Mes frères, mes sœurs,
Que n'évoquent en nos cœurs de français et de
juifs, souvenirs et sentiments, cette date symbolique du l4 juillet,
que nous fêtons demain.
Il y a 140 ans, la. Bastille s'écroulait
sans la généreuse poussée d'un grand peuple, ensevelissant sous ses
ruines tant séculaires injustices, tant d'iniquités
révoltantes, et le vent qui balayait ses poussières, s'en
allait porter au monde étonné la grande nouvelle :
l'Homme
avait pris conscience de
lui-même,
l'Homme avait conquis sa liberté;
il n'y avait plus devant
la loi comme devant Dieu que des individus égaux, que des
frères.
Et par toute la terre, animées de ce souffle puissant et fécond, des âmes parmi d'autres autres âmes, s'ouvrirent à l'espérance, les âmes de nos pères. Etaient-elles donc finies, ces atroces persécutions, ces injures? Finis ces mépris, ces dédains ? Le juif allait-il avoir le droit de vivre, sans renoncer à son Dieu, à sa destination, à lui-même?
Certes, mes frères et mes sœurs, l'espérance n'était pas vaine. Dans le pays, chaque année apportait un plus juste sentiment des choses, et les armées de la République faisaient rayonner au dehors, en même temps que la gloire de la France son splendide Idéal.
Et si les hommes n'ont pas encore tous compris
la leçon de la Bastille en ruines; si le soleil inégal n'a pas fait
fleurir partout la miraculeuse semence des géants de 89: si par delà
les frontières, des individus souffrent encore dans leur
personnalité, il n'en est pas moins certain que l'œuvre est en
marche et que rien ne peut l'arrêter. N'est-elle pas vérité ? -
Or, selon la parole de nos docteurs :
" la vérité demeure envers
et contre tous."
L'histoire de ces dernières années nous le
prouve abondamment,
Et pour nous, israélites, de quelque pays que nous soyons, nous devons à la France, d'avoir une Patrie; à la France de 89, comme à celle de 1919. Bien plus, n'a-t-on pas dit, à juste titre que, par loi de nature, depuis 89, le juif a deux patries : la sienne et la France, celle où il a vu le jour et celle qui a fait de lui un homme ?
Sans doute, mes frères et mes sœurs, j'en sais qui conçoivent malaisément qu'un juif puisse avoir une Patrie ! Il leur faut, dans leur naïveté, que le sentiment d'appartenir à une société du caractère de la nôtre, domine ou disparaisse, lorsqu'il est mis en face d'un amour exigeant comme celui de la Patrie. A leur avis, le cœur de l'homme ne saurait se partager entre deux sentiments de cette nature, identiques et jaloux.
A moins que, disent-ils encore, ces deux sentiments ne se superposent sans se mêler, artificiellement. Brandir un drapeau d'une main, un taliss de l'autre, en manière de synthèse patriotique, voila l'image et ils imaginent aussitôt un conflit.
Si c'était cela, ils auraient raison, et je comprendrais leur scepticisme. Mais avez-vous jamais réfléchi au duel qui devrait se livrer, alors, dans l'âme de l'enfant qui aime son père et sa. mère, avec autant de forces, qui sait les apprécier à leur juste valeur et se sent prêt à tous les dévouements pour chacun d'eux ? Seul, un fils dénaturé pourrait agir autrement, n'est-il pas vrai ? Et vous, fils et filles d'Israël, vous ne sauriez comprendre qu'il n'en fut pas ainsi.
Eh bien, mes frères et mes sœurs, c'est bien là, la situation du
juif - il a une mère, il a un père !
Le judaïsme, qui l'a pressé amoureusement dans
son sein depuis des siècles, qui lui a donné à proprement parler son
corps et son esprit, le judaïsme qui l'a enfanté dans les douleurs,
voilà sa mère !
Et le pays qui l'a vu naître et grandir, qui lui
a permis de vivre, qui lui a ouvert ses écoles et son génie, qui
travaille à son bien-être, qui a fait de lui un homme, voilà son
père.
A l'un et à l'autre il doit son amour et sa vie,
par reconnaissance, par nécessité même.
Mais lorsque cette patrie, c'est la France, la France de l'Idéal, je ne puis m'empêcher de ne pas voir plus qu'une reconnaissance. Mon sentiment s'explique mal, la théorie ne me suffit plus, c'est un besoin impérieux qui me domine, je me sens Français, comme je me sens juif, j'appartiens à ma Patrie, comme j'appartiens à Dieu dont elle émane.
Et ce ne sont pas là, vaines formules de circonstance, il n'est que de chercher en vous pour le sentir, - en vous surtout israélites d'Alsace. Pensez à ce que signifièrent pendant 50 ans, ces inscriptions françaises qui décorent les murs de ce temple ! Rappelez-vous seulement les sentiments qui vous animaient au cours de la dernière guerre ! Et vous avez fait plus. Ils sont nombreux, ceux d'entre vos enfants qui sont venus verser leur sang pour aider au salut de la France.
Peut-on ne pas croire, alors que le juif de France soit doublement français ?
Voilà mes frères et mes sœurs quelques-unes des réflexions que me suggère le 14 juillet et que je soumets à vos méditations.
Mes frères et mes sœurs, avant de terminer, un mot encore. Par tout le pays, des journées nationales ont été organisées, pour permettre l'achèvement des quatre monuments qui abriteront éternellement le sommeil de ceux qui ont payé de leur vie, notre salut, ceux dont la blessure a été notre guérison, selon la parole du prophète (Isaie 53:5)
Et là, ceux de toute croyance, pourront venir pleurer; là, l'avenir apprendra que juifs chrétiens et musulmans ont souffert et péri ensemble pour un même Idéal là, sera la sublime preuve de notre amour et de notre reconnaissance. Il nous faut aider à l'érection de ces monuments, c'est non seulement notre devoir de français, mais notre devoir, d'israélites pieux. Il me paraît superflu d' insister, car je sais que vous n'êtes jamais indifférents à une œuvre grandiose et de pareille envergure.
Alors, mes frères et mes sœurs, cet anniversaire, en même temps qu'il nous aura rappelé les liens qui nous rattachent à la France par les plis les plus puissants de notre âme en fera éclater la réalité une fois encore.
Et maintenant, mes frères et mes sœurs, élevons
nos cœurs vers Celui qui domine les peuples et qui leur dispense,
dans sa justice et dans son amour, le bonheur et la prospérité et la
paix bienfaisante et
suprême;
Dieu !
Toi qui abaisse et relève, protège notre Patrie, maintiens l'Union
dans son sein; rends-la forte et grande. Fais qu'elle marche
toujours à l'avant-garde des nations par le triomphe de la justice,
du droit et de la liberté.
Que le Tout - Puissant bénisse ses enfants ! Qu' il bénisse la
France!
Amen,