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"Le judaïsme nous enseigne la sainteté dans le temps. Nous devons nous attacher aux événements sacrés, nous devons apprendre à consacrer les sanctuaires qui émergent du grandiose écoulement de l'année."
Faut-il maintenir à tout prix le "Yom tov shéni shel galouyoth", ce deuxième jour de fête célébré traditionnellement dans la Diaspora? Ne serait-il pas possible, à l'exemple d'Erets Israël, de n'observer que sept jours à Pessa'h un à Shavouoth, huit à Soukoth - en unfiant
Shemini Atséreth et Simhath-Torah ? Mieux encore ! n'est-il pas ridicule de considérer comme férié et sacré dans les pays de la Gola un jour "profane", ordinaire en Terre Sainte ?
La question, sans doute, n'est pas nouvelle, il y a plus d'un siècle les partisans de la Réforme et les adeptes du judaïsme libéral ont passé au crible de leur critique le "Yom tov shéni" avant de le rayer définitivement de leur calendrier - sans oublier, bien entendu, le deuxième jour de Rosh-hashana qui, doué d'un statut particulier, a toujours été respecté même en Erets-Israël. A la même époque, les Rabbins de Mantoue adressaient, en désespoir de cause une "sheéla"à ce sujet à une autorité de grande réputation, le grand rabbin de Salonique, Acher Covo. Les commerçants de leur ville leur demandaient instamment "de supprimer le deuxième jour de Yom tov, à l'instar de ce qui se fait en Terre Sainte, car le chômage de ce jour représente une très grande perte matérielle ; il fait donc partie de ces institutions que la majorité du peuple ne peut supporter et qu'il est loisible, par conséquent, de supprimer." (Ch'aar Acher, Tech : 8). Le grand rabbin Covo répondit, entre autres, que, du point de vue purement légal, il s'agissait d'une de ces institutions - établies dès l'origine pour toutes les générations à venir et répandues dans tous les pays de la Diaspora, ce qui lui conférait un caractère sacré tel qu'il devenait impossible de les modifier ou de les abolir.
Aujourd'hui cette question connaît un regain d'actualité et se pose même souvent dans les milieux, au demeurant, sincèrement attachés au judaïsme traditionnel. Quelle contrainte pénible, quelle gêne représente ce second jour de fête, qu'on observe sans conviction, ne voyant en lui qu'un fade reflet du précédent ! Loin de goûter la bénédiction que la Solennité doit introduire dans notre existence, on se montre surtout sensible aux difficultés et au manque à gagner qu'elle entraîne, car elle ne semble plus avoir de solides fondements religieux. Une telle conception n'est pas sans lien avec la résurrection de l'État d'Israël et les contacts étroits et fréquents qui unissent, par ailleurs, fort heureusement Israéliens et Juifs de la Diaspora. Les touristes qui passent les Fêtes en Israël et prennent conscience concrètement des réalités israéliennes voient autour d'eux les Juifs travailler le deuxième jour de Yom tov alors qu'eux-mêmes sont tenus de chômer. Quant aux Israéliens qui se trouvent à l'étranger soit par ignorance du Dîn, soit par un chauvinisme bien mal placé, ils estiment être dispensés du "Yom tov shéni" ( et c'est tout juste s'ils ne se proposent pas pour servir de "shavesgoï" à leurs frères de la Gola. Or la Halakha est très claire à ce sujet et prescrit que l'Israélien qui désire retourner en Erets, mais qui vit, en Gola, dans un endroit habité par des Juifs, doit observer, même chez lui, dans l'intimité, le repos du second jour. S'il est accompagné de sa femme, il doit totalement adopter la Règle du juif de la Gola. C'est ainsi que, de façon bien paradoxale, l'existence de l'un de nos plus beaux "sanctuaires" se trouve menacée. Et de crier haro sur les rabbins timorés qui n'ont pas le courage de procéder à des modifications que le simple bon sens justifie pleinement ! Il m'a donc paru utile, sinon de jeter un cri d'alarme, de donner au moins à cet égard quelques avertissements.
Voici tout d'abord un bref aperçu sur l'origine du "Yom tov shéni shel galouyoth". A la différence du Shabath qui réapparaît automatiquement chaque semaine, les Fêtes doivent être proclamées : "Voici les Fêtes que vous proclamerez en leur temps." (Lévitique 23:4). La Michna de Rosh Hashana (2 et ss.) rapporte que jadis des guetteurs postés sur un observatoire près de Jérusalem, s'empressaient d'alerter le Sanhédrîn, le Tribunal suprême, dès qu'ils avaient aperçu la nouvelle lune. Le Nassi annonçait alors solennellement le nouveau mois en le déclarant "sanctifié", et le peuple, après lui, répétait "sanctifié, sanctifié !" C'est la mitsva de la "Sanctification (du mois) d'après l'observation (de la lune)". Ce n'est que par cette cérémonie, cette proclamation, que la néoménie était fixée et qu'était déterminée ipso facto la date exacte des festivités de ce mois. Anciennement pour propager la nouvelle, on allumait des feux de proche en proche, de sommet en sommet "jusqu'à ce que la Diaspora entière apparût comme un grand brasier" (Rosh Hashana). Lorsque les Samaritains firent du sabotage en allumant des feux hors de propos pour jeter la perturbation, on décida d'envoyer des messagers qui partaient dans toutes les directions pour informer la Palestine et les communautés de la Gola. Celles qui, du fait de leur éloignement, ne pouvaient être atteintes dans un délai de dix jours, célébraient, pour éviter toute profanation, deux jours de Yom tov - les prévisions sur Rosh 'Hodesh ne pouvant varier que d'un jour. Ce fut pratiquement le cas de tous les Juifs vivant en dehors d'Erets-Israël.
Mais alors, demande la Guemara (Betsa 4b), maintenant que nous connaissons parfaitement par le calcul la fixation de la néoménie, que nous sommes dans le cas de ces communautés qui, prévenues à temps par les messagers, n'observaient qu'un seul jour de fête, pourquoi continuons-nous à célébrer le deuxième ?
C'est qu'Ils (le Patriarcat de Palestine) ont envoyé le message suivant : Conservez soigneusement l'usage de vos ancêtres, il se pourrait qu'un jour, par suite de persécutions religieuses, l'étude de la Torah soit proscrite, que les règles délicates du calendrier tombent dans l'oubli et que des erreurs graves en résultent (une erreur d'un jour pourrait entraîner, par exemple, à consommer du 'hamets à Pessa'h). Selon une Tradition accréditée notamment par R. Haï Gaon et Nahmanide, il s'agit ici du message adressé par le Patriarche Hillel II, le très lointain descendant de la grande lignée de Hillel l'Ancien et le plus illustre de ses derniers représentants. Il vécut au quatrième siècle, sous le règne de l'empereur Constance II, une période de troubles, de persécutions, de répressions terribles. Les dernières yechivoth palestiniennes étaient détruites, la chaîne de la Semi'ha rompue. Dans l'impossibilité de maintenir désormais la "sanctification solennelle du mois" à laquelle pouvaient procéder seules les autorités religieuses revêtues de cette Semi'ha, Hillel II et son Beth Dîn mettaient définitivement au point le calendrier et ses règles et, prévoyant la ruine complète du judaïsme palestinien à brève échéance, ils les transmettaient aux Sages de Babylonie, tout en leur demandant de maintenir l'usage des deux jours de fête.
A première vue cette recommandation ne semble s'expliquer que par un respect, louable sans doute, pour les choses du passé, sans la moindre base logique. De quoi s'agit-il en réalité ? Pour bien comprendre la mitsva de la "sanctification du mois et de la proclamation des fêtes", il convient d'approfondir la signification du mot "Moëd" qui, dans la Torah, désigne la fête.
S.R. Hirsch, dans une page remarquable de son commentaire de la sidra "Bo", expose comment le "moëd" est un "rendez-vous" fixé entre D.ieu et Israël, une rencontre choisie librement de part et d'autre. D.ieu désire cette rencontre, mais Il laisse son peuple libre de la décider d'une manière précise afin de manifester que ni la néoménie - qui est aussi "moëd", ni les fêtes ne sont la conséquence de la conjonction astronomique de la lune et du soleil, mais bien le résultat d'une initiative prise en toute liberté. Le renouveau de la lune n'est que l'image, que l'occasion de notre propre renouvellement intérieur, sa conjonction avec le soleil que le symbole de notre union avec D.ieu.
Ainsi se comprend le message que le Patriarche Hillel II transmit aux Juifs de la Gola, lorsque par la force des événements il fut réduit, comme un pis-aller, à lui confier le calendrier qui fixerait désormais de manière indélébile ses néoménies et ses fêtes. Le sens véritable du "moëd" risquait d'être complètement méconnu : aussi est-ce le deuxième jour de fête seulement qui conservant le souvenir de l'époque glorieuse où la chaîne de la Semi'ha n'était pas rompue, et où sanctification du mois et proclamation des fêtes donnerait à ces dernières leur valeur authentique.
Parchemin du Décalogue , Yekuthiel Sofer 1768 |
L'Écriture, on le sait, n'indique pas autrement d'une manière précise la date de la fête du Don de la Torah. Dans le Talmud, on en discute : La Torah fut-elle donné le 6 ou le 7 Sivan ? C'était le 7, selon l'opinion de R. Yossé. N'empêche que nous avons fixé la fête au 6 Sivan et nous la proclamons "Époque du Don de notre Loi". Un autre texte présente la même ambiguïté : la Torah devait être donnée le cinquantième jour après Pessa'h, mais d'après l'opinion unanime des Rabbins, la sortie d'Egypte a eu lieu un jeudi et la Révélation un Shabath, donc le 51ème jour seulement. C'est que Moïse ajouta, dit le Talmud, un jour de sa propre initiative et le Saint béni soit-Il lui donna son assentiment. (Shabath, 87a).
Tous ces textes; et le dernier surtout, constituent des allusions claires au deuxième jour de fête de l'Exil. C'est hors des frontières d'Erets Israël que la Torah fut donnée et c'est pourquoi Moïse ajouta un jour et son initiative fut approuvée. Nous proclamons "Époque du Don de notre Loi", mais l'essentiel n'est-il pas de la revivre en soi ? "Si nous plaçons de la verdure, si nous étendons de la verdure autour de nous, ce n'est pas pour nous souvenir simplement d'une Révélation qui a eu lieu dans le temps. Il y a Révélation, elle vit, elle existe. Elle n'a pas eu lieu dans le passé pour ne nous laisser que son souvenir. Ce qui a eu lieu alors a lieu ici... Nous ne reproduisons pas l'image de ce qui fut, nous aménageons nous-mêmes le lieu, nous espérons nous-mêmes la sanctification. Quand un homme le mérite, a dit le Rabbi de Berditchev, il entend à chaque Fête des Semaines la Voix qui proclame : "Je suis le Seigneur ton D.ieu..." (M. Buber, Gog et Magog, p. 110). Il disait encore : Chaque année, à pareille époque, une grande lumière brille, comme celle dont ont joui nos ancêtres à la Sortie d'Égypte et à l'heure de la Révélation. Par l'accomplissement des mitsvoth, nous recevons nous-mêmes un éclat de cette lumière et de cette sainteté. Le Saint, Béni soit-il, voulait donner la Tora le 6 Sivan, Sa Parole et son Intention première subsistent à jamais en ce jour, comme y luit aussi la flamme de la Révélation. Accédant au désir de Moïse, D.ieu prolongea d'un jour son action, illuminant également le 7 Sivan de Sainteté pour toutes les générations qui vivraient dans la Dispersion. Le caractère particulier de la Terre Sainte permet de saisir en un jour l'éclat de cette splendeur divine, il en faut deux au moins, dans la Gola, pour la ressentir et s'en pénétrer dans sa plénitude.
Tel paraît être également le sens de ce Midrach, sur le Cantique des Cantiques (1:6): "Ils m'ont fait garder les vignobles..." ; La Communauté d'Israël dit devant le Saint béni, soit-il : En Erets Israël, j'observais un jour, et maintenant j'en observe deux. Je pensais recevoir la récompense pour les deux, mais elle ne m'est accordée que pour un jour seulement".