AFFAIRE DE L'EXPULSION DES POLONAIS DE METZ
Au mois de décembre 1870, une mutinerie s'étant produite dans un régiment polonais de passage à Metz, le préfet prit un arrêté d'expulsion contre vingt et quelques familles polonaises habitant la ville. Ces familles étaient presque toutes israélites. Le départ de ces malheureux, femmes et enfants, devait avoir lieu dans un délai de huit jours, par un hiver rigoureux et avec des chemins de fer ne fonctionnant plus.
Le grand rabbin Lipman, n'écoutant que la voix du devoir, se rond chez le préfet Fraenkel von Donnersmark pour intercéder eu faveur des victimes. Démarche non sans péril car on était en pleine guerre. La conversation fut en substance celle-ci :
No 11
A Monsieur Liebermann, grand rabbin à NancyAFFAIRE DE L'EXPULSION DES POLONAIS DE METZ ------------ Metz, le 21 décembre 1870.
Monsieur et cher collègue,Le Préfet (prussien) de Metz vient de prendre une décision en vertu de laquelle les familles polonaises qui habitent notre ville devront, dans un délai de 8 jours, quitter la Lorraine. Cet ordre atteint un grand nombre d'israélites, qui sont venus à moi pour me prier de faire une démarche en leur faveur. Je n'ai pas besoin de vous montrer tout ce qu'il y a de cruel dans cet arrêté, qui frappe des gens innocents, les pousse incontinent à l'exil, bouleverse leurs affaires et les contraint, par cette saison rigoureuse et lorsque les chemins de fer ne sont presque pas praticables, à se jeter à l'aventure sur les routes, avec des femmes, de jeunes enfants et tous leurs impedimenta. Je me suis rendu chez M. le Préfet, pour lui demander le motif d'une mesure aussi rigoureuse, en ayant soin, toutefois, de lui faire observer que ma démarche n'a aucun caractère israélite, et que je viens faire appel à son humanité en faveur de malheureuses familles, appartenant à différents cultes et dont un grand nombre se sont adressées à moi, parce qu'elles sont habituées à recourir à mon intervention comme rabbin. Le magistrat a répondu que son gouvernement, voulant germaniser la Lorraine, tient à éloigner tous les éléments contraires à l'esprit allemand. Or, me dit-il, rien n'est plus opposé à cet esprit que les Polonais. Je lui ai alors proposé de se contenter d'expulser les hommes, en laissant les femmes et les enfants. Je l'ai supplié de faire lui-même une démarche auprès de l'autorité ministérielle, ou même auprès de la reine de Prusse. Mais il m'a déclaré qu'il lui est impossible de modifier ses instructions de quelque manière que ce soit. En désespoir de cause, je me suis adressé à notre conseil municipal et je l'ai prié de faire une démarche en corps auprès du Préfet. Le conseil s'est rendu à mon désir, mais il a rencontré la même résistance. Toutefois, je dois dire que la pression produite par ces démarches, qui ont naturellement pour appui l'opinion publique, paraissent avoir enrayé la précipitation avec laquelle l'ordre préfectoral devait être exécuté, de sorte que je crois avoir le temps d'agir en dehors de Metz. Je viens vous prier d'aller voir le gouverneur général à Nancy, de le supplier de porter quelque adoucissement à l'arrêté. On serait heureux d'obtenir un délai, qui permît aux familles de mettre ordre à leurs affaires. Concertez-vous, mon cher collègue, avec les personnes influentes, dont le concours peut vous être utile. Faites tout ce que vous pouvez, mais surtout ne perdez pas une heure. Il s'agit du sort d'un grand nombre de familles, dignes de tout notre intérêt. Recevez, mon cher collègue, mes affectueuses salutations
B. LIPMAN. |
Le même jour, lettres dans le même sens à MM. le Dr Philippson à Bonn ; le Dr Lehmann, à Mayence ; Simon, banquier à Sarrebruck.
No 12
A Monsieur le Dr Philippson à BonnAFFAIRE DE L'EXPULSION DES POLONAIS DE METZ ------------ Metz, 26 décembre 1870.
Dans ma dernière lettre, je vous ai fait pressentir que, grâce à la pression produite par les démarches faites en faveur des Polonais, Monsieur le Préfet ne tiendra plus autant à hâter l'exécution de son ordre. Depuis il a usé de plus de douceur encore : déjà il a été accordé certaines immunité.J'ai l'espoir que l'action exercée en Allemagne même assurera à l'affaire une solution heureuse. Ce que j'attends tout d'abord des démarches faites en haut lieu, c'est que rien ne sera laissé dans le vague, Recevez, etc...
B. LIPMAN. |
No 13
A Monsieur Makower, avocat à Berlin.AFFAIRE DE L'EXPULSION DES POLONAIS DE METZ ------------ Metz, 11 janvier 1871.
Monsieur,J'ai lu avec un profond sentiment de reconnaissance la lettre que vous m'avez adressée au nom du Comité local de l' Alliance israélite de Berlin, et dans laquelle vous m'entretenez des démarches que celui-ci se propose de faire, en faveur des familles polonaises qui habitent Metz. Je vous remercie infiniment au nom des intéressés. Mais dans la lettre que j'ai eu l'honneur d'adresser au Dr Lehmann et qui vous a été communiquée, vous avez pu voir que je me suis abstenu de donner un caractère israélite à mes démarches auprès des autorités. Je crois, Monsieur, que, comme moi, vous serez d'avis de nous tenir dans la généralité et de confondre notre cause avec celle de nos frères des autres cultes, quand cela est possible. Cette considération m'a empêché de m'adresser à votre Comité. Je m'empresse de reconnaître toutefois que les hommes distingués, qui font partie de cette association ne peuvent qu'être très utiles, en employant leur influence individuelle. J'ai déjà écrit A M. le Dr Lehmann que des adoucissements et des modifications ont été apportés à l'ordre préfectoral. Cet ordre, on le voit, aujourd'hui, a. été bien éloigné d'avoir la portée d'un décret. Je ne saurais, comme vous le désirez, vous en donner la teneur, aucune signification écrite n'ayant été faite aux familles polonaises, rien n'ayant été publié à cet égard, soit par affiche, soit par insertion de journal. Des agents de police ont été chargés d'inviter les Polonais à se présenter au commissariat pour recevoir les ordres. En ce moment, il me serait difficile de vous dire d'une manière précise quel est l'état de l'affaire. Il a été donné plusieurs ordres contradictoires : c'était d'abord dans huit jours que hommes, femmes et enfants devaient avoir quitté le pays ; puis (postérieurement à mes démarches) on a accordé quelques jours de plus, puis on a, tantôt permis aux femmes et aux enfants de rester, tantôt engagé à faire des pétitions individuelles, tantôt admis des exceptions, tantôt enfin laissé écouler le délai sans en parler. Tout à coup, après ces transformations successives, les pères de familles ont été appelés au commissariat pour recevoir des passeports leur intimant l'ordre de se rendre en Suisse ou en Belgique, dans le délai de onze jours. Mais le lendemain, le secrétaire du Préfet a annoncé la suspension de cet ordre. Je tiens ces renseignements des Polonais. En définitive, ceux-ci sont encore à Metz (sauf quelques-uns non israélites), mais ils n'ont pas de quiétude, rien n'étant décidé. Cette situation non définie, cette existence tourmentée est affligeante et bien préjudiciable pour des gens qui ont besoin de s'occuper journellement de leurs affaires. Je ne puis pas vous dire combien il y a de familles polonaises à Metz. Parmi les israélites, on en compte plus de vingt, qui habitent notre ville depuis très longtemps et s'y comportent très bien. En général elles ne sont pas naturalisées. Les détails que je viens de vous donner, Monsieur, peuvent répondre à toutes les questions que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser. Je souhaite que les demarches qui se font en Allemagne amènent une solution définitive, propre à rendre les familles dont nous nous occupons à la vie tranquille et laborieuse dont, je puis l'attester, elles sont habituées à vivre. Recevez, etc... B. LIPMAN. |
No 19
Les réfugiés polonais à Metz, y domiciliés, au grand Rabbin de Metz.LETTRE D'ADIEU DES RÉFUGIÉS POLONAIS ------------ Metz, 1er août 1872.
Monsieur le Grand Rabbin, Signé : VILINSKI, ALEXANDRE, CHRISTOPHSTEIN, Elie ROUBENSTEIN, Melach GOUTKIND, MAYER, MARMENSTEIN, Michel HOLTZ. |