Sur la plaque qui va être dévoilée
tout à l’heure, vous ne trouverez pas seulement les noms de Janine et
Madeleine Blum, jeunes lycéennes arrachées à leur jeunesse et envoyées
en déportation, mais aussi celui d’Emile Baas, mon Père, professeur de
philosophie au lycée Foch pendant ces années sombres.
La rencontre entre nos deux
familles, la vôtre , chère Janine, et la mienne, relève du hasard. Vos
parents, au gré des déplacements liés à la politique anti-sémite,
avaient trouvé refuge dans le village de St Geniez d’Olt. Les miens
passaient quelques jours de vacances avec leurs aînés et les parents de
ma mère. Les deux familles se sont rencontrées et ont sympathisé.
Apprenant que mon Père était professeur au lycée de garçons , les Blum
lui ont demandé d’être correspondant de leurs deux filles, inscrites au
lycée de jeunes - filles. Bien entendu, il accepta volontiers cette
mission ; Mais, quand quelques mois plus tard il apprit que vous aviez
été arrêtées lors d’une rafle, son premier souci a été de prévenir vos
parents, de les mettre en garde face à un légitime désir d’aller vous
voir à la prison, et de leur recommander de quitter Saint- Geniez au
plus vite, avant l’arrivée des Allemands, ce qu’ils ont fait. La suite,
pour Janine et Madeleine, vous la connaissez,elles ont toutes deux subi
les horreurs de la déportation et Madeleine n’y a pas survécue.
Cette histoire, je n’étais pas née
lorsqu’elle est arrivée , mais mes parents me l’ont racontée quand
j’étais adolescente ; ils m’ont montré une photo sur laquelle se
trouvait Madeleine, ils n’avaient pas d’autres nouvelles que celle de
son décès et du retour de Janine. Cette histoire, pour moi le premier
contact concret avec la déportation, m’a bouleversée , comme elle avait
bouleversé mes parents et mes grands - parents. Mais, et c’est sur cela
que je voudrais insister, ce qui préoccupait le plus mes parents, ce
n’est pas tant ce qu’ils avaient fait (protéger vos parents), dont ils
n’ont d’ailleurs pas beaucoup parlé, que ce qu’ils n’avaient pas pu
empêcher. Plusieurs fois nous en avons parlé et c’est cet aspect qu’ils
retenaient le plus et qui les perturbait.
De votre côté Janine, il vous a fallu de longues années d’abord pour
oublier, et c’est bien normal, mais ensuite pour vouloir remonter les
fils de cette histoire si douloureuse et retrouver ceux qui y avaient
d’une façon ou d’une autre contribué. C’est aussi pour cela, chère
Janine, que lorsque vous avez repris contact avec ma famille, mon Père
étant déjà décédé, nous avons eu du mal parfois à remettre bout à bout
les pièces de votre histoire. Grâce aux recherches des uns et des
autres, vous avez pu y arriver après tant d’années et dès lors vous
n’avez eu de cesse d’en porter témoignage. Cette cérémonie en est
peut-être le point le plus important, pour que nul n’oublie mais plus
particulièrement les jeunes générations.
Vous avez voulu que mon Père soit
cité sur cette plaque et, au nom de ma famille, je vous en remercie ;
mais j’espère que là-haut, il ne nous en voudra pas : c’était un homme
discret qui n’a jamais cherché à se mettre en vedette. Les justes ne
sont pas seulement ceux qui se vantent.
Quant à nous, chère Janine, nous
sommes devenues amies. C’est en partie en hommage à votre sœur, mais
bien sûr aussi à vous, que j’ai toujours estimé, avant même que nous
nous retrouvions, que l’histoire de la Shoah était un temps fort de mon
enseignement C’est pour cette raison que j’ai tenu par deux fois à faire
le voyage à Auschwitz, avec des lycéens, cela me semblait nécessaire de
faire ce « devoir de mémoire » pour toutes les victimes, mais plus
particulièrement pour Madeleine et pour vous. Puissiez-vous maintenant,
chère Janine, après ces cérémonies, vous retrouver en paix avec
vous-même , votre famille , et ceux qui vous ont contribué à recomposer
ce passé si douloureux. C’est le souhait que je formule aujourd’hui.