Un projet de Daniel FUKS
En automne 2009, j’ai participé au cinquième Colloque de Lacaune, consacré à La Shoah dans les départements français, déportation, sauvetage, survie (1). J’y ai présenté une Enquête sur les victimes d’Alsace-Moselle, basée sur le Memorbuch du Haut-Rhin, (2).
À l’ouverture du colloque, Jacques Semelin, professeur à l’EHSS, annonçait qu’il avait entrepris d’étudier la survie des Juifs en France, sujet historiographique nouveau. Une phrase d’Annie Kriegel, lui servait de guide :
"C’est au ras des pâquerettes, dans la nature des rapports et relations interpersonnelles entre Juifs et non-Juifs, à l’échelle de la vie quotidienne qu’il faut aller chercher le secret des plus efficaces stratégies de survies;".
Je lui ai alors proposé d’interviewer des coreligionnaires colmariens qui m’avaient raconté des souvenirs de cette période. Il m’a encouragé dans cette démarche.
J’ai alors contacté ces personnes, recueilli leurs témoignages, et, avec leur participation, rédigé leurs souvenirs. Ce furent des rencontres intéressantes, émouvantes et enrichissantes. Des détails oubliés depuis tant d’années, des anecdotes piquantes, des épisodes dramatiques, ont ressurgi. Des photos, classées dans des albums ou empilées dans des boîtes à chaussures, ont reparu.
J’ai ensuite étendu le cercle des entretiens et pu découvrir d’autres témoignages écrits, rédigés à l’usage familial.
Les documents ont été transmis à Jacques Semelin, qui en a exploité leur contenu.
En 2013 est paru son important ouvrage : Persécutions et entraides dans la France occupée. Comment 75% des juifs de France ont échappé à la mort (3).
Ces témoignages, sous leur forme originelle, sont proposés ici aux lecteurs du site du Judaïsme Alsacien, édités et enrichis de documents et photos par Michel Lévy. Qu’il en soit chaleureusement remercié.
Nous espérons que la lecture de ces témoignages suscitera des vocations d’enquêteur/euse, et enrichira la présente collection de nouveaux témoignages.
Janine est partie, en toute discrétion, comme elle a toujours vécu. Avec son départ, c’est une bibliothèque qui s’en va. Vous tous avez connu Janine au Temps Libre. Mais à Colmar elle n’a pas fait que cela ; elle a donné des cours d’hébreu, et gare à celles qui n’avaient pas révisé pendant la semaine… Son engagement auprès des Amitiés Judéo-Chrétiennes était sans faille, participant assidument aux conférences, intervenant lors des discussions. Quant au Temps Libre : C’est elle qui a créé cette activité, lui a trouvé une dénomination sympathique (on peut avoir du Temps libre sans pour autant être classé dans les seniors ou 3ème âge). Et c’est toute seule qu’elle a animé ce groupe pendant 25 ans, y imprimant sa marque, son ouverture d’esprit, cherchant des intervenants dans et en dehors de la communauté et choisissant des sujets sur divers thèmes, et cela jusqu’en 2016 . Mais Janine n’était pas qu’une intellectuelle, ses caramels et ses zemetkuches étaient réputées ! Fatiguée elle a dû se résoudre à partir en maison de retraite, et fidèle à ses convictions, a préférer aller dans une maison de retraite juive afin de poursuivre sa vie juive, les fêtes, la cacherout. Jusqu’à peu de temps on pouvait la rencontrer dans cette maison un journal sur la table et un livre non loin. Se remémorer Janine, c’est aussi se souvenir des petites piques qu’elle lançait lorsque les discussions s’éternisaient, lorsque les conférenciers dépassaient le délai prévu. Janine, une forte personnalité, cultivée, discrète, alliant autorité et humour. Tu es partie, emportant avec toi un savoir que tu avais acquis durant ta vie. Là-haut, ils auront la chance de t’accueillir. Et si tu as le temps, songe à une activité « Temps Libre ». Nous ne sommes pas éternels… Le Comité du Temps Libre |
Avant la guerre
Mon père était commerçant en gros dans la laine. C'était une entreprise assez importante avec des succursales à Paris et Roubaix. Mon père était associé avec ses frères et avec des frères Bloch. Nous vivions à Colmar rue Voltaire.
J'ai suivi une scolarité normale au Lycée Camille Sée. Je n'ai pas souvenir d'actes ou d'attitudes antisémites.
Au sein de la famille on suivait les événements politiques.
Dans les années 30 nous avons vu arriver les Juifs allemands qui avaient fui le régime nazi.
J'ai été en contact avec des jeunes allemands, l'un d'eux avait été engagé par mon père pour faire de la conversation dans sa langue avec mon frère
Je n'ai pas de souvenir précis sur la politique.
Drôle de guerre
Nous n'étions pas en Alsace le 1er septembre 1939, car nous avions accompagné notre père à Aix-les-Bains, où il suivait une cure.
Mes parents craignaient que ce soient les Italiens – voisins de la Savoie - qui ne déclenchent les hostilités. C'est pourquoi nous sommes partis à Bordeaux où mon oncle Marcel Weill était colonel au service géographique de l'armée.
Je suis entrée en classe de 5e à Bordeaux.
Mon oncle Georges Alexandre, resté à Colmar, nous a préparé un cadre de déménagement qui a été expédié en zone non occupée. Nous ne l'avons récupéré qu'après la guerre.
À Gérardmer, mon père avait des contacts dans une usine de feutre, et certains de nos effets y ont été entreposés.
Lors de l'incendie de Gérardmer, pendant la guerre, ces affaires ont été détruites et il n'en n'est pas resté grand chose.
Les hostilités - été 1940
Je me souviens de l'arrivée des Allemands à Bordeaux.
Nous sommes alors repartis pour Aix-les-Bains. Nous y avons regagné notre appartement meublé loué. Nous avons fait le voyage en voiture, avec arrêts à Carcassonne et Pézenas. Cela s'est passé après la fin des hostilités et de la débâcle; le voyage s'est donc déroulé sans encombre.
J'ai continué ma scolarité au lycée de Chambéry, où je faisais tous les jours le trajet en train.
J'avais de bonnes copines. Pétain était un héros pour toutes. Il n'entrait pas d'antisémitisme dans cette admiration.
Parmi les nombreuses familles juives à Aix-les-Bains je me souviens de la famille Schlammé de Saverne, des époux Jacob de Saint-Louis, du rabbin Soil.
Mon oncle Georges Alexandre nous y a rejoints avec son épouse May, née Dreyfuss, originaire de La Chaux-de-Fonds (Suisse). Par la suite, ils ont pu se réfugier en Suisse.
À cette époque la région était sous occupation italienne. Nous n'avons pas vécu cette occupation comme particulièrement rigoureuse.
Il y avait une vie juive organisée avec offices religieux et abattage rituel. Mon cousin Michel et Jacques Schlammé ont fait leur Bar Mitzwa pendant cette époque.
Notre train de vie était sobre. Nous allions nous ravitailler dans les villages environnants. J'ignore de quelles ressources financières nous disposions, à part les allocations de réfugiés, mais je pense que mon père percevait des revenus transmis par les administrateurs "aryanisés" des succursales parisiennes de l'affaire familiale.
Septembre 1943 – destitution de Mussolini.
J'avais terminé la seconde.
Lors de la destitution de Mussolini et la capitulation de l'Italie, les Allemands ont occupé la Savoie. Nous avons été avertis à temps et nous sommes réfugiés dans l'Ain, à Artemare près de Culoz. S'y trouvaient aussi la famille Marcel Schwed de Colmar, dont la fille Nicole épousera plus tard mon frère.
J'ai fait ma scolarité de première en cours par correspondance.
Mon frère Jean-Simon étudiait le droit à Lyon. Il a essayé de passer en Suisse sans succès. Comme il était en âge d'être réquisitionné, il s'est caché.
Nous vivions dans un petit appartement au confort rudimentaire.
En mai 1944, nous avons pu passer illégalement en Suisse, moi, mon frère, ma grand mère Louisa Alexandre. Le passeur nous a attendus à Bellegarde. Cela a dû se passer de jour car je garde le souvenir d'une nature fleurie, avec peu de barbelés. Nous avons été internés à Genève - Champel.
De Champel nous avons pu rendre visite à Paul Lévy, interné au "Camp du bout du monde " (1).
Mes parents ont réussi à passer en Suisse avec un autre groupe.
Mon père avait un ami en Suisse qui s'est porté garant, ce qui nous a permis de quitter le camp.
Nous sommes restés à Genève, où nous avons d'abord logé dans une pension de famille, puis dans un appartement loué avenue de Malagnou.
Libération à Aix, automne 1944.
À la libération d'Aix en été-automne 1944, nous y sommes retournés. J'ai pu faire le premier bac. Vu les circonstances de la fin de guerre, c'était un bac aménagé, sans épreuves d'oral. J'ai commencé la classe de philo à Aix.
Dès la libération de Colmar, en février 1945, mon père y a fait des allers-retours pour remettre l'affaire en marche et nous trouver un appartement.
Nous sommes rentrés à Colmar à la fin de l'année scolaire.