May Simon, Suzanne, Liliane, Andrée, Solange

Témoignage d’Andrée Olff, née May

            Avant la guerre, j’habitais Strasbourg avec mes parents et mes deux sœurs Liliane et Solange, douze et six ans. Moi-même, j’avais onze ans.
Suite à l’évacuation de Strasbourg en 1940, nous nous sommes repliés à Grandvillers près de Bruyères dans les Vosges.

Simon May et famille pendant la guerre
La famille May pendant la guerre

            J’allais avoir quatorze ans lorsque les allemands sont venus m’arrêter avec mes deux sœurs, mes parents et une tante, le 14 mars 1944. Après une nuit à la prison d’Épinal-88, nous avons été internés à la prison d’Écrouves-54 pendant quelques jours, puis ce fut Drancy.
C’est le 13 avril 1944 par le convoi n° 71 que nous avons quitté Drancy. Mille cinq cent personnes étaient entassées dans des wagons à bestiaux, soixante dix par wagon. En 1945, on comptait soixante dix femmes survivantes et trente cinq hommes. Il y avait des gens de tous les âges, des enfants, des vieillards, des malades, et pas de place pour s’allonger. La tinette qui servait aux besoins se renversait. L’air était irrespirable. Le voyage a duré trois jours.
À l’arrivée à Birkenau, ma sœur aînée Liliane, ma tante et moi-même avons dû prendre la file de gauche et mes parents et ma sœur Solange ont pris la file de droite. Nous pensions nous retrouver par la suite. Nous ne savions pas ce qui nous attendait. Ma sœur et moi nous sommes trouvées dans une grande baraque. C’était le bâtiment réservé à l’épouillage. On nous a pris tous nos vêtements et affaires personnelles. On nous a rasées de la tête aux pieds, sous les aisselles, le pubis. C’était une humiliation terrible. Puis, on nous a tatouées  sur l’avant-bras gauche. Ensuite, nous sommes passées sous une douche froide. Ensuite, distribution de haillons, de chaussures qui n’étaient pas à notre pointure. Puis nous étions mises en quarantaine dans une baraque.
Le lendemain matin, ma sœur et moi avons demandé à une Stubewach polonaise quand nous allons retrouver nos parents. Elle nous a emmenées sous la porte d’entrée de la baraque et nous a montré la cheminée du crématoire qui fumait. Parfois, les flammes sortaient de la cheminée. Ça sentait la chair brûlée.

Grâce à ma connaissance de l’alsacien, je comprenais les ordres donnés par les SS boches. Cela m’a évité des coups de ceinturon. Ce qui était terrible, c’était l’appel, dehors, par tous les temps, à cinq heures du matin et qui pouvait durer deux heures et plus. Il fallait rester debout et soutenir ceux qui n’en pouvaient plus.
Le soir, à nouveau l’appel. Les Kapos faisaient leurs comptes. Tant que le nombre n’y était pas, il fallait rester debout. À midi, on avait le droit à une louche de soupe. Si nous y trouvions quelques épluchures de pommes de terre ou de rutabaga, nous étions contents. Mais cela arrivait rarement. Nous étions entassés dans des alvéoles superposées de deux mètres sur deux, par groupe de six à huit et quelques fois, dix personnes avec deux couvertures. Le soir, un  morceau de pumpernickel et un peu de margarine, c’était la ration de la journée.
Le matin, après l’appel, par commandos, nous sortions du camp. Il nous fallait travailler à la construction de routes. Porter des cailloux sur un plateau à quatre bras à deux personnes d’un endroit à un autre. Nous étions quelques filles de mon âge.
Un jour, lorsque nous étions sous la douche, une SS nous a remarquées. Elle nous a sorties de cette baraque et nous a mises dans un bloc où il y avait des petits enfants bien plus jeunes que nous. Pour la plupart des jumeaux sur lesquels les allemands faisaient des expériences. Nous n’avions plus besoin de travailler. Cela nous a permis de reprendre quelques forces. Ces enfants jumeaux recevaient des grosses rations de pains que nous partagions avec eux. Mais cela n’a duré que quelques semaines.
Un matin, à l’appel, le Lagerführer SS nous a remarquées. Il nous a emmenées de Birkenau à Auschwitz pour travailler à l’usine de munitions. Cela devait être en octobre 44. J’y ai trouvé Colette, une amie de Strasbourg qui était arrivée avec ses parents dans un convoi qui précédait le nôtre. Elle avait trois ans de plus que moi et voulait me remonter le moral. Elle avait appris la couture pendant la guerre et m’apprendrait la couture. Moi, je vivais au jour le jour et ne me posais pas ce genre de questions. Elle habitait à Strasbourg la même maison que nous avec ses parents ainsi qu’une autre famille israélite de quatre personnes. Je suis la seule survivante. J’ai perdu la trace de Colette au moment de l’évacuation d’Auschwitz en janvier 1945.
Ma sœur Liliane avait attrapé le typhus et a dû entrer à l’infirmerie. Je l’ai retrouvée quelques temps après. Elle était méconnaissable. Je l’ai aidée comme j’ai pu. L’ourlet de sa robe était rempli de poux de corps. Elle avait toujours la dysenterie et a dû retourner à l’infirmerie où j’ai perdu sa trace.
Quant à mon amie Colette, à mon retour à Paris en juillet 1945, j’ai appris qu’elle venait de mourir à Paris suite à des expériences que les Boches avaient faites sur elle.

            La marche de la mort : le 18 janvier 1945, c’est l’évacuation du camp d’Auschwitz. Par une température de moins vingt degrés et même plus, la neige et le vent glacé, ils ont vidé le camp aidés de leurs chiens. Dans un état physique que l’on imagine, vêtus de haillons, une couverture sur le dos et très mal chaussés, on nous a mis sur la route en colonnes par cinq. Pendant trois jours et nuits nous avons marché. Ceux qui ne pouvaient plus suivre étaient sortis des rangs et fusillés. Le bord de la route était jonché de cadavres. Nous ne recevions rien à manger et pour la soif, nous sucions la neige.

Andree May , retour d'Auschwitz
Andree May, retour d'Auschwitz

Après trois jours, on nous a chargés dans des wagons découverts. Nous étions si nombreux que nous ne trouvions pas de place pour nous asseoir. Je me souviens avoir passé toute une nuit debout, le vent dans la figure. Après plusieurs jours passés dans ces wagons, trois, peut-être quatre, nous arrivons à Ravensbrück. En me déchaussant, mes pieds étaient bleus et complètement gelés.  
J’ai été admise à l’infirmerie et dû quitter toutes mes camarades. L’infirmerie, comme tout le camp, était noire de monde. Nous étions entassés sur les lits superposés. Tous les matins, les cadavres jonchaient le sol.
Je fus opérée par un médecin allemand. Les soins étaient très primitifs. Les rations de nourriture diminuaient de jour en jour. Puis elles étaient remplacées par des colis de la Croix Rouge.


C’était à la mi-avril 1945 que la Croix Rouge entra au camp. Les Allemands étaient toujours présents. Ils nous firent monter dans des ambulances et les valides sur des camions. Puis ce fut le voyage à travers le Danemark vers la Suède. Le comte Bernadotte nous avait achetés pour de l’or.

Voici la liste de mes proches parents qui sont morts en déportation:

* ma tante paternelle: May Fanny, née le 25.11.1888 à Scharrachbergheim-67, déportée à Auschwitz le 13.4.1944 par le convoi n° 71.

* mon grand-père maternel: Blum Jacques, né le 16.8.1869 à Dettwiller-67, déporté à Auschwitz le 30.5.1944 par le convoi n° 75.
* ma grand-mère maternelle: Blum Caroline, née Metzger, née à Ringendorf-67, déportée à Auschwitz le 30.5.1944 par le convoi n° 75.

* ma tante: Sichel Denise, née Blum, née le 8.10.1913 à Dettwiller-67, déportée à Auschwitz le 30.5.1944 par le convoi n° 75.

* mon oncle: Sichel Robert, époux de Denise, né le 3.12.1904 à Pfaffenhoffen-67, déporté à Auschwitz le 30.5.1944 par le convoi n° 75.

* mon grand-oncle: Blum Léon, né le 7.12.1876 à Dettwiller-67, frère de Jacques, qui habitait Saverne, déporté à Auschwitz le 29.4.1944 par le convoi n° 72.

* ma grand-tante: Blum Clémentine, née à Dettwiller-67 le 11.12.1877, déportée à Auschwitz le 29.4.1944 par le convoi n° 72.

* la fille de Léon et Clémentine: Blum Alice, née le 21.9.1914 à Dettwiller-67, déportée à Auschwitz le 29.4.1944 par le convoi n° 72.

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