Colette Kahn (née Colette Lévy) s'est éteinte le 12 décembre 2017 à Jérusalem. תהי זכרה ברוכה |
Dès notre mariage, nous savions tous les deux que nous ne resterions
pas toute notre vie dans la même communauté, au point que nous
disions, en riant, que nous ferions bien d’acheter une caravane. La vie
nous a donné raison !
Comment décrire la vie d’une jeune femme de 24 ans dans une petite
communauté lorraine ? Mes deux puis trois bébés m’occupaient
suffisamment pour ne pas voir le temps passer. Mon rôle se bornait à
quelques cours dans les écoles, quelques visites aux malades et aux personnes
âgées et surtout à tenir une maison toujours ouverte pour
les jeunes. Certains se souviennent peut être encore des sedarim
où ils étaient nos hôtes et surtout du cercle d’études
du samedi soir où nous discutions beaucoup et surtout où nous
nous sentions mon mari et moi de nouveau jeunes avec nos étudiants.
Si l’un d’entre eux lit cet article pensera-t-il encore à
“L’éléphant et la question juive” et autres
plaisanteries ? Et qui ne se souviendra du théâtre de marionnettes
que nous avons fabriqué et des tournées dans la région?
Mais l’expérience la plus riche a certainement été
notre expérience à Montpellier. L’Université de Montpellier
attire les étudiants de tout le bassin méditerranéen dont
beaucoup d’étudiants juifs. Roger nommé à Montpellier
en tant qu’aumônier de la jeunesse a vite compris qu’il nous
fallait créer un centre communautaire. Ce concept qui commençait
à se développer aux Etats-Unis était encore mal connu en
France et je pense que notre centre a été le premier en France.
Nous pensions qu’il devait être aussi notre foyer et je vous épargnerai
les détails d’une installation dans une grande bâtisse où
l’appartement du rabbin était imbriqué dans les salles de
cours, la bibliothèque et la salle de télévision, sans
oublier la grande pièce où les étudiants se réunissaient
pour danser le samedi soir.
Ce qui est sûr , c’est que la place de la femme de l’aumônier
était prépondérante. Il me fallait être cuisinière
pour nourrir midi et soir une vingtaine d’étudiants désirant
manger cacher. Il me fallait être professeur au Talmud-Torah ; préparer
le petit déjeuner pour les plus grands élèves qui faisaient
l’office du matin avant les cours. Il me fallait me creuser la tête
pour organiser des activités intéressantes le jeudi après-midi.
Il fallait bien souvent consoler une étudiante qui avait des chagrins
d’amour, ou héberger un garçon trop malade pour rester seul
dans sa chambre. Parfois, bien que mon mari ne soit pas le rabbin il fallait
être la rabbine : Wizo,visites aux malades et toilettes mortuaires. Malgré
le travail que m’a donné cette période, (Pensez ! A Pessach
nous étions plus de cent aux deux sedarim et une soixantaine
pendant la semaine) je pense que cette période a été la
plus fructueuse de notre vie et certainement la plus heureuse
Je m’y suis fais de nombreuses amies surtout dans le milieu des wizéennes. Nous préparions ensemble les dîners-débats et j’aimais particulièrement cette activité. Il y avait aussi la “Société des Dames”. Quand la présidente, Madame Léonce Lévy, m’a demandé de prendre sa place j’y ai mis une condition. Il y avait en effet à Metz deux sociétés de bienfaisance féminines : La Société Des dames qui regroupait les femmes autochtones, et les Dames de Bon Coeur formée par les femmes de la communauté polonaise. Cela me paraissait complètement dépassé et je n’ai accepté cette présidence qu’à la condition que les deux groupes n’en forment plus qu’un seul. Je pense que quand dans le monde futur, j’aurai à rendre compte de mes bonnes actions sur cette terre, ma plus grande fierté sera de raconter comment j’ai pris mon bâton de pèlerin pour visiter toutes ces dames et les convaincre de s’unir. Les plus vieilles ont décidé de démissioner, nous nous sommes retrouvées une équipe de jeunes femmes et nous avons bien travaillé ensemble (à titre de curiosité, la vice-présidente issue des Dames de Bon Coeur s’appelait elle aussi Colette et était ma jumelle, comment ne pas s’entendre !)
J’ai aussi aidé mon mari à créer un jardin d’enfants
.Cela n’a pas été sans l’opposition de la commission
administrative mais avec l’appui du Consistoire dont un des membres Monsieur
Gaston Lévy, a mis une maison à notre disposition .Là encore
“La Grande Rabbine” s’est transformée en peintre en
bâtiment et en cireuse de parquets, mais cela était beaucoup plus
amusant que de faire de la représentation dans des cérémonies
officielles plus ou moins intéressantes. Je garde un bon souvenir des
réunions de la commission administrative du Gan Chochana, des idées
géniales qui y naissaient, comme par exemple un défilé
de mode enfantine pour renflouer la caisse et de l’humour de certains
des membres.
Mais nous commencions à penser sérieusement à monter en
Israël. Nos enfants nous quittaient les uns après les autres pour
s’y installer. Il était difficile de se préparer à
Metz. Donc en route pour Nîmes où le président, un bon ami,
était ravi de nous accueillir pour deux ans (nous y sommes restés
trois ans et demi). Là encore la vie de la rabbine était celle
qu’elle avait menée dans les autres communautés, je n’y
reviendrai pas mais je dois dire que le contact avec une communauté sefardite
n’avait pas de quoi nous déplaire.
En Juillet 1976 nous sommes enfin venus nous installer à Jérusalem. Je ne garde aucun regrets, ni d’avoir pu servir dans plusieurs communautés, ni d’avoir pu enfin réaliser un vieux rêve et de devenir israélienne. Si c’était à refaire je recommencerais ce chemin avec ses joies et ses peines et les amis qui nous sont restés fidèles jusqu’à ce jour.