וה' נתן קולו לפני חילו כי רב מאד מחנהו כי עצום עושה דברו כי גדול יום ה' ונורא מאד ומי יכילנו
"Et l’Eternel a fait entendre Sa voix devant Son armée, car Son camp est immense et puissant celui qui exécute Sa parole, car il est grand le jour de l’Eternel et très redoutable, qui saurait le supporter ?" (Joel 2:11)
Une fois de plus, mes amis, l’inlassable déroulement des jours nous amène de son rythme indifférent au seuil d’une nouvelle année. Et pourtant il nous semble, pour autant que nous pensons et que nous sentons en tant que Juifs, que souvent nos solennités et nos fêtes s’accordent précisément avec nos pensées et nos sentiments les plus secrets, avec nos besoins de l’heure. Aujourd’hui, Roch Hachana, c’est l’anniversaire de la Création du monde. Mais nous ne célébrons pas seulement la gloire de D. qui créa le monde, nous fêtons surtout la majesté de D., Roi de ce monde qu’Il fit et Juge des hommes qu’Il créa.
Et je voudrais vous faire partager l’émotion, le respect, l’angoisse qui m’emplit et m’étreint moi-même en ce jour grand et redoutable, jour de détresse et d’angoisse, jour d’obscurité et de profondes ténèbres, jour de trompettes et de fanfares guerrières.
"La trompette retentira-t-elle dans une ville sans que le peuple soit dans l’épouvante, arrive-t-il un malheur dans une ville sans que l’Eternel en soit l’auteur ?"
s’écrie le Prophète (Amos 3:6).
Je voudrais trouver les mots pour vous toucher et vous convaincre, je voudrais voir vibrer enfin l’âme de cette enceinte, je voudrais faire pénétrer en vous la conviction que ce Roch Hachana pourrait être pour vous une date cruciale, décisive pour toute votre vie à venir. Nous arrivons aujourd’hui à l’apogée d’une épreuve, d’une longue épreuve de malheurs et de souffrances. Plus que jamais sont vraies les questions rituelles que demain encore nous répéterons et qui constamment sonnent à nos oreilles.
"Qui vivra et qui mourra ? Qui périra par l’Epée et qui périra par la faim ? Qui sera sauvé de la misère et qui y sera plongé ?"
Et demain, nous dit la Tradition, D., le Juge, va rendre Son arrêt. Comment rester insensible dans de telles conjonctures ? Et si malgré tout nous le restons, si ces pensées nous laissent froids et indifférents, parce qu’au lieu d’un cœur de chair, nous avons un cœur de pierre, alors, mes amis, c’en est fait de nous. Car nous n’aurons pas su comprendre l’épreuve du malheur, nous n’aurons su lui donner la réponse, la solution qu’elle attendait de nous. Encore beaucoup moins saurons-nous résister à l’épreuve du bonheur, car le bonheur, lui aussi, est une épreuve. Le malheur, lui, nous relie sur nous-même, le bonheur nous en divertit, la souffrance nous fait réfléchir, la joie nous distrait. Seules les âmes les plus hautes savent résister vraiment à l’épreuve du bonheur. Et c’est pourquoi il est nécessaire, il est urgent, vous dis-je, de répondre à l’appel de D. qui par la voix du שופר (shofar) et par la voix de Ses prophètes vous appelle et vous dit (Ezéchiel 33:11) :
שובו שובו מדרכיכם הרעים ולמה תמותו בית ישראל – "Revenez, revenez de vos voies mauvaises, pourquoi donc mourriez-vous, maison d’Israël, revenez enfants rebelles, Je veux guérir vos infidélités".
Or, mes amis, il est des temps particulièrement propices pour implorer la miséricorde de D., il est des temps où D. se rapproche encore de Ses créatures.
דרשו ה' בהמצאו קראוהו בהיותו קרוב – "Cherchez l’Eternel quand Il se trouve, invoquez-Le tandis qu’Il est proche" (Isaïe 55:6).
Imaginez la force que représente aux yeux de D. tout ce faisceau d’ardentes prières montant vers Lui de tout Israël uni dans une même pensée d’humilité et de reconnaissance, toutes ces prières, véritables paroles de feu, brisant tous les verrous et surmontant tous les obstacles et apportant jusqu’au trône même du Créateur les pleurs et les supplications de Son peuple meurtri. C’est pourquoi je vous convie aujourd’hui à vous intégrer à tout Israël, à associer vos prières à celles de tout un peuple pour fléchir notre Juge divin, confiant en la célèbre et familière parole de notre Rituel de fête : ותשובה ותפילה וצדקה מעבירין את רוע הגזרה – Pénitence, prière et charité révoquent la rigueur de l’arrêt divin. Mais, mes amis, il n’est pas tout de pleurer et de se lamenter. C’est là une attitude passive et stérile, et vivre, c’est agir. Pénitence, prière, charité ont cela de commun que ce sont des actes où toute la personne est mise en jeu. Il ne s’agit pas de regretter ce que l’on a fait, mais il importe surtout de vouloir et d’agir pour que l’avenir soit autre. Il nous faut dès maintenant savoir clairement quelle voie nous voulons suivre, quel chemin nous voudrions voir suivre par nos enfants. Il nous faut une devise, devise toujours présente à nos yeux et à notre esprit. Cette devise existe, elle est simple, elle est claire : תמים תהיה עם ה' א' – "Tu seras entièrement avec l’Eternel, ton D." (Deutéronome 18:13). Et cette devise se résume en quelques principes aussi clairs, aussi précis, aussi simples. Ces principes, les voici.
Il faut d’abord que nous ayons conscience de notre judaïsme. Non pas la conscience d’être d’une essence différente des autres, ce qui ne correspond à rien et certainement pas à la réalité, mais la conscience d’appartenir à une communauté unie par un passé riche de gloire et de souffrance et unie surtout dans l’avenir par une mission commune. Trop nombreux sont ceux qui, méconnaissant ces vérités, ont voulu échapper à la malédiction apparente qui plane sur Israël et ont tenté de trahir leur origine et d’esquiver leurs responsabilités en essayant de disparaître dans la masse de ceux qui nous entourent. La réalité des faits les a durement rappelés à l’ordre. Et ceux qui malgré tout voudraient opter pour cette voie connaissent au moins tous les aléas du chemin où ils s’engagent, méprisés et rejetés par ceux qu’ils quittent, honnis par ceux qu’ils recherchent, en butte souvent aux remords de leur propre conscience, ils pourront toujours végéter comme de misérables épaves.
Mais comment aurait-on conscience d’une chose que l’on ignore ? Cette conscience de notre judaïsme, cette conscience de notre origine et de notre appartenance ne saurait naître en nous, ne saurait exister sans la connaissance de ce même judaïsme. Or seule l’étude mène à la connaissance. D’où pour nous le plus impérieux des devoirs d’étudier, de connaître et surtout de faire connaître à nos enfants l’histoire, la doctrine, la mission, toutes les beautés et toutes les richesses de notre judaïsme. Et nous n’aurons plus besoin que d’autres, que des étrangers viennent nous dire que notre histoire n’est pareille à nulle autre et que notre patrimoine renferme les trésors les plus incomparables.
Et cependant cette étude ne sera pas complète si elle ne nous mène qu’à la connaissance pure. Car l’esprit seul sera intéressé alors que c’est l’homme tout entier qui doit être engagé. Tous nos actes, toute notre vie devront être la résultante de cette étude, aussi bien nos actes envers D. que ceux envers nos semblables et envers nous-même, car c’est là tout l’homme.
"Tu aimeras l’Eternel ton D. de tout ton cœur, de toute ton âme et de tous tes moyens", dit un de nos textes les plus familiers (Deutéronome 6:5). Tu L’aimeras en observant Ses commandements, en Le sanctifiant par toute la haie de pratiques qu’Il a élevées autour de toi. Tu seras entièrement avec l’Eternel, ton D. – D. est un, et Sa תורה (Torah) est une. Il ne nous appartient pas d’amputer cette Torah, de faire un tri et d’accommoder la loi divine à nos commodités humaines. Certains prétendent que c’est singulièrement rétrécir sa vie et son horizon que de se laisser emprisonner dans les barreaux étroits de ces pratiques. Ils ne songent pas, ou plutôt ils sont incapables de comprendre que c’est grâce à ces pratiques, et grâce à elles seules, parce qu’elles portent en elles une source de vie jamais épuisée mais toujours renouvelée, que Israël vit encore et toujours et continuera à vivre.
Tu aimeras ton D., tu L’aimeras à travers Ses créatures. L’homme est un, il ne saurait être juif à la synagogue seulement mais il le sera dans tous les actes de sa vie, dans tous ceux qui le mettent en contact avec ses semblables. Tous les actes de notre vie doivent être sanctifiés, purifiés par le sentiment religieux qui doit les guider. C’est être bon juif que d’être honnête en affaires, être juste, équitable, charitable, c’est être bon juif que de rester modeste et discret, c’est être bon juif que de vivre en bonne intelligence avec tous ceux qui nous entourent, de leur rendre service dans la mesure de nos moyens, de leur pardonner, s’ils nous ont offensés. Comme c’est faire acte de mauvais juif que de se laisser aller sans frein au gré de ses instincts naturels, que de mener une vie dissolue, médire des autres, répandre des calomnies, garder rancune, étaler une jactance qui touche à l’indécence. Il est étonnant, il est triste que ces choses doivent être dites, mais vous m’accorderez tous qu’il fallait qu’elles le soient.
Mes amis, la sonnerie du shofar, appel au retour et à la pénitence, est aussi annonciatrice de joie, de victoire, et de paix. Victoire sur nos ennemis et victoire sur nous-même, paix en nous-même et paix dans le monde. Laissons à Celui qui sonde les cœurs le soin de lire en nous-même et de nous juger. Oubliant moi-même résolument ce soir toutes les causes de discorde, de mécontentement, d’énervement, tous les dissentiments qui ont pu nous diviser, je vous adresse à tous, du fond de mon cœur, le vœu millénaire de tradition en Israël לשנה טובה תכתבו – Soyez inscrits [dans le Livre de la Vie] pour une bonne année
Roch Hachana (2)
יום הדין, יום תרועה, יום הזכרון
"Jour du jugement, jour de la sonnerie du shofar, jour du souvenir" (Lévitique 23:23)
Telle est la triple signification de cette fête que nous célébrons aujourd’hui. C’est pourquoi, mes amis, je vous invite, tout d’abord, à élever nos pensées vers D., ce D. qui nous apparaît aujourd’hui dans Sa toute-puissance de Roi et de Juge Suprême du monde et des hommes. Jadis, c’était le shofar dont l’appel strident devait nous arracher à nos préoccupations et à nos divertissements quotidiens et nous diriger vers des méditations plus sérieuses. Depuis trois ans déjà, cette voix émouvante et évocatrice, riche en résonances intimes ne retentit plus pour nous. Nous n’en avons plus que le souvenir. Mais par contre, bien des événements se sont produits depuis lors, dont la compréhension aurait pu et dû nous amener à ces mêmes méditations. Mais j’ai bien peur, mes amis, que tout comme nous avons été naguère rebelles à cet appel du shofar et qu’il n’a jamais laissé sur nous qu’une impression bien éphémère et sitôt effacée, cette fois encore, nous opposons à ces événements notre inertie et notre incompréhension. Et pourtant, plus que jamais, nous arrivons à un tournant décisif de notre vie.
Roch Hachana, la tête de l’année, le Nouvel An devait toujours représenter plus qu’un simple moment dans le rythme indifférent des jours qui s’écoulent. Ce devait toujours être surtout un renouveau en nous-même, un véritable moment dans notre vie intérieure, une nouvelle direction à imprimer à notre manière de voir, de sentir, d’agir. Mais aujourd’hui surtout, cette fête prend une signification toute particulière, Roch Hachana prend toute sa valeur. Car rendus bientôt à la vie civile, revenus à une vie normale, nous allons avoir à vivre véritablement une nouvelle vie. Ce sera une vie différente de notre vie actuelle, mais différente aussi de celle que nous avons vécue jadis, avant d’avoir pris le chemin de la captivité. Elle doit même être différente de notre ancienne vie, car c’est elle, en grande partie, la cause de notre malheur. Et pourtant combien peu d’entre nous se sont préoccupés déjà de l’attitude morale et religieuse qu’ils comptent adopter dans cette nouvelle vie. Qui d’entre nous s’est préoccupé de la place que prendra dans sa vie son judaïsme, de la manière dont il l’appliquera. Et qui d’entre nous, enfin, a pensé déjà à l’éducation qu’il compte donner à ses enfants ou les laissera-t-il aller à la dérive sur le chemin que nous-mêmes avons commencé à suivre. Songez seulement au chemin parcouru déjà depuis la route suivie par vos parents et la voie qui est la vôtre. Pour eux, le judaïsme est encore partie intégrante de leur être, pour beaucoup d’entre vous, c’est déjà un bagage encombrant. C’est qu’en réalité, nous vivons dans un demi-sommeil. Les anciennes habitudes ont été remplacées par des nouvelles et ces nouvelles même sont déjà routines. Aforce de jeux et de divertissements, nous nous abrutissons littéralement et la lecture des communiqués est devenue notre nourriture spirituelle. Eh bien ! Il est urgent enfin de secouer cette torpeur, de comprendre enfin l’appel du shofar et l’appel du prophète, lorsqu’il nous crie : שובה ישראל עד ה' א' – "Reviens, Israël, jusqu’à l’Eternel ton D." (Osée 14:2).
Si Roch Hachana est le jour du jugement, le jour de la royauté de D., Roch Hachana est aussi le jour du souvenir. Et c’est pourquoi je vous convie à adresser avec moi nos pensées à nos parents et à nos proches qui eux aussi, en ce jour, tout particulièrement pensent à nous ! Déjà nous voyons miroiter dans un avenir proche le jour heureux où nous les reverrons. Certes, beaucoup d’entre nous ne reverront plus tous ceux qu’ils ont quittés. Je ne crains pas de mêler cette note de tristesse à la joie de la fête, car c’est une fête austère que nous célébrons. Nous nous associons à leur deuil, nous partageons leur tristesse, mais seule saura l’atténuer leur volonté et leur désir de ressembler à l’image que se sont faite d’eux ceux qu’ils ont perdus.
Jour du jugement, jour du souvenir, jour de la sonnerie du shofar. La voix dushofar, appel au retour et à la Pénitence, est appel au souvenir, la voix du שופר est aussi annonciatrice de joie et de victoire. C’est elle qui précède la venue du Roi, elle qui précède la venue du Libérateur et telle était la pensée du Psalmiste lorsqu’il proclamait : אשרי העם יודעי תרועה ה' באור פניך יהלכון – "Heureux le peuple qui entend le shofar, Eternel, il s’avance à la lumière de ta face" (Psaume 79:16).