Lippmann Pierre
Témoignage de Nicole Stora, fille de Pierre Lippmann, extrait de "Nous sommes 900 Français" d’Eve-Line Blum-Cherchevsky.
Je ne sais que dire sur mon père.
Quand je regarde ces photos prises en 1940, j’avais donc deux ans. Avant d’être déporté, il avait été prisonnier en Allemagne pendant plus de trois ans; ensuite il est parti avec le convoi n° 73 pour un voyage sans retour.
Ma mère n’a jamais voulu parler de cette période noire de sa vie. Elle a perdu un oncle, Georges Mantou, frère de ma grand-mère, déporté par le convoi n° 57. Ma mère a perdu sa sœur, Andrée Stam née Lang ainsi que son époux Jean Stam, déporté par le convoi n° 63. Elle s’est retrouvées avec deux filles: ma cousine Danielle Stam, née en 1941, qu’elle a élevée comme sa propre fille, et moi.
Ma mère, Paulette Lippmann, est décédée à Soukkoth 2004, dans sa 94ème année.
La dernière semaine de sa vie, deux jours avant de s’éteindre, elle a parlé en s’adressant au Rabbin de Nancy. Voici les termes de sa conversation:
"Monsieur le Rabbin, je suis foutue, je vais bientôt monter au ciel, j’ai plusieurs choses à demander à D.ieu, s’il existe:
Pourquoi mon mari est mort à trente ans?
Pourquoi ma sœur et son mari sont morts à vingt huit ans?
Pourquoi mon oncle?
Pourquoi six millions de Juifs?
Qu’est ce que je vais faire avec ces deux gamines?"
Et de continuer son monologue….:
"Il ne pourra certainement pas me répondre…"
Le lendemain elle fermait ses yeux, consciente jusqu’à la dernière seconde.
C’est donc la seule fois où j’ai entendu ma mère parler de cette bien triste période.
Ce qui m’a le plus marquée dans cette histoire, c’est lorsque ma première fille à dit "Papa" à mon mari; j’ai versé des larmes, car ce mot, je n’avais jamais pu le dire. |