A l'époque où le service de Yom Kippour avait lieu dans le Temple de Jérusalem, deux figures incarnaient le rituel d'expiation.
Deux personnages, évidemment aux antipodes l'un de l'autre, puisque, l'un était le Cohen gadol, le grand prêtre et l'autre, le "seïr laazazel", le bouc émissaire.
Le Cohen gadol était désigné pour accomplir ce rite, qui consistait en particulier à entrer dans le "Kodesh haqodashim", le saint des saints, à procéder aux sacrifices du jour, ainsi qu'à la préparation de l'encens qui était porté jusqu'à l'Arche sainte face à laquelle il restait jusqu'à ce que le "Kodesh haqodashim" soit empli de fumée. Son service s'achevait, vous le savez, par une courte prière, et ce rituel était couronné par une grande fête qu'il organisait pour remercier D. d'être entré et sorti en paix du saint des saints.
L'autre personnage – si je puis dire – de cette sainte journée, était le bouc émissaire. Un animal tiré au sort par le Cohen gadol, plutôt mal fichu, et qu'on conduisait au-dehors du temple vers le désert, après avoir été chargé des fautes du peuple d'Israël.
Tout en étant différents tous deux – leur rôle n'en était pas moins égal. L'un comme l'autre était désigné pour montrer toute la différence de dignité qui se jouait entre eux durant cette journée par ces deux personnages.
D'une part, le Cohen gadol, dont le service commençait à l'extérieur, pour se diriger jusqu'à l'arche sainte. C'est là qu'il mentionnait le Nom ineffable, pendant que les Cohanim et le peuple se prosternaient et tombaient à terre.
Le bouc émissaire lui, faisait le chemin inverse ! Il se déplaçait du sanctuaire vers les marges du monde. Il ne portait pas d'offrandes, mais tous les péchés d'Israël, tout ce qui avait été brisé, déplacé, déraciné. Tout ce qu'il était difficile et douloureux de rétablir, ou de réparer. En lui, se concentraient tous les mots refoulés, toutes les haines enfouies, et toutes les hontes accumulées au cours de l'année. Qui accompagnait le bouc émissaire? Non pas le Cohen, mais celui que la Thora appelle "Ich Iti", un homme désigné, presque par hasard, pour cet emploi temporaire qui consistait, ensuite, à le pousser du haut d'un rocher, et de l'en faire choir, afin qu'il ne revienne pas vivant.
Quel chemin allons-nous, nous-mêmes, emprunter ce soir ? Est-ce celui qui nous conduira vers les portes de cette Synagogue, ou bien irons-nous nous perdre dans le désert de nos errances ?
Sans aucun doute, le grand prêtre, comme le bouc émissaire, nous enseignent ici quelque chose de crucial et qui est à l'œuvre le jour de Kippour.
Dans son ouvrage La naissance du désir, Jean Richard Freymann appelle cela "l'intentionnalité du sujet". A la fois demande, désir et pulsion. Et ce désir inconscient, dit-il, il peut vous traverser, et peut vous harceler, jusqu'au moment où vous l'entendez. Mais déjà vous ne pouvez plus fonctionner comme s'il n'existait pas ! Vous pouvez attendre six mois, dix ans, quinze ans, tôt ou tard cela se fera, même si c'est près de la tombe. Rien ne vous sera épargné pour cacher à tout prix cette intentionnalité – et vous aurez beau vous battre – ajoute-t-il – toute votre vie, ce souhait sera toujours là, vous ne mourrez pas avant que ce soit réalisé. Mais c'est vous et vous seul qui en déciderez !
Ou bien c'est résolu, ou bien j'abandonne, ou encore, cela suffit !
Ce soir, à l'instar du Cohen gadol, chacun d'entre nous est venu, avec cette intentionnalité-là, c'est-à-dire, avec cette particularité foncière et générale, qu'à la conscience, d'être conscience de quelque chose qui lui tient profondément à cœur ! En sorte qu'à la 25ème heure, au moment où le shofar retentira à l'heure de la Néïla – chacun de nous pourra dire dans son cœur, non pas "j'abandonne", non pas "cela suffit", mais bien : "je suis résolu !" Prêt, à travers le désir pénétrant et enveloppant du repentir, d'entamer le chemin du Cohen gadol. Prêt à se reconstruire, et à se recréer. Et si, durant l'année, il nous est arrivé de ressembler à ce bouc émissaire, préférant fuir sans espoir et sans désir, loin de ce sanctuaire, au risque de nous perdre dans le désert, nous voilà prêts ce soir à avancer vers cette mystérieuse rencontre avec le Très Haut ! Telle est la surprise de Yom Kippour ! qui nous donne l'occasion unique "Ah'ath bashana" de nous engager dans la voie d'un repentir lucide – fussions-nous encore ce soir, par rapport au Cohen gadol et au bouc émissaire, un peu l'un – un peu l'autre ! Or notre Communauté a elle aussi besoin de se reprendre ! Quel autre moment plus vrai que celui-ci pour le dire? Oui ! notre Communauté a besoin d'un nouvel élan, que certains d'entre nous ne retrouvent plus en elle, pour se recréer, recommencer, et faire preuve de ce dont peut être capable sa volonté, de prendre en main ses destinées !
Cet idéal, nous pourrons cette année qui vient, le trouver, dans une ouverture tous azimuts vers l'ensemble des Juifs de Strasbourg et du département, enjeu des prochaines élections communautaires ! Avouons-le !
Au long des décennies, notre Communauté s'était imaginé pouvoir mener, entre ces hautes voûtes, une existence distincte de tout ce qui bruissait de vie juive, à l'extérieur, insensible, ou parfois étrangère, à tout ce qui se construisait autour d'elle !
Tout cela est, aujourd'hui, évidemment complètement dépassé et nous l'avons tous compris !
Yom Kippour nous convoque, pour qu'à l'instar du Cohen gadol, chacun d'entre nous se sente appelé à rassembler, et à recréer cette Communauté, afin qu'elle redevienne ce à quoi son grand destin l'a toujours appelé, et qui en faisait un modèle pour le Judaïsme français, et un sujet d'admiration pour les Communautés juives à travers le monde, comme en témoigna, ici même, il y a un an, le Grand Rabbin Israël Meir LAU.
Pour cela, il s'agira de faire en sorte, qu'elle cesse de vivre pour elle-même, et en dehors des réalités du judaïsme strasbourgeois actuel ! Il faudra qu'elle corresponde aux besoins, et aux attentes si diverses de tous nos fidèles, et même de nos moins fidèles ! Convaincue, que le judaïsme, à travers ses lois, ses traditions, sa culture, contient des réponses diverses, et parfaitement distinctes pour toutes sortes de Juifs, il lui faudra leur fournir les centres d'intérêt, adaptés à chacune de leurs aspirations.
Il va de soi, que la Communauté doit, pour cela, être ouverte à tous les fidèles, et en particulier à tous les jeunes, dans une mutation institutionnelle qui, seule, peut nous mettre en état de préparer l'avenir, qu'appelle d'instinct, notre jeunesse dans une Communauté, où chacun pourra y exercer ses responsabilités !
Bref, il s'agit que la participation communautaire devienne la règle d'or, et le ressort, d'une Communauté renouvelée !
Voilà, chers frères et chères sœurs, le chemin qu'il faut suivre – celui du Cohen gadol, qui allait vers ce qu'il y avait à bâtir, à construire, à recommencer, et que mon mandat me commande de vous rappeler ce soir, puisque le destin de notre Communauté est en jeu !
Mais quand demain, je l'espère, vous en aurez ainsi décidé, et au moment où les sons du chofar traverseront les hautes voûtes de ce lieu, vous vous direz, non pas : j'abandonne, non pas : cela suffit, mais bien : je suis résolu ! Alors pourrons-nous, en dépit des heurts, des secousses, des indécisions comme des divisions, qui ont fragilisé notre Communauté, et certaines de nos Institutions l'année passée, nous retrouver tous, nous respecter mutuellement, et nous rapprocher les uns des autres dans une unité retrouvée !
Car finalement, c'est bien, au même titre que toutes et tous, nous sommes, comme l'ont été nos parents, et comme le seront nos descendants, les filles et les fils de la Communauté de Strasbourg ! Vous tous ! pour qui je prie D., de vous voir inscrits et scellés dans le livre de la vie. Amen !