Le Document fondateur du Judaïsme français :
Les décisions doctrinales du Grand Sanhédrin 1806-1807
sous la direction du Grand Rabbin René Gutman


Presses Universitaires de Strasbourg ; janvier 2000 ; 176 p. ; ISBN : 2-86820-168-7 ; prix : 15,24 €

Présentation de l'éditeur

L’histoire commence à Strasbourg où Napoléon, de retour d’Austerlitz, fait une halte. Là on l’entretient de plaintes émanant des chrétiens alsaciens à l’encontre des juifs : ces derniers sont accusés d’hypothèques sur de nombreux biens alsaciens et d’une pratique usuraire totalement disproportionnée. L’empereur promet de remédier à cet état de faits. En vérité se joue là une ancienne lutte des Strasbourgeois contre la citoyenneté française des Juifs, accordée depuis et par la Révolution. Napoléon demande alors une réglementation générale du crédit et une réforme des Juifs. Dans ce but, il commande la tenue d’un grand sanhédrin qui devra proclamer solennellement la pensée des Juifs habitant le territoire français. Les enjeux sont conséquents : raison d’être du judaïsme d’un côté, intégration et citoyenneté de l’autre.

Préalablement, l’empereur ordonne, en cette année 1806, la tenue d’une assemblée de Juifs, qui devront unanimement répondre aux douze questions que l’empereur leur soumet, parmi lesquelles :  
Est-il licite aux Juifs d'épouser plusieurs femmes ? Les Juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français regardent-ils la France comme leur patrie ? Sont-ils obligés d'obéir aux lois ? Est-il des professions que la loi des Juifs leur défende ?... Aux yeux des Juifs, les Français sont-ils leurs frères ou sont-ils étrangers ?”

L’avenir des Juifs de France est en jeu. À l’issue des débats, Napoléon impose à ces réponses une sanction solennelle. Le grand sanhédrin doit convertir en décisions doctrinales les réponses fournies par l’Assemblée. Ces décisions ont établi les principes et le cadre à l'intérieur duquel s'est opérée l'intégration de la communauté juive dans la nation français, dotée dès lors d'une organisation consistoriale qui s'est maintenue jusqu'à nos jours. Le principal protagoniste de Napoléon au cours de cette confrontation quelquefois dramatique entre le judaïsme et les exigences du pouvoir politique a été le grand rabbin David Sintzheim, dont la force de caractère, l'autorité et la science ont permis aux juifs de France d'entrer dans la modernité sans rien céder sur l'essentiel.

Ce texte est le document fondateur du judaïsme français.
Il expose les réponses données par la plus haute instance rabbinique de l'époque aux questions posées par Napoléon à l'ensemble des Juifs.Ces questions visaient à élaborer des principes et un cadre institutionnel qui permettent d'opérer leur intégration à la nation. Elles allaient aboutir notamment à la création d'un consistoire qui s'est maintenu jusqu'à nos jours.

Cette page de l'histoire de France, de l'Alsace et du judaïsme, dévoilée par René Gutman, grand rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin, permet de cerner la place qui revient à la communauté juive dans la constitution de la nation française. Elle éclaire par ailleurs les modalités qui ont, permis aux Juifs de France une intégration sans qu'ils aient à rien céder d'essentiel concernant leurs pratiques religieuses et leurs convictions.

Ce qui se fait à Paris en 1807, et qui est ici présenté dans sa forme d’origine : en regard l’un de l’autre, le texte hébreu et sa traduction française. Enfin des textes connexes s’ajoutent à ce document capital pour le judaïsme français.

Extrait

Discours d'ouverture prononcé par le chef du grand Sanhédrin à l'ouverture des séances de cette assemblée
4 août 1806

"Voici mon serviteur dont je prendrai la défense ; voici mon élu dans lequel mon âme a mis toute son affection. Je répandrai mon esprit sur lui, et il rendra justice aux nations ; [...] il ne sera point triste ni précipité quand il exercera son jugement sur la terre, et les îles attendront sa loi. Je suis le Seigneur [...] qui vous ai conservé, qui vous ai établi pour être le réconciliateur du peuple et la lumière des nations."

Mes Frères,
Assemblés ici par les ordres de notre incomparable Empereur et Roi, Napoléon le Grand, ce jour est pour nous un jour de joie, tel que notre nation n'en vit de pareil ; jour que nous devons à la grâce divine.
Vous sentirez d'autant plus vivement la joie de ce beau jour, et elle fera sur vos coeurs une impression bien plus forte, si vous voulez jeter avec moi un coup d'oeil de comparaison entre les temps précédents et les temps actuels.
Si l'histoire ne nous présente aucune nation comparable à la nôtre par la vicissitude des événements, par la multitude et la cruauté des persécutions dont elle a été la déplorable victime ou le triste jouet, il n'en est aucune non plus qui ait souffert l'oppression avec une constance plus noble et une fermeté plus inébranlable. Depuis le jour fatal où nous fûmes obligés de quitter la terre promise à nos pères, Abraham, Isaac et Jacob et à leur postérité ; depuis la destruction du Temple Saint, dispersés sur tout le globe nous avons erré de nations en nations, de royaumes en royaumes, sans trouver nulle part ni repos ni sûreté ; partout nous vîmes s'élever contre nous des ennemis, parce que nous étions restés fidèles à nos lois, à ces lois que le Seigneur lui-même nous a données par sa révélation au milieu des éclairs de la foudre.

"Ce Dieu a daigné nous choisir au milieu de toutes les nations pour être son peuple, et pour nous il a fait éclater sa puissance par des miracles, par des prodiges, par des combats où il nous a soutenus d'une main forte, et protégés de son bras puissant étendu sur nous."

Mais aussi, lorsque nos ancêtres eurent été infidèles à ces lois, ils éprouvèrent les effets des menaces terribles que le Seigneur avait prononcées.
Alors mes Frères, alors les peuples qui n'étaient pas encore éclairés par les lumières de la sagesse, ces peuples dirent :

éVenez, exterminez-les du nombre des nations, qu'il ne reste plus dans l'avenir aucun souvenir du nom d'Israël.é

Et en effet peut-on lire sans frémir l'histoire de notre nation, et parcourir cette suite funeste de maux de toute espèce dont nos ancêtres ont été accablés en France, en Italie, en Allemagne, en Espagne, etc. ?
Cependant, malgré toutes ces persécutions, admirez, mes Frères, les miracles de la puissance du Très-Haut : nous échappons de dessous les débris des siècles, et la Providence nous a sauvés de l'oubli général dans lequel ces nations avaient résolu de nous plonger.
Chassés d'un royaume dans un autre, toujours il s est trouvé quelque prince magnanime et bienfaisant dans le cœur duquel Dieu fit naître la volonté de nous recevoir et de nous permettre de vivre fidèles à nos lois. Peut-on voir plus clairement l'accomplissement de la promesse du Seigneur ?
(...)


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