par Christian DIRWIMMER
Extrait de l'Annuaire de la Société d'Histoire du Val de Villé, 1995, avec l'aimable autorisation de l'auteur
S'il
est une communauté qui a souffert de l'idéologie nazie et de
son application pendant la durée du "Troisième Reich", c'est
bien le peuple juif qui, avec d'autres minorités ethniques, perdit
une grande partie de ses effectifs dans l'opération de liquidation
entreprise par Hitler et ses complices. Les historiens estiment aujourd'hui
qu'environ 6 millions de juifs y ont laissé leur vie, pour l'essentiel
dans les camps de concentration et d'extermination dont certains continuent
pourtant, aujourd'hui encore, à nier l'existence. C'est dans ce contexte
qu'il nous a semblé important, à la lumière de documents
et de témoignages que nous avons pu rassembler, de reconstituer, du
moins partiellement, le sort de la communauté juive de Villé
pendant les années de guerre.
08.10.1941. Nous avons eu quelques nouvelles de Villé. D'après ce qu'on dit, tout a été pillé dans nos maisons et il est inutile de se faire des illusions de retrouver beaucoup de choses à notre retour, retour auquel nous croyons fermement, mais quand à Gaston (WEILL) et Georges (HEIMENDINGER) ont été voir Vonderscheer, vérificateur des viandes de Villé, qui est réfugié à St Rambert où il était prisonnier pendant 14-18. Il y travaille dans la culture. Rosa (HEIMENDINGER) va de temps en temps se ravitailler en légumes là-bas. Vonderscheer a donc vu ce qui s'est passé à Villé jusqu'en décembre (1940). Dernièrement Paul Meister a été enfermé dans le camp de Schirmeck à la suite d'une conversation avec Marthe Munschina ("Ich wiirde dich lieber roh essen als Hitler gebraten" = "Je préférerais te manger crue que Hitler rôti")... Chez nous il y avait pour un moment des soldats, mais je ne sais pas ce qu'il y a maintenant. Au début, MEISTER Paul était nommé liquidateur de notre affaire".
"Hier matin 23 mars (1941), on a signifié à Jules, Myria et Jean-Jacques d'être obligés de prendre résidence surveillée à Saugues (Haute Loire). On donne un délai de 10 jours. Pourquoi ? Nous ne savons pas. Nous avons fait opposition à la GERAL (3) et à la préfecture. Jules est parti aujourd'hui à Clermont-Ferrand voir le président de la GERAL".
"04.06.1942. Nous avons pu rester dans notre bon logement de la rue Chaussade, ayant eu satisfaction par le préfet".
"08.09.1942. Jules a été appelé à la police pour décliner son identité, sans autre raison ".
"30.09.1 942. Jules a été appelé au commissariat où on lui a signifié d'aller avec Myria et Jean-Jacques en résidence surveillée à Saugues. Le président du GERAL a eu 8 jours de prolongation par le préfet. Nous avons fait une demande de pouvoir rester.
"23.10.1 942. J'écris déjà à Saugues oà nous avons étà envoyés en résidence surveillée par la préfecture ".
"29.11.1942. Hier, j'étais à la gendarmerie pour me faire mettre le tampon "juif" sur la carte d'alimentation et sur la carte d'identité. Quand est-ce que ça prendra fin ! On est dégoûté de toutes ces histoires et nous demandons à pouvoir rester ici jusqu'à la fin ".
"09.05.1943. Jules, Myria et Jean-Jacques sont obligés d'aller toutes les semaines à la gendarmerie pour signer comme étant en résidence surveillée ".
"25.06.1943. Reçu hier feuille de l'office du travail. Je dois envoyer au Puy un certificat délivré par mon employeur avec l'indication de mon salaire. Au cas où je ne répondrais pas on me met sous la menace de me placer d'office comme manoeuvre et on me supprimera l'allocation ".
"17.11.1943. Ce soir, je dois prendre la garde à Monistrol de 17h à 6h45 du matin (4)."
"02.12.1943. Aujourd'hui, Jules est allé au Puy spécialement pour se faire délivrer un certificat pour être dispensé de prendre la garde sur la voie. Il faut un certificat d'un médecin assermenté ".
"25.12.1943. Reçu cartes d'identités pour toute la famille ".
"Du 20.03.1944. Jules est parti au Puy pour passer une contre-visite concernant la garde à prendre sur la voie à Monistrol".
"04.06.1942. Je m'occupe toujours à l'atelier (de menuiserie). Ces derniers temps, je me suis beaucoup appliqué à faire du vernis au tampon. J'ai eu bien des différents avec Ravaux (son employeur) qui cherche à profiter de la situation ".Après le déménagement de la famille du Puy à Saugues, Robert WEILL trouve à s'employer chez son logeur, M. Roussel, qui dirige, lui aussi, un atelier de menuiserie :
"23.07.1942. Je fais actuellement 2 buffets bas, premiers meubles que je fais tout seul (...). M. Blum, quoiqu'ouvrier très expérimenté puisqu'il a 62 ans, n'avait jamais fait de portes galbées. Grâce à mon concours et par mon livre, nous arriverons à les faire quand même".
"24.09.1942. Quitte atelier Ravaux. J'étais donc 21 mois chez lui. Ses affaires commerciales sont liquidées ".
"29.09.1942. Entré chez Chareyre, fabrique de buffet de cuisine moderne en série".
"10.11.1942. Phase de notre vie à Saugues: (...) je fais une table".
"09.02.1943. En ce moment, j'aide M. Roussel à l'atelier pour faire échelle et brouette".
"23.04.1943. Depuis le 15, je m'occupe chez le menuisier M. Dupain, ce qui me donne des notions de menuiserie ".
"09.05.1943. J'ai travaillé quelque temps chez un menuisier Dupain. Le travail me distrayait bien, mais DUPAIN étant un homme de petit esprit, je ne pouvais pas continuer avec lui".
"25.06.1943. Je me suis fait embaucher chez M. Médard Pierre, cultivateur à Villaret, en faisant un contrat. Sans être enchanté d'exécuter des travaux agricoles je me sens plus protégé contre les éventualités qui peuvent se présenter".
"30.06.1943. Voilà 2 jours que je travaille chez Médard. J'ai appris à faucher et à faner, ainsi que toutes sortes de travaux dans la culture (5). Il n'y a pas de sot métier, il n'y a que des sottes gens. On est en général trop enclin à vouloir mépriser soit les cultivateurs, soit les artisans. Le meilleur remède à cela est d'y passer soi-même. Personne ne devrait ignorer la culture (5)dans la mesure dans laquelle je l'ignorais ; c'est donc la chose la plus utile à l'humanité. J'ai fait la fenaison qui était assez dure. Les fermiers sont bien gentils avec moi".
"25.07.1943. Je continue à travailler à la ferme Médard où j'ai fait la fenaison et où l'on est en train de faire la moisson. Les gens sont bien gentils avec moi et ils cherchent à me faire plaisir".
"07.09.1943. Hier après-midi, travaillé chez Médard pour faire des volets. Jules est venu voir le tabac qu'il a fait planter et qui a bien réussi".
"13.10.1 943. Hier après-midi, ramassé des pommes de terre pour la première fois de ma vie avec Marie Médard".
"08.10.1941. Myria est toujours très occupée à pourvoir aux besoins du ménage : cuisine, faire les chambres, lavage, raccommodage Elle a bien du mérite. Jules s'occupe du ravitaillement qui est une question très importante en ce moment ".
"21.06.1942. Malgré les restrictions, nous mangeons encore bien, Dieu merci. Car combien de pauvres malheureux y a t-il qui ne mangent pas à leur faim ! ".
"19.07.1942. Le ravitaillement devient de plus en plus difficile. Il y a beaucoup de gens qui sont bien malheureux, surtout dans les villes comme Lyon et Marseille ".
"30.09.1942. Sommes allés avec Jules et Jean-Jacques dans une ferme de Verney, à 4,5 km de Saugues, pour nous ravitailler".A partir de cette date, Robert WEILL n'évoque plus les difficultés d'approvisionnement, preuve que celui-ci devait s'effectuer relativement aisément. Il faut préciser que "l'ordinaire" était régulièrement amélioré par les abondantes cueillettes de champignons et les pêches à la truite dans les torrents des environs.
"10.11.1942. Le ravitaillement est bon ici".
"09.05.1943. Je me suis mis, avec Jules, à aller à la pêche à la truite".
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