Aujourd’hui, mes amis, nos fêtes touchent à leur fin. Nous sommes arrivés ce soir à cette fête de Chemini Atséreth, fête du huitième jour, fête de la clôture, qui met un terme à toutes les solennités que nous venons de célébrer.
Lorsque nous recevons un hôte de marque, dit le Midrach, quelqu’un qui nous est cher et qu’il est sur le point de nous quitter, nous insistons auprès de lui pour le retenir. "Restez au moins un jour encore, accordez-nous ce délai et ensuite vous partirez". Il en va de même pour nous aujourd’hui. Depuis trois semaines, nous sommes les hôtes de D. et au moment de Le quitter, Il essaye de nous retenir. "Restez Mes enfants, restez un jour encore, vous aurez bien le temps de rejoindre vos pressantes occupations quotidiennes".
Et cependant, mes amis, la joie qui devrait m’emplir en ce jour de fête, cette joie d’avoir été pendant quelques jours l’invité de D. et d’avoir ressenti plus profondément le bienfait de Sa proximité sinon de Sa présence, cette joie est fortement mêlée de mélancolie et de tristesse. Et cette légère amertume que je ressens ne vient pas tant de ce que nous n’avons pu célébrer ces fêtes selon les rites séculaires comme nous avons pu le faire jadis, parce que la réalité n’a pas répondu encore à nos désirs dans la mesure où nous le souhaiterions et que nous sommes esclaves encore alors que de toutes nos forces nous voudrions être libres, mais elle est provoquée surtout par la vue de votre indolence et de votre apathie. Un instant peut-être, la durée d’un éclair, aurait-on pu voir quelque velléité, quelque effort vers le mieux, vers le bien. Mais c’était pour retomber aussi vite dans les mesquineries, les discussions, les petits soucis de tous les jours. Et avant même d’avoir tenté un sérieux effort pour vous rapprocher de Lui, vous avez en pensée, dès longtemps oublié ce D. dont cependant vous êtes les hôtes encore.
Mes amis, c’est aujourd’hui sans doute un des derniers discours que je vous adresse dans cette enceinte. Ne croyez pas que j’aie jamais recherché, en vous parlant, la moindre satisfaction d’amour-propre ou de vanité. Ne croyez pas non plus que ces sermons que je vous fais subir sont dans mon esprit des exercices salutaires destinés à me faciliter ma carrière future. Ne croyez pas enfin que je me sois jamais abandonné à des illusions exagérées et sachez au contraire que je suis prémuni contre toute espèce de déception. Mais par contre il ne faudrait pas vous imaginer qu’il suffit d’écouter ces paroles avec complaisance et de les passer au crible de votre esprit critique. Mais je voudrais que vous compreniez que j’essaye tout simplement d’exprimer, non pas ce que moi je crois être la vérité, mais une vérité qui nous a été révélée depuis des millénaires, une vérité qui nous a fait vivre et subsister malgré tous les obstacles et toutes les persécutions ; une vérité, enfin, dont je me sens un très humble dépositaire et que je voudrais vous faire partager parce qu’elle devrait être vôtre. Ce ne sont pourtant pas des coups de fouet qu’il vous faut pour vous arracher à votre indolence et à votre indifférence ! Et c’est pourquoi je voudrais croire que malgré tout, de tout cela quelque chose subsistera. Et je m’imagine, peut-être n’est-ce pas un rêve, que vous aurez su tirer mieux que des leçons seulement négatives de tous ces événements que nous avons traversés. Vous saurez vous souvenir que si vos ancêtres n’étaient pas les Gaulois vous n’avez cependant nullement à rougir de vos propres aïeux. Vous vous souviendrez que ce sont vos aïeux qui ont proclamé les premiers les principes de morale auxquels la civilisation actuelle feint au moins d’obéir ; vous vous rappellerez que tous ces grands principes que l’on nomme la valeur et le respect de la vie humaine, le sentiment de la dignité humaine, la liberté, la responsabilité, la justice, la charité, l’honnêteté, l’intégrité, font partie de notre patrimoine religieux. Et vous vous souviendrez enfin, dans les jours de fête de l’avenir, des modestes fêtes que nous avons célébrées ensemble et qui nous faisaient regretter avec une acuité poignante, la liberté de ne pouvoir les accomplir tout à notre aise ; la liberté que nous avions perdue !
ושמחת בחגיך - "tu te réjouiras pendant ta fête" (Deutéronome 16:14).
C’est aujourd’hui une fête de joie et j’aurai mauvaise grâce à persévérer dans mes reproches quand la joie doit régner en maîtresse parmi nous. Et c’est d’ailleurs là une des caractéristiques de notre religion, c’est que loin de se complaire dans l’obscurité, dans la pénombre des pensées tristes ou morbides, c’est une religion de lumière, de vie, de joie. Non pas une joie grossière et purement matérielle, mais une joie d’un caractère plus élevé, plus fine et plus subtile, faite d’amour, de quiétude, de sérénité. C’est une religion de santé, de bonne humeur, d’équilibre, qui réclame en tous nos actes une heureuse harmonie et la juste mesure. Et je ne saurais mieux conclure ce petit discours qu’avec ces paroles que nous avons lues pendant la fête de Souccoth et que la Tradition attribue à Salomon, comme au plus sage des hommes :
"Jeune homme, réjouis-toi dans ta jeunesse, livre ton cœur à la joie pendant les jours de ta jeunesse, marche dans les voies de ton cœur et selon les regards de tes yeux, et sache que pour tout cela D. t’appellera en jugement…
Crains D. et observe Ses commandements, c’est là tout l’homme. "כי זה כל האדם" (Ecclésiaste 11:9) (2)