à croire que tous les espoirs sont permis. Et c'est la jeunesse studieuse déjà qui sent profondément le vide que lui ont légué les générations précédentes.
Le jour où les communautés ont tourné le dos à la science de la Torah fut l'origine de tous nos maux. Le jour où la science de la Torah reprendra la place centrale qui lui est due, la guérison commencera. Et les chefs religieux, en pleine conscience de leur devoir, iront en mandataires de Dieu porter la lumière de la parole divine. Ils ne s'arrogeront pas, du haut d'un piédestal scientifique quelconque de se placer au-dessus de la Loi car les mystères de Dieu ne se révèlent qu'à ses adorateurs. Ils auront la notion claire que les Pasteurs en Israël sont des savants exécutant la Loi, premiers serviteurs de. Dieu, et non des prêtres qui auraient le droit de s'ériger en législateurs, au dessus de Dieu. Ils ne seront pas à la remorque des circonstances, ou des puissances matérielles, ils ne seront pas esclaves des opinions dominantes du siècle, ils seront des hommes libres - libres grâce à la Loi אל תקרי חרות אלא חירות ([à propos des Tables de la Loi] "Ne lis pas 'harouth (gravé) mais 'heirouth (liberté)" - Avoth 6:2).
Ils sauront que tout le peuple d'Israël forme un royaume de prêtres ; que "le simple tisserand près de la Porte " a les mêmes droits à la Torah que le Grand Prêtre. Ils s'inspireront des paroles de Moïse: "Plût à Dieu que tout le peuple de Dieu se composât de prophètes." Ils porteront le flambeau divin dans les communautés. Pénétrés de lasainteté de leur mission, ils ne se laisseront pas décourager si au début brûle une seule lumière; les lumières iront en augmentant. Ils n'auront pas de repos jusqu'à ce, que la lampe sacrée puisse brûler sans leur aide. Ainsi, comme Mathisyahou à ses fils, ils laisseront aux générations suivantes leur héritage spirituel ; et s'accomplira la parole: "Quant à moi, dit l'Eternel Cebaoth, voici le pacte avec eux. Mon esprit qui repose sur toi et les paroles que j'ai mises en ta bouche, elles ne doivent point s'écarter de ta bouche, ni de la bouche de tes enfants, ni de celle de tous tes descendants, soit à présent, soit aux temps futur''. Et un Libérateur viendra pour Sion.