Mon mari, le grand rabbin Roger KAHN
1917 - 1986
par Colette KAHN

 
Mon mari, le rabbin Roger Kahn est né en 1917 à Provins. Quatrième enfant d'une famille lorraine installée dans la région parisienne, rien ne le disposait à devenir rabbin. Ses parents bourgeois aisés étaient assez éloignés du judaïsme traditionnel. Il n’y avait pas de communauté à Provins et Roger et ses parents passaient une partie des fêtes chez ses grands-parents à Sarrebourg.

Dès son plus jeune âge il est assoiffé de justice sociale et encore au lycée il crée avec l’un de ses amis les Jeunesses Socialistes de Provins.
Après son bachot il commence des études de droit et de philosophie tout en travaillant comme instituteur à Montereau.

Mais la guerre arrive, Roger, sursitaire, est appelé sous les drapeaux. La fin de la guerre le retrouve à Foix où il travaille un moment dans les bureaux de l’armée.
Quand les Allemands envahissent la zône sud il perd son travail. Il se retrouve à Toulouse où il apprend le métier de typographe. Ses parents s’étant installés dans un village des environs de Toulouse, il les rejoint et y travaille comme ouvrier agricole.
Il passe ses loisirs à faire de la peinture.C’est à cette époque qu’il commence à chercher un sens à sa vie. Il se plonge dans l’étude de la Bible evidemment en français, et effectue même une retraite dans un couvent.
La guerre enfin terminée, son père lui propose de reprendre des études et quel n’est pas son étonnement quand Roger lui déclare qu’il veut devenir rabbin. Il se sent en effet une responsabilité envers les survivants de la Shoah et décide de leur consacrer sa vie.

Le Grand rabbin Liber hésite un peu à admettre un élève de 29 ans qui sait à peine lire l’hébreu et ne connaît pas grand chose au judaïsme. Il accepte cependant de faire l’expérience et de l’accepter. A cet époque quelques jeunes Polonais rescapés des camps habitent à l’École rabbinique et le grand rabbin Liber met Roger en contact avec Ephraïm Rozen. Ephraïm se charge d’enseigner à Roger les bases nécessaires à des études rabbiniques et Roger devient le professeur de français d’Ephraïm . Ce sont tous les deux d’excellents élèves et leur amitié ne se démentira jamais.

A sa sortie de l’École, Roger a acquis toutes les connaissances qui doivent faire de lui un rabbin digne de ce nom. Jeune marié, il est nommé rabbin de Sarreguemines. Cette petite communauté n’avait pas eu de rabbin depuis fort longtemps et il lui faut la réorganiser entièrement. Mais il se rend vite compte que sa véritable vocation est auprès des jeunes ; aussi quant René Sirat décide de créer l’Aumônerie de la jeunesse, il accepte avec enthousiasme de devenir aumônier de la jeunesse du Sud de la France, Jean Kling s’occupant de Centre et René du Nord. Leur collaboration a été sans faille pendant de nombreuses années. Ephraïm, Jean et René sont jusqu’à ce jour mes petits frères.

Nous nous installons à Montpellier où l’Université attirait de nombreux étudiants juifs du bassin méditerranéen. Roger, arrivé seul, prend contact avec l’Union des Étudiants, y organise des cours, des sorties et passe une grande partie de son temps avec eux. Notre famille le rejoint enfin. Très vite il se rend compte de l’utilité d’un centre communautaire et, avec l’aide du FSJU, il loue une grande maison près des facultés. Avec l’aide des étudiants nous mettrons cette maison en état pour la rendre apte à servir de centre pour tous. Certains étudiants désirent manger cacher.Quelques uns mangent chez nous mais ce n’est pas une solution, nous parvenons enfin à créer une cantine cacher qui fonctionne avec une vingtaine de jeunes. Le vendredi soir nous sommes beaucoup plus nombreux. Il organise également des séminaires de Pessach, soit au centre même, soit aux environs de Montpellier, et chose beaucoup plus révolutionnaire, des soirées dansantes le samedi soir afin que nos jeunes ne fréquentent pas les boîtes de nuit de la ville.
Presque tous les soirs de nombreux étudiants suivent des cours de Talmud, d’hébreu et de pensées juives et tous les mois les conférenciers les plus en renom font une conférence au Centre. Ces conférences sont suivies non seulement par les étudiants, mais par les membres de la communauté et par de nombreux professeurs de l’université .
Il dirige le Talmud Torah de Montpellier et se rend toutes les semaines à Sète, Nîmes et Béziers où il a aussi crée des talmudei-torah. Quand après six ans de ce travail nous pensons que nous devenons un peu vieux et qu’il est peut être temps de consacrer plus de temps à nos enfants, nous pouvons partir tranquilles, la relève est assurée par un couple d’étudiants.

Roger Kahn à Jérusalem
1961. Nous arrivons à Marseille où Roger doit encore exercer les fonctions d’aumônier de la jeunesse. C’est à cette époque que les réfugiés d’Algérie commencent à arriver à Marseille. Le premier travail de Roger et de Jean Kling est d’organiser une colonie de vacances pour tous les enfants nouvellement arrivés (nous ferons par la suite de nombreuses colonies avec les Kling). Puis il faut créer des talmudei-thora dans les banlieues. Le Consistoire de Marseille n’est pas très coopératif mais plusieurs mères de famille mettent leur maison à sa disposition. Pendant notre séjour à Marseille l’ancien mikwe (bain rituel) ferme ses portes. Jusqu’à présent les clientes y étaient rarissimes, mais avec l’arrivée des femmes d’Afrique du nord habituées à la tevila, il est indispensable d’en créer un nouveau et mon mari s’attache avec succès à cette tâche.

Après un an nous émigrons une fois de plus pour Sarcelles où il est impossible de travailler sérieusement. Des membres de la communauté ne cessent de mettre des bâtons dans les roues du rabbin et il sont soutenus par certains membres du Consistoire de Paris.

Nappe de Shabath
tissage réalisé par Roger Kahn
Le poste de grand rabbin de la Moselle étant libre Roger pose sa candidature. Nous resterons huit ans à Metz. A la même époque Claude Lederer est nommé adjoint au grand rabbin, c’est lui qui prend en main la jeunesse et le Talmud Torah. Roger et Claude travaillent en harmonie et cela soulage un peu mon mari qui est responsable de toutes les petites communautés mosellanes. Les jeunes cependant n’abandonnent pas notre maison et nous les recevons souvent au petit déjeuner.
La vie à Metz n’est pas toujours simple pour le rabbin. Grâce à l’appui sans faille des membres du consistoire de la Moselle il arrive à mener à bien les tâches qu’il s’était assigné et en premier lieu la création d’un jardin d’enfants qui sert aussi de cantine pour les voyageurs.
Il crée également un office de jeunes quotidien. Les élèves viennent y prier avant de se rendre au lycée, et Roger leur sert le petit déjeuner et fait le taxi pour les aider à regagner les divers lycées de la ville. Ayant décidé de monter en Israël, Roger cherche une communauté plus petite où il lui sera possible de se préparer. Le président de Nîmes, l’un de nos très bons amis, est ravi de le recevoir. Nous retrouvons avec joie notre Midi et une communauté séfarade où nous nous faisons de nombreux amis. L’esprit de cette communauté est très familial, et nous trouvons toujours des gens prêts à nous aider pour réaliser nos projets : déjeuner le mercredi au centre ; journal fait par les élèves etc.. Mon mari y trouve le temps d’apprendre le tissage, chose dont il rêve depuis longtemps. Enfin nous voici à Jérusalem. Roger, heureux et détendu, partage son temps entre son métier à tisser et l’étude. Il réalise des talithoth, des manteles, des rideaux d’Arche sainte et autres. Il peut enfin donner libre court à ses talents artistiques et tous ses travaux sont de véritables oeuvres d’art. Il jouit aussi de la présence de ses petits enfin que nous voyons souvent.

Hélas en février 1986, la maladie l’emporte par une nuit d’orage le jour de la mort de Moshé Rabbeinou (Moïse). Nous n’avons pas eu la joie de vieillir ensemble mais il m’a laissé une merveilleuse famille. Il a é té mon maître, mon ami et m’a tout simplement appris à vivre.


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