(Liminaire du Sentier de rectitude de Moïse Luzzato, traduit par Aron Wolf, et publié en 1956, aux Presses Universitaires de France, collection « Sinaï »).
La
pensée des patriarches, des prophètes et des poètes d'Israël
l'avait séduit dès son enfance, passée à Strasbourg
: très jeune, il décida de donner sa vie au Dieu d'Abraham,
d'Isaac et de Jacob; soucieux d'authenticité, il voulut puiser à
la source les connaissances qui nourrirent son âme; il vécut
ainsi dans une école talmudique de Lituanie, à Mir, auprès
de Maîtres qui lui transmirent l'Enseignement; à son retour il
était la preuve que la formation d'un homme avait là un sens:
nous voulons dire qu'elle était orientée vers la connaissance
et la réalisation d'un ordre de lumière et de vie ; il ne devait
jamais perdre l'empreinte de cette formation traditionnelle, dont son regard
conservait la flamme et la nostalgie.
Il revint en France en 1939 pour rejoindre l'armée et connaître l'amertume de la débâcle. A l'École Rabbinique de France, où, dès avril 1941, il poursuivit ses études de théologie, puis dans les refuges de fortune et les maquis de la zone sud, sa vocation le conduisit vers les jeunes qu'il voulut aider et sauver : il avait en lui la flamme qui attire, la présence qui retient et exauce.
Il était juif ; en ce temps c'était vivre au coeur même
de la tragédie: chaque jour lui apportait, par les contacts de la rue,
par l'affiche, la tresse ou les ondes, une ample provision de calomnies, d'injures,
de menaces. Il était beau, détaché de lui-même,
et dans sa force, toujours pétillant de vive joie - celle des profondeurs
- et d'esprit. Il aimait à incliner la tête, pour avouer d'une
voix frémissante, et comme en dansant, au gré de la conversation,
le secret de son allégresse. Le déferlement de la guerre et
de la persécution ne troublait ni sa certitude, ni son équilibre,
mais dans la prière, son sourire devenait soudain plus grave...
Une balle allemande l'abattit à Saint-Germain, près de Villemotier
dans l'Ain, le 19 mai 1944, à l'âge de 26 ans. Il était
alors l'aumônier d'une ferme-école ; des jeunes gens se préparaient
là à leur vie de pionniers destinés, pour les lendemains
de l'Apocalypse, à la reconquête de la Terre Sainte.
Au cours d'une mission de liaison, il fut surpris avec son groupe de jeunes gens, par un détachement de la Gestapo, conduit par des miliciens.
Par sa mort, il rejoignait les légions de combattants, de saints et de martyrs dont il se savait, dont il se voulait, l'héritier.
Ce texte est celui du sermon prononcé par le Rabbin Aaron Wolf pour Pessa'h 1944, un mois avant son assassinat...
Le 15 Nissan, au mois des épis et du printemps, nos ancêtres sont sortis de l'Egypte. Ils ont quitté la maison des esclaves. Ils ont été libérés du bagne, de ces camps de concentration qui existaient déjà. Ils ont couru vers la mer et, pour la première fois, ils ont chanté, car seules les âmes libres peuvent chanter. | Tombe du rabbin Aaron Wolf, au cimetière juif de la Mouche à Lyon. A droite : tombe du rabbin Samuel (Samy) Klein, fusillé lui aussi. |