Qui suis-je ?
Le shofar que l'on sonne à Rosh Hashana nous rappelle beaucoup d'événements. Il nous rappelle la ligation d'Isaac sur le mont Moriah, lorsque D. dit à Abraham de retenir sa main, et qu'au lieu d'immoler Isaac, il offre le bélier qui s'était enchevêtré dans un buisson. Il nous rappelle le don de la Torah sur le mont Sinaï, lorsque toute la montagne trembla au son grondissant du shofar. Il nous rappelle la sonnerie du shofar à l'année du jubilé, la cinquantième année annonçant la libération des esclaves et de la terre.
Le shofar fut aussi l'instrument qui provoqua la victoire sur Jéricho. On y sonna, lorsque le roi David apporta l'arche sainte à Jérusalem. Jérémie le compara a un cri de guerre, le prophète Joël y vit la préfiguration de la fin des temps, et chaque vendredi soir nous lisons au moment de l'entrée du Shabath , de la kabalath shabath, que c'est avec les trompettes et le son du shofar que l'on proclame l'accueil du Roi, le Saint, béni soit-Il.
Selon Maïmonide, la sonnerie du shofar à Rosh Hashana intervient comme l'éveil spirituel, le signal d'alarme sans lesquels nos vies resteraient à l'état léthargique, et seraient encore distraites par toutes sortes de trivialités à l'orée des jours redoutables.
Qui sait combien reste-t-il a l'homme de vivre encore ? Conscient cependant qu'il n'est pas éternel comme le lui rappellera le pathétique "ounessone tokef"
Sans doute les sources de bonheur ne lui manquent-elles pas ici-bas ! sa famille, ses amis… La satisfaction qu'il peut trouver dans son travail, et dans la stabilité économique dont sa vie dépend aussi.
Son sentiment d'appartenance a la communauté n'est pas l'une de ses moindres satisfactions, et, pourquoi ne l'avouerait-il pas, sa présence, aux offices des grandes fêtes, lui donne sûrement le sentiment, une fois l'an, de se trouver dans un havre de paix (quel que soit par ailleurs le brouhaha qui, hélas, y règne parfois !) par rapport à l'agitation et au bruissement médiatique dont il est l'otage toute l'année durant. Oui, un temps de recueillement aussi, comme une boussole ou un compas dans la tourmente des jours, ou à travers les vagues du temps.
Il n'est pas certain que sa présence à ces offices garantira sa santé ou son bonheur, (nous avons connu hélas, des exemples tragiques parmi nous, pour que cela puisse être encore prouvé) mais nous sommes tentés de penser qu'elle peut y contribuer!
Le judaïsme n'est pas là pour nous rassurer ni pour nous assurer d'un bonheur garanti sans que, nous-même, nous percevions notre vie comme une manière de vivre, un code de conduite où l'on se préoccupe des siens dans une familiarité et une intimité qui puissent se produire au sein de nos maisons comme une douceur qui se répande sur la face des choses et en garantisse l'intériorité (panim/penim).
Les prières quotidiennes, le kadich le jour du yartzeit de nos chers parents -auxquels nous devons au moins cela-, les offices du Shabath et des fêtes, sont là aussi pour articuler cette existence si malmenée, en nous aidant a y trouver un sens par le fait de nous retrouver avec notre famille et nos proches, à la choule comme à la maison, mais aussi en nous permettant de nous réinscrire ,chaque fois, dans l'histoire collective de notre peuple, et de nous arrimer a son destin.
C'est précisément ce que Maïmonide voulait nous dire en évoquant le rôle du shofar a Rosh Hashana. C'est l'appel qu'Hashem nous fait, et qui nous demande :"Ayeka" Où es-tu ? Où en es-tu? Qu'as tu fait de ta vie ? As tu été attentif aux choses de la vie, fussent-elles à tes yeux, insignifiantes ? As tu su rester attentif aux tiens, et toi cher fidèle, a ton interlocuteur, à ton voisin de choule, au sourire, ou au "Shabath chalom" qu'on t'a adressé ?
Et toi, chère Communauté, T'es tu consacrée aux choses importantes, ou seulement aux urgences ?
Le judaïsme est plein de ses détails, comme on a pu dire que Hashem est Lui aussi dans les détails, ces "arbaa amoth shel halakha", ces voies d'accès (halikha) qui permettent ce vivre ensemble entre toutes les composantes de la communauté, comme de tous ceux qui veulent - enfin - prier dans une synagogue qui soit conforme aux normes et que j'ai appelée de mes vœux depuis tant d'années , accueillante et vivante, sous peine de disparaître.
C'est par l'amour du prochain, les actes de 'hessed, de solidarité, de tsedaka, et de bénévolat, que nous fortifierons cette communauté en aidant chacun de nos membres à surmonter les crises qui nous attendent encore, les maladies et les deuils qui pourraient encore, à D. ne plaise, nous frapper. C'est en comprenant que ce que nous possédons, et que ce dont Hashem nous a gratifié, ne perdurera qu'à l'aune d'une générosité bienvenue, que nous serons assurés de Sa propre bienveillance à notre égard.
Les offices qui nous réuniront bientôt nous rappeleront enfin que nous ne sommes pas seuls, dans le bonheur comme dans l'adversité, que nous ne sommes pas seuls dans l'univers, mais qu'au cœur de toute l'existence, Il est un D qui nous a créés avec amour (olam be hessed ibane) qui écoute nos prières, et surtout, qui croit plus en nous, que nous n'y croyons nous-mêmes !
Oui, la vie est courte et l'homme sait qu'il n'est pas immortel, ("la journée est courte et la tâche est grande") mais il participe à l'éternité d'Israël , et il est, en quelque sorte immortel par les valeurs que la Torah lui inspire ici-bas.
Lorsque vous écouterez le shofar, pensez y, pensez à ce que, l'année nouvelle, vous serez prêt à faire pour vivre cette vie à nouveau promise, et puisse Hashem vous inscrire, vous et votre chère famille , et tout Israël dans le livre de la vie !
Leshana tova tikatevou outeh'atemou Bonne et heureuse annnée Grand Rabbin René Gutman |