Discours de M. l’Inspecteur
d’académie
Education et devoir de mémoire
Cérémonie à la mémoire de Madeleine et Jeanine BLUM, déportées juives de
Rodez.
23 avril 2009
Monsieur le Président du Conseil
Général,
Monsieur le Président de l’Association pour la mémoire des Déportés Juifs
en Aveyron,
Monsieur le Principal du Collège Joseph Fabre,
Mesdames et Messieurs les enseignants,
Jeunes gens, élèves du Collège Fabre,
Mesdames et Messieurs.
J’ai l’honneur d’être présent
aujourd’hui à cette cérémonie en souvenir de Mesdames Madeleine et Jeanine
Blum, et je souhaite remercier Patrick, Didier et François Blum pour leur
initiative. Devant cette plaque qui vient d’être dévoilée, l’heure est au
recueillement et aux interrogations.
Pourquoi commémorer aujourd’hui les
atrocités commises hier ? A l’évidence pour éradiquer les tentations
racistes et antisémites.
La France a trop été rongée par le mal du racisme et de l’intolérance au
cours de son histoire pour verser aujourd’hui dans la complaisance. La
vieille Europe – dont l’histoire est tout autant celle du racisme que de
l’universalisme – a trop propagé la haine au cours des siècles passés pour
prendre le risque de négliger ou de reléguer l’impératif antiraciste. Il
n’y aura point de conscience humaniste européenne sans une lucidité
complète sur notre passé.
Commémorer, c’est penser à demain.
Vous, élèves du Collège Fabre, qui n’avez par bonheur jamais connu la
guerre, la barbarie ou la négation des Droits de l’Homme, tentez
aujourd’hui de vous plonger par l’esprit, au cœur de ces heures sombre de
l’histoire. A l’âge qui est presque le vôtre, et dans ce même lieu que
vous fréquentez tous les jours, Madeleine et Jeanine Blum ont vu leur vie
basculer, arrêtées le 22 avril 1944 par la Gestapo, et déportées vers le
camp de concentration d’Auschwitz. Elles avaient 15 et 16 ans et nul doute
qu’elles aimaient la vie, comme vous l’aimez, avec ses plaisirs, ses
beautés et ses tendresses. Nul doute non plus qu’elles haïssaient la
guerre, comme vous la haïssez vous-même... Sachez qu’il en a coûté de vies
et de douleurs il y a plus de 50 ans pour que nous puissions vivre
aujourd’hui dans la paix, le confort et l’insouciance.
Nous avons le devoir de ne rien oublier.
La mémoire est une façon de rendre honneur aux anciens. Mais elle est
aussi une façon de nous situer dans l’Histoire, de comprendre les
sentiments des Hommes et le comportement des peuples dans les moments les
plus compromis et tragiques.
Alors comment ? Comment faire reconnaître et faire comprendre l’inhumanité
du passé aux jeunes générations ?
Comment les protéger de façon définitive des pires excès que l’esprit
humain a pu engendrer ?
Souvenons-nous
que l’Homme, au 20ème siècle, a pensé, théorisé, formalisé et mis en œuvre
la négation de l’humanité elle-même. Toutes les complicités ont permis à
ce projet d’écrasement de l’humanité de voir le jour. L’Allemagne ne
saurait en être la seule en cause, c’est l’adhésion de certains, au niveau
européen, transnational, et en toute lucidité française, aux principes
nazis qui a permis la solution finale à l’échelle que nous avons connu.
Comment faire intégrer aux jeunes générations la dimension implicite d’une
critique radicale du projet nazis ? Le nazisme, l’idée politique que la
race détermine la dignité de chaque être, n’est pas un hasard. Il a été le
produit de notre civilisation occidentale, au même titre que les idées
progressistes et universalistes. Le nazisme et ses déclinaisons politiques
sont ainsi notre lourd héritage. Il convient de l’aborder sans
complaisance.
Cette idée, que les Hommes n’ont pas la même essence, qu’ils peuvent être
hiérarchisés selon leur biologie, est à combattre absolument. La
théorisation de l’inégalité raciale a conduit à la formation d’un système
d’extermination de masse.
« Les idées exercent leur ascendant sur les âmes » nous rappelait Hegel.
C’est donc bien sur le terrain des idées qu’il nous faut combattre,
s’opposer à cette facilité de pensée qu’est le racisme. Quoi de plus
explicable, quoi de plus humain, après tout, que de projeter sur l’Autre
l’ensemble de ses difficultés ? Quoi de plus naturel de se rehausser en
dénigrant Autrui ? Le danger du racisme est bien là : le racisme est une
idée simple, qui condamne la différence ; l’antiracisme une idée complexe,
car elle cherche ce qu’il peut exister de commun entre des individus
différents, et les rapprocher.
Dans un pays comme le nôtre qui, concernant le sort des juifs, s’est
toujours trouvé de parfaits prétextes à divers moments de son histoire,
rappelons avec fermeté que l’antiracisme est sans condition ! Il n’a pas à
être relativisé à l’égard d’une situation internationale donnée. Faire
cela, c’est se voiler la face, commencer à tolérer l’intolérable, parfois
sans s’en apercevoir, de bonne foi.
Revenons aussi un instant sur ces
improbables consciences, ces hommes et ces femmes, à l’image de Monsieur
Emile Baas, professeur de philosophie au lycée de garçons de Rodez, et de
Monsieur Vergne, qui prirent le risque d’agir malgré la peur, malgré la
répression, et qui permirent de sauver les vies des parents de Madeleine
et Jeanine Blum. Rien dans la vie ne les prédisposaient à être ces héros.
Ce moment de recueillement est l’occasion pour nous de nous rappeler de
ces femmes et de ces hommes, et de ce que nous leur devons. Se souvenir
d’eux, c’est les garder vivants ; les oublier serait les faire mourir une
seconde fois et donner raison à leurs bourreaux.
Alors, puisque nous avons le devoir
de ne rien oublier, puisque commémorer c’est penser à demain, ensemble,
avec vous jeunes gens, ayons une connaissance lucide de notre passé et
protégeons l’avenir.
L’éducation, symbole d’un avenir, de la confiance d’une civilisation dans
le progrès, doit être l’outil déterminant de la lutte contre les préjugés.
Ces moments de commémoration nous rappèlent la nécessité d’être durs et
déterminés dans le combat contre les pensées anti-humanistes.
Ne pas excuser, ne pas tolérer
l’indéfendable, tel est notre première tâche. Enseigner les leçons du
passé et les juger, tel est notre devoir.
Je vous remercie.
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