Pourim et la Joie.
"Quand on pénètre au mois d'Adar, on multiple la joie."
(Talmud. Taanis 26)
Pourim est par excellence la fête populaire, la fête de la joie naïve et déchainée. Par certains côtés, cette joie se rapproche de celle des "peuples de la terre" .
Les rabbins ne nous recommandent-ils pas de boire tant, au jour de Pourim, que nous ne puissions plus distinguer Aman de Mardochée et qu'indifféremment nous les bénissions et les maudissions? Ne nous conte-t-on pas que Rabba, s'étant quelque peu attardé à table, à Pourim, en avait gardé si peu de lucidité qu'il en avait égorgé son commensal, Rab Zeira?
Mais que cette recommandation ou cette histoire ne fasse pas illusion. Ce n'est pas encore de l'ivresse que de confondre malédiction et bénédiction. Mettons que ce soit être gai! Et pour un jour dans l'année, le seul jour, ce n'est pas trop
Quant à notre histoire, authentique ou non, il faut en lire la suite pour en saisir la véritable signification.
En effet, l’an suivant, à Pourim, Rab Zeïra qui grâce à Dieu, n'était pas mort, s'en vint trouver Rabba pour l’inviter à partager sa table et son vin. Et Rabba, refusant, répondit: «Un miracle une fois s'est produit, tu as recouvré la vie, mais ce n'est pas à chaque heure que l'on peut espérer pareil prodige ! »
Ainsi donc, tant pis pour les amateurs du fait divers d'un lendemain de carnaval! -- Cette histoire nous invite, même à Pourim, à la modération dans une ivresse qui, si elle nous est recommandée, ne doit pas dépasser la gaieté, sans risquer de devenir dégradante et dangereuse.
Populaire encore, la manière d'exprimer cette gaieté: chants, rires, bruits, déguisements et masques. Certaine société de notre ville continue la tradition de ces travestis, mais si on y retrouve la libre et saine joie de nos pères, il y manque la résurrection d'un Mardochée ou d’une Esther, d'un Assuérus…. II y manque surtout le «Purimspiel » , naïf et courageux.
Autre chose a disparu de chez nous. Certains se souviennent peut-être du tumulte dont retentissaient nos synagogues, dans le vieux temps, chaque fois que, au long de la lecture de la Meguillah, le nom du reprouvé Aman, revenait sur les lèvres du récitant. Les enfants à tour de bras agitaient des crécelles, frappaient sur les pupitres et sur les bancs. Et ce jour-là, les grands redevenaient enfants.
Mais tout cela, ailleurs, continue, et si cela parait ressembler à un mardi gras, c'en est bien loin en réalité. Le milieu d'abord dans lequel se déroulent toutes ces manifestations, le rare courage que longtemps il a fallu pour oser rire quand on était juif, la modération et surtout.... surtout ce qui accompagnait cette joie et qui nous est propre.
Le Schoulchane Aruch, notre code religieux, nous dit au sujet de Pourim:
“II convient de multiplier les dons aux malheureux, plus même que de banqueter et d'offrir des cadeaux aux amis. Car il n'est pas de plus grande joie devant le Saint-béni-soitIl, que de réjouir le cœur des pauvres, des orphelins et des veuves. Celui qui réjouit le cœur de ceux qui languissent, ressemble à la Divinité elle même, puisqu'il est dit de Dieu qu'il «fait vivre l'âme des humbles et le cœur des brisés. "
Et le texte ajoute:
«Tout homme, serait-il pauvre en Israël, vivant même de la charité publique, doit donner pour le moins deux cadeaux à deux malheureux.»
Voici donc la joie de Pourim, telle qu'elle est conçue. Pour un jour, en souvenir de la grande délivrance, l'allégresse populaire se donne libre cours, mais le judaïsme la tempère et l'élève puis l'ennoblit, en y joignant la plus grande joie, la joie du Bien. Et l’israélite peut abandonner toutes ces expressions de sa joie, dans un souci parfois exagéré de dignité, il ne peut renoncer à celle-ci sans renoncer en même temps à son judaïsme. Tandis que les autres, ceux qu'il méprise pour la vulgarité et la bruyante expansion de cette liesse...
Samson.
Rabbin René Hirschler