Ce qu'Isaïe Schwartz a fait depuis dix ans à Strasbourg appartient
déjà à l'Histoire... Les juifs alsaciens sont aussi religieux
- pour la plupart - que leurs concitoyens chrétiens, tenant autant qu'eux
aux traditions religieuses. Le nouveau grand rabbin sut éviter les polémiques
avec la presse de l'intérieur, les protestations intempestives, -sachant
que la foi juive se concilie avec le patriotisme français et le dévouement,
envers la République. Le Gouvernement en lui décernant la croix
de la Légion d'Honneur reconnut ses services - facilités par l'amour
héréditaire de nos coreligionnaires alsaciens envers la France...
Mais, comme on le sait, un bref séjour à Strasbourg nous a permis
de redire à M. Isaïe Schwartz, l'expression d'un attachement remontant
à notre enfance, la considération que les juifs de France ont
pour lu, de nous retrouver, - et s'il a revu l'enfant de jadis tenant une place
honorable dans le journalisme juif et religieux, je dois avouer que ses vertus
pastorales - je ne crains pas le mot - m'ont ébloui….
Ah! je le sais. Il existe à Strasbourg, comme à Paris, des groupes
restreints d'observants intégraux, qui, comme je l'ai constaté,
attendent, le Samedi soir, la fin de Maariv, pour plier leur Taleth,
ce qui prouve qu'ils vont au Temple, le Shabath, matin et soir, des coreligionnaires
sans lesquels le judaïsme disparaîtrait peut-être.., comprenant
difficilement que tous les juifs ne fassent pas comme eux. Mais un rabbin doit
voir plus loin, et ne le voudrait-il pas qu'il y serait obligé lorsque
viennent à lui, toute la journée, quand ce n'est pas la nuit, des
israélites sollicitant la charité au des interventions de toute
nature ; il constate que le judaïsme rayonne au-delà des murs d'un
oratoire et du foyer domestique, que le judaïsme et les juifs ce n'est pas
toujours pareil, que tout le monde ne peut pas - soit par manque de convictions
ou par des difficultés diverses - observer à la lettre le Shoul'han
Aroukh.
Faut-il rejeter, méconnaître les juifs tièdes ou indifférents
? Les autres, les autres, ne pas voir que soi : quel problème tragique
! Isaïe Schwartz a pris ses responsabilités. Et lorsque des jeunes
gens, quasi excommuniés à Paris, sollicitèrent son concours,
il n'hésita pas, sachant qu'entre juifs une action rabbinique est plus
efficace qu'une bataille théorique, que rien de ce qui est juif ne doit
être étranger à un rabbin, que lorsqu'on se réclame
d'Israël, il y a là un acte de bonne volonté à guider,
à éclairer, à fortifier à encourager. Je ne rappellerai
pas le discours prononcé à cette occasion, mais en affirmant sa
sympathie, en recommandant "que l'étendue de la plate-forme ne soit
pas prise sur son épaisseur, car alors, il est à craindre qu'elle
ne s'écroule et n'entraîne dans sa chute tous ceux qui s'y seraient
aventurés", que sans l'esprit religieux - qu'on ne peut imposer à
personne, mais dont tout le monde doit être illuminé, "l'oeuvre
entreprise serait vaine et peut-être dangereuse", M. Isaïe Schwartz
a montré comment le rabbinat peut revendiquer et recouvrer la primauté
lui revenant dans le mouvement juif... Ceci nous conduit à dire un mot
du talent oratoire de M. Schwartz. La chaire juive est appelée à
prendre une importance de plus en plus grande de nos jours, parce que là
seulement - hélas ! - la véritable parole juive se fait entendre.
M. Isaïe Schwartz a toutes les qualités pour s'y distinguer : voix
puissante se répercutant dans les moindres recoins de son vaste temple,
érudition appropriée aux circonstances, sentiment de la présence
divine, un coeur sachant que seul l'amour peut émouvoir et provoquer la
Teshouva : la conversion de l'âme retrouvant Dieu...
Je me suis longuement entretenu avec M. Isaïe Schwartz. Nous avons parlé
de son Comité de Bienfaisance... dont il est le principal ouvrier; je m'aperçus
que le nombre des juifs de passage sollicitant l'aide de la Communauté
est proportionnellement aussi important qu'à Paris, que la générosité
des juifs strasbourgeois permet d'accomplir des prodiges, que la Tsedaka
en Alsace n'est pas divisée, la foi et la bienfaisance ne faisant qu'un.
Grâce à une habile organisation, aucune misère ne peut rester
inconnue à Strasbourg. Un cas intéressant est particulièrement
soigné : M. Isaïe Schwartz, pour relever un homme, ne réussit-il
pas un jour à réunir 10.000 francs ? Je n'entreprendrai pas l'énumération
des oeuvres que nos lecteurs strasbourgeois connaissent et qui - qu'on nous passe
le mot - gavent nos frères nécessiteux. Il est vrai que l'imposition
des membres de la Communauté permet d'assurer le budget du Consistoire,
que les offrandes à la Torah ne peuvent pas être faites en faveur
du Temple, mais des institutions de bienfaisance...
M. le grand rabbin nous a vivement intéressé en nous parlant du
cimetière juif, où la toilette mortuaire se fait, - il n'y a presque
plus de levées de corps aux domiciles des défunts -, et qui est
pourvu d'une installation-modèle, d'une salle avec une chaire où
l'éloge funèbre est, prononcé avant la conduite au champ
de repos... En nous contant - sans donner de noms, évidemment - quelques
scènes de réconciliation où son ministère est souvent
requis, avec succès. C'est ainsi qu'il convoqua un jour dans son bureau
deux adversaires... se regardant avec des yeux... ressemblant plutôt à
deux revolvers braqués l'un sur l'autre... ; il leur défendit de
se parler avant qu'il ne les y autorisât ; à la fin de l'entretien,
ils se serrèrent la main. Mais ayant appris que l'un d'eux ne saluait plus
son ancien adversaire, il l'obligea à remplir la promesse faite. Cela est
bien, cela est beau, c'est juif, c'est un exemple à imiter. On confond
trop souvent de nos jours le rabbinat avec la science, l'histoire, la littérature,
l'aristocratie, le journalisme, la polémique même... On veut se tenir
en dehors des conflits de personnes. A l'ancienne coutume, encore observée
dans les communautés de l'Europe orientale et même dans les groupements
de juifs polonais des communautés occidentales, consistant à alerter
le rabbin pour des futilités, a succédé la méthode
de régler soi-même les conflits entre juifs, de les porter devant
les tribunaux, d'user de moyens arbitraires, quelquefois du revolver, d'être
brouillés pendant des années, de faire des familles juives des enfers
où la haine est maîtresse... Mais j'ai entendu un de mes amis qui
est rabbin - dire que Glozel (la glose ?) l'intéressait plus que
tout cela. Justice et Charité juives, où êtes vous ? Ne reviendrez-vous
pas pour la nouvelle année?
Comme on l'a vu, M. Isaïe Schwartz n'est étranger à rien de
ce qui se passe dans sa Communauté. C'est lui qui a contribué à
l'établissement de la plupart des familles polonaises à Strasbourg,
qui s'est personnellement préoccupé de leur trouver des locaux,
pouvant leur servir de maisons de prières où ils puissent reconnaître
celles de Pologne... Mais qui n'a pas été frappé en voyant
M. le grand rabbin Schwartz dans son temple ? Quelle majesté dans sa tenue
et - qu'on nous excuse d'aller jusqu'au bout de notre pensée - comme il
est physiquement représentatif, dans sa magnifique stalle, en montant en
chaire, en accomplissant ses fonctions pastorales. Il y a là une forte
ressemblance avec son maître et ami, M. le grand rabbin de France... On
comprend que dans cette synagogue splendide, avec une arche sainte qui soulève
les âmes, un choeur réputé qui surajoute à la beauté
des cérémonies, M. Isaïe Schwartz y sente, comme il l'a dit
récemment, une inspiration divine. Heureux pasteur qui n'a pas d'autre
ambition que celle de vivre tous les jours de sa vie à la tête d'une
si belle Kehila. Mais sait-on ce que l'avenir réserve à
ce pasteur jeune encore ?
Les éloges ne sont pas tout. L' Ecriture nous apprend qu'il faut imiter
ceux qui sont nos modèles, afin d'orner le sanctuaire de nos âmes.
C'est le problème devant nous préoccuper pendant les Yamim Noraïm.
Inspirons-nous du zèle et de la bonté dont M. le grand rabbin Isaïe
Schwartz donne l'exemple à son troupeau. Que les juifs strasbourgeois se
resserrent autour de lui; qu'ils le consolent de ses labeurs par leur docilité
à suivre ses directives, augmentant si possible l'affection et l'estime
qu'il mérite. Et puisse-t-il les inciter en ces heures si solennelles à
prendre les résolutions qui leur vaudront d'être inscrits au Livre
de la Vie, à vivre en meilleurs juifs, à maintenir intact, à
rendre plus puissant le flambeau du judaïsme strasbourgeois afin qu'il reste
une lumière et une bénédiction pour le judaïsme français.
Cher pasteur, vous m'excuserez si j'ai laissé parler mon coeur. Je dois
avouer qu'il est d'accord avec ma, conscience. II y a bien des années qu'on
a prédit la disparition de mon enthousiasme... qui augmente cependant au
fur et a mesure que j'avance dans la vie... A force de dessécher nos coeurs,
de craindre de dire du bien des hommes que le judaïsme possède, d'oublier
que "les paroles agréables sont un rayon de miel, douces pour l'âme
et salutaires pour le corps" (Proverbes 16:24), on a perdu l'habitude
de faire connaître les valeurs que nous possédons, de là à
ne plus les chercher et à ne plus savoir ce qu'elles représentent,
il n'y a eu qu'un pas... Que chacun agisse selon sa conscience, j'obéis
à la mienne. Soyons bons, faibles au besoin quand il s'agit de l'amour
de nos frères ; cela réussit mieux et produit de meilleurs résultats
que le contraire. Si le châtiment punit le mal, la patience amène
le bien. Je ne dis pas : "Bonne Année". Mais que 5689 soit une
année de bonté, de progrès religieux qui rapproche tous les
juifs en un faisceau acclamant, exaltant, servant d'une voix, d'une volonté
et d'une activité unanimes le Dieu d'Israël et de l'Humanité.