Chers Parents, Chers Amis,
Nous sommes réunis aujourd’hui pour évoquer des évènements tragiquement douloureux, -pour notre famille, -pour RODEZ, et -pour la France. Pendant la période de terreur de la 2ème guerre mondiale, nos grands-parents, Belfortains se sont réfugiés en Aveyron. Nos grands-parents pensant que leurs filles pourraient poursuivre leurs études en toute sécurité, dans l’internat d’un lycée de la République Française les avaient inscrites à l’Ecole Primaire Supérieure de Filles de Rodez, dite « Lycée Fabre ». Originaires d’Alsace, où elles étaient installées depuis plusieurs siècles, leurs 2 familles avaient déjà prouvé leur attachement, que dis-je, leur Amour, pour la France : En 1903, Félix BLUM, le grand-père paternel de Janine et Madeleine avait demandé à ce que sa famille soit réintégrée dans la nationalité Française, en venant habiter Belfort depuis sa ville native de Thann, alors que l’Alsace était occupée depuis 1870 par les Allemands. Le 18 juin 1940. Le Docteur Alfred ELIAS, leur grand-père maternel, Mulhousien, qui n’avait pas quitté l’Alsace depuis le début de la guerre, s’était donné la mort, après que fut signé l’Armistice. Il n’avait pas supporté que la convention d’Armistice prévoie que, les Allemands ré-annexent les 3 départements d’Alsace et de Lorraine rétrocédés à la France, 21 ans plus tôt. Malgré leur différence d’âge, Janine et Madeleine étaient dans la même classe. Nos grand-parents avaient pris soin de demander à la Directrice, Madame PIETRI, de faire tout ce qu’elle pourrait pour éviter de livrer leurs filles aux allemands : elle le leur promis. Ils ignoraient que le mari de Madame PIETRI était le chef de la milice de Rodez et que la Directrice du Lycée allait commettre l’irréparable. Le 22 avril 1944, pendant les cours, la surveillante générale du Lycée vint les chercher leur précisant que la Directrice voulait les voir. Janine n’oubliera jamais le regard de son professeur, Mme AXELRAD, en les voyant partir. Elle apprit plus tard que cette même Mme AXELRAD donna les clés de son appartement à Colette ROTH, également juive, pour qu’elle aille s’y cacher. Dans le bureau de la Directrice les attendaient des agents de la Gestapo qui leur demandèrent d'aller préparer leurs affaires, prétextant un contrôle de routine. La Directrice demanda à l'Econome de les accompagner et de ne pas les laisser s'échapper. Par chance, leur correspondant, Monsieur BAAS, Professeur de Philosophie exerçant au Lycée de garçons voisin, informé par on ne sait qui, se précipita, à bicyclette, pour aller prévenir leurs parents, qui habitaient à St-Geniès, distant de 44km: il les obligea à partir immédiatement avec un certain Monsieur VERGNE, qui alla les cacher dans une ferme en montagne. Ceux-ci purent ainsi échapper à la Gestapo qui arriva à leur domicile, environ une demi-heure après leur fuite. Il y a 65 ans, c’est par cette porte que Janine et Madeleine quittèrent le lycée, pour être incarcérées dans la caserne de Rodez (aujourd'hui université Champolion) où étaient réunis les autres juifs arrêtés ce jour-là. Au bout de 15 jours environ, elles furent transférées au camp de Drancy, puis déportées vers le camp d’Auschwitz. Heureusement, Janine, est revenue des camps de la mort, mais Madeleine fait partie des 6 millions de juifs qui ont été exterminés. Cette plaque est la réponse que nous nous devons d’apporter à tous ces déportés, qui au moment de mourir, ont demandé à ceux qui les entouraient de leur promettre, au cas où ils leur survivraient, de témoigner et dire au Monde les horreurs qu’ils avaient vécues, et les souffrances physiques et morales qu’ils avaient endurées. Nous avons souhaité que l’apposition de cette plaque, sur un Etablissement d’enseignement de la République Française, soit un acte pédagogique tourné vers la jeunesse et destiné à induire une réflexion sur le passé. Qu’elle permette au plus grand nombre de jeunes de tenter d’en imaginer les conditions. Car lorsque l’on évoque les déportations, et les camps de concentration, on a souvent tendance à ne penser qu’aux camps et aux fours crématoires. On évoque plus rarement les conditions dans lesquelles se sont déroulées toutes ces opérations. Après des dénonciations qui ont été faites, bien sûr pour des raisons de haine du juif, mais parfois aussi pour des motifs futiles ou de simple jalousie, la cruauté et le sadisme des nazis faisaient que chaque étape était une progression vers l’horreur absolue : - les arrestations avec des chiens, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, avec violences, brutalité, injures, privations, vexations……………….. - les transports dans des wagons à bestiaux, plombés, où les individus étaient entassés, sans espace, sans eau, sans lumière, sans nourriture et sans hygiène pour des voyages de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines, sous la chaleur de l’été ou dans le froid de l’hiver. 65 ans après, ceux qui sont revenus gardent les traces de l’horreur, y compris ce numéro tatoué et conservé dans la chair de leur avant-bras, comme une gifle cinglante à tous les négationnistes.
On n’évoque pas non plus l’impuissance et la douleur de ceux qui ont vu partir leurs proches, dont ils allaient être séparés à jamais. Pensons au désarroi, au désespoir de nos grands-parents, qui sont restés bloqués dans leur cache, sans pouvoir faire quoi que ce soit pour protéger leurs enfants, au risque de se faire rafler, eux aussi. Que ces évènements nous servent de leçon, pour que nous sachions que la folie humaine et la cruauté n’ont pas de limites, si on ne stoppe pas immédiatement ce qui au départ, ne pourrait sembler que comme un dérapage Ces folies peuvent ressurgir, à tout moment, et en tous lieux, car, pour reprendre les mots de Berthold BRECHT : « Effacé, le souvenir de la barbarie, le temps est mûr pour un recommencement ». Pour que l’avenir ne fasse pas renaître de telles horreurs, il importe de ne pas laisser sombrer dans l’oubli, les souvenirs et les enseignements d’une telle période. Pour reprendre les mots de Monsieur Elie WIESEL :
« Si l’humanité avait tiré les
enseignements de l’histoire,
Ce que nous avons voulu, en nous
réunissant aujourd’hui, c’est faire comprendre pour le présent,
l’importance de la connaissance de cette histoire
Après la guerre, la Justice
Française a jugé et fait fusiller Monsieur PIETRI.
Nous tenons à rendre un hommage
posthume à Monsieur BAAS, par l’intermédiaire de ses enfants,
pour son action héroïque. C'est à cette deuxième France, riche d'humanité, que Monsieur BAAS a choisi d’appartenir et à laquelle nous voulons nous attacher, aujourd'hui encore." Que ses enfants acceptent ici, l’expression de notre reconnaissance infinie pour ce qu’il a fait pour notre famille, mais aussi pour tout ce qu’il a fait pour défendre les valeurs de la République et les Droits de l’homme. Ce collège est devenu, bien malgré lui, la porte du cimetière et de la tombe de Madeleine Blum, tombe qu'elle n'a jamais eue.
Nous remercions
Monsieur LUCHE, Président du Conseil Général de l’Aveyron de nous
avoir autorisés à apposer cette plaque, à sa mémoire.
Didier BLUM Pour terminer, nous allons réciter le KADICH, prière des morts dans la religion juive, qui sera suivie d’une traduction en français.
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