KOL NIDRE 5773 (2012)
Allocution de M. le Grand Rabbin René GUTMAN


Cette année, nous avons tous, été témoins d'événements qui, je le crois, ont au moins pour le premier, bouleversé notre conscience de juifs de France.
Il y a eu, cette attaque meurtrière contre les élèves et professeurs de l'école juive de Toulouse, où trois enfants, et le père de l'un d'entre eux, furent sauvagement abattus, à bout portant.
Et il y a eu, au courant de cette même année, un débat national, sur l'abattage rituel. Des mots ont été publiquement prononcés, mettant en question la cohérence de ces rites ancestraux.
Et puis, il y a ce jugement, rendu en Allemagne, qui, bien que n'interdisant pas, explicitement la circoncision, menace tout Mohel d'être inculpé pour coups et blessures volontaires contre un enfant mineur.
A un tout autre niveau, le Président de l'Iran actuel dit, et répété, publiquement ce qu'il veut – et qu'il est en mesure d'avoir : de l'uranium enrichi ! Et il dit, et il répète, publiquement, ce qu'il souhaite : la disparition de l'Etat d'Israël.

Aucun Juif, contemporain de ces événements-là, ne peut ignorer, que ce qui est mis en cause par ces événements, ou les idées, qui les accompagnent, fussent-ils différents, et non comparables eu égard au caractère tragique de l'attentat de Toulouse ou à la menace nucléaire qui pèse sur Israël, c'est le fait même d'être Juif !!

Pourquoi ? Au-delà de l'antisémitisme, et de l'antisionisme, qui a motivé le crime de l'Ecole Ozar Hathora, ou qui nourrit la folie meurtrière du Président et des Mollahs iraniens, il faut en chercher les causes, non pas dans les forces politiques ou religieuses, qui nous seraient hostiles, car ce n'est, ni le christianisme, ni l'Islam de France qui menacent notre existence, mais dans une certaine conception de l'Histoire, qui conteste au Judaïsme, et à l'Etat d'Israël, sa prétention à préserver, et à transmettre, la conscience juive, ce qui équivaudrait à la fin du Judaïsme !

Cette prétention, c'est quoi ? C'est d'exister, à part, dans l'histoire politique du monde, c'est-à-dire en restant fidèles à une tradition, aussi antique que la circoncision, ou aussi rigoureuse que la shehita. C'est défendre notre vocation, à travers une culture, une loi, une langue, et la nostalgie pour une Terre promise. En deux mots : demeurer libres ! Libres à l'égard des événements, et à l'égard de l'Histoire. Assumer cette conscience-là, c'est en effet, prétendre être un peuple éternel qui s'est maintenu depuis 2000 ans parmi les nations. Non pas seulement, parce qu'il a miraculeusement survécu à l'Histoire, mais parce qu'il a su, d'emblée, depuis Abraham, "Abraham ha-Ivri", refuser le diktat de l'Histoire. Et s'affirmer comme un peuple singulier, et une référence morale à travers l'histoire, que le Prophète Isaïe, pourtant sévère vis-à-vis de son peuple, a qualifié de "Or Lagoyim", lumière des Nations !
Or, c'est bien cela, que nous objectent, ceux qui considèrent qu'il n'y a pas de peuple éternel !
Ceux-là mêmes qui prônent, que tout peuple, fait partie de l'histoire générale, et qu'en tant que tel, il doit pouvoir s'assimiler, s'absorber, et pour finir, disparaître ! Car, ce qui serait éternel, si quelque chose devait être éternel, ce serait l'Histoire universelle, c'est-à-dire l'histoire indifférenciée, où toutes les civilisations qui s'y trouvent, se valent. Une Histoire qui, elle-même, à l'image d'une encyclopédie, n'aurait, pour fonction, que de recueillir l'héritage des peuples disparus !

Comment dès lors, résister à cette velléité d'assimilation, mettant en cause les rites les plus profondément attachés à l'âme juive ?
Si l'on veut demeurer citoyens d'une grande nation, comme la France, participer à ses valeurs, assurer les devoirs qui en découlent, mais rester juifs, il faudra, désormais, chers Amis, se résoudre à une discipline nouvelle !
Il s'agira de trouver, ailleurs que dans les cérémonies familiales, ou dans la Mémoire du passé, des idées concrètes, qui puissent contrebalancer, dans notre vie quotidienne, les influences imperceptibles, mais réelles, introduisant, non pas une révolte auprès de nos jeunes, mais pire encore, une apathie étrange, à l'égard du judaïsme.
Il nous faudra, des trésors d'imagination spirituelle, et culturelle, qui puissent s'y substituer, pour que la chaîne des générations soit assurée contre la dissolution ! Il faudra ressusciter le Limoud, l'étude, qui sera impossible, sans le retour à l'hébreu, et aux textes fondateurs !

La solidarité avec l'Etat d'Israël, et l'intérêt vivant pour cet Etat, continueront certes, à alimenter notre fibre juive, mais ils ne suffiront pas, à entretenir une flamme juive dans des foyers, déjà submergés par les lumières des technologies nouvelles, et l'invasion des réseaux sociaux. Le réveil d'une curiosité pour les grands livres du Judaïsme, comme la Michna, ou le Talmud, la nécessité de leur appliquer, non pas une pensée simplement émue, mais une pensée exigeante, seront la condition principale, de la survie de notre Communauté, dans la mesure où, tout se ramène, en fin de compte, au problème de l'éducation ! Problème qui se pose, dès le Talmud Torah, d'une façon crue, mais ce soir de Kippour, sans tabou : voulons-nous, encore, être Juifs ? La réponse ne pourra, bien évidemment, n'être que collective !

Et pourtant, le rituel de Kippour a placé l'homme, dans une solitude totale, et sans intermédiaire devant le trône de D., qui le juge lui seul, sur ses propres actes, et sur les pensées de son seul cœur. Car, lui seul sera jugé ! Mais, tout en s'avançant sous l'œil du juge, et dans une totale solitude, le voilà aussitôt, reconnu comme membre d'une Communauté tout entière rassemblée ! En effet, celui qui voudra bien lui pardonner, en ce jour de réconciliation entre D. et l'homme, le fera, en même temps qu'il aura pardonné, à toute la Communauté d'Israël et à tous les étrangers, qui habitent avec lui, "Ki le Khol ha âm, bichegaga", "car tous, dans le peuple", comme nous le clamerons ce soir dans notre Tephila, "n'ont agi, que par inadvertance".

Croire que l'on peut lutter contre la dissolution, contre l'assimilation, que l'on peut construire l'avenir, et retourner à D. sans rassembler vos "dispersés", c'est-à-dire ce qu'il y a de "dispersé" en nous, pour reprendre les termes de la prophétie, ce serait consentir, à un retour, fondé sur la mauvaise foi ! A nous, Rabbins et Administrateurs, de tout faire, pour que notre résistance, notre cohésion, que beaucoup nous envient, soit renforcée par la confiance de tous nos fidèles, et élargie, ensuite, par l'adhésion d'un nombre grandissant de ceux qui, jusqu'à présent, se sont tenus à l'égard de la Communauté, éloignés, ou incertains.

C'est parce que nous croyons, à l'excellence du Judaïsme, à son prestige, et aux vérités sur l'homme et sur la vie, que nous pouvons encore transmettre ! La Religion a écrit un jour le philosophe E. Lévinas, n'est pas dans les réponses ; elle est dans les questions ! A nous de nourrir, demain, la soif qu'ont nos enfants de vérités vivantes, pour que vive la Communauté de demain !

C'est sur ce vœu que j'adresse, maintenant, la bénédiction suprême de vous voir tous inscrits et scellés dans le Livre de la vie !


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