Contribution à l'Histoire
de la Communauté de Mulhouse

Un article de E. WAHL

Notre Synagogue

Extrait de la revue Kadimah
Bulletin bimensuel de la communauté israélite de Mulhouse - 1930

synagogue de Mulhouse - 1930
La synagogue de Mulhouse vers 1930
Après l'heureuse rénovation intérieure de notre belle synagogue, il sera peut-être d'intérêt général d'avoir un petit aperçu sur la construction de notre Maison de prières.
Par suite de la croissance de la communauté, la synagogue, qui alors se trouvait rue Ste-Claire au numéro 25, immeuble habité aujourd'hui par Monsieur Adolphe Bilger, était devenue trop petite et l'on méditait de la liquider et de la remplacer par une nouvelle, plus grande et plus belle.

A cet effet, il se formait bientôt, une association à laquelle adhéraient presque tous les membres de la communauté. Son seul but était de liquider l'ancienne synagogue et d'en construire une nouvelle. Vu l'importance de l'oeuvre à exécuter, la commission de cette association se réunit avec l'ancienne commission administrative de la communauté pour n'en former qu'une seule, dite Commission de Construction.
Monsieur Félix Katz fut nommé président, Monsieur Jacques Bernheim-Dreyfus, vice-président, Monsieur Benjamin Paraf, trésorier, Monsieur Simon Paraf, secrétaire de cette commission.

synagogue de Mulhouse - 2006
La synagogue de Mulhouse en 2006
Photo Michel Rothé ©
La première démarche à faire par la commission tendait a obtenir une subvention de la Ville de Mulhouse.
Une sous-commission fut nommée a l'effet de s'enquérir des terrains les plus convenables et les plus avantageux pour y asseoir le nouveau temple.
La première séance en vue de la construction du nouveau temple eut lieu le 6 octobre 1846 dans le domicile et sous la présidence provisoire de M. Simon Picard.
La deuxième séance eut lieu dans une salle du Café de la Ville de Bâle, local désormais consacre aux séances de la Commission de Construction.
Une lettre écrite par la Commission administrative de l'ancienne synagogue fut très bien accueillie par le Maire. De même, les démarches personnelles faites par divers membres de la Commission de Construction eurent un résultat très favorable.
Elle eut la promesse formelle du Maire de proposer au Conseil municipal de voter le principe d'une subvention convenable par la Ville.
M. le rabbin Dreyfus s'était rendu à Colmar chez le Préfet, qui lui promit à son tour son concours favorable pour toutes les démarches à faire auprès de l'autorité supérieure.
En effet, le Conseil municipal se montra très prévenant envers ses concitoyens israélites en leur accordant une subvention de 15.000 frs.
L'aperçu que la Commission de Construction avait remis à Monsieur le Maire prévoyait une somme de 134.000 frs. pour la construction de la nouvelle synagogue (achat du terrain, construction, ameublement, honoraires de l'architecte, etc.) et comme recette environ 114.000 frs. (pour la concession des places 104.000 frs. et pour le bâtiment de l'ancienne synagogue 10.000 frs.
la coupole initiale
Plan de la coupole initiale - 1846

Photo tirée de Le temple et la cité,
de Joseph Specklin
Société Académique du Bas-Rhin
pour le progrès des Sciences, des Lettres, des Arts
et de la Vie économique
Bulletin t. CXXIX-CXXX 2009-2010
Le Conseil municipal avait votée sa subvention sous la condition que la construction de la synagogue serait faite strictement d'après les plans, devis etc. qui lui avait été soumis et qui prévoyaient également une coupole sur le bâtiment de la synagogue.
La Commission chargée de se renseigner sur le terrain le plus convenable, dans son rapport, démontra que de tous les emplacements une partie de l'ancien hospice conviendrait le mieux sous le rapport du prix et de la position.
La Sous-commission chargée d'acquérir le terrain fit part que les propriétaires de l'ancien hospice consentiraient à céder la superficie demandée au prix de 29.000 frs; par suite de pourparlers, le prix en fut réduit jusqu'à 22.000 frs. Mais voyant, que leurs concitoyens israélites tenaient beaucoup cet emplacement, les propriétaires augmentèrent d'un coup leurs prétentions et portèrent le prix à 25.000 frs.
La Commission de Construction ne voulant pas se laisser faire, crut convenable de rechercher un autre terrain.
Les propriétaires de l'ancien hospice, avant appris cette circonstance, modifièrent leur manière de voir et cherchèrent à opérer un rapprochement avec la Commission de Construction.
A la suite de ces dernières négociations, ils consentaient à céder la superficie demandée au prix de 20.000 frs.
Le Conseil municipal avait la conviction qu'en construisant la synagogue sur le terrain provisoirement acquis et dans la configuration indiquée, cet édifice ne serait pas dans les conditions de perspective et de symétrie convenables et avait émis l'avis de voir la synagogue construite dans toute sa longueur sur l'alignement de la rue de l'Hospice (aujourd'hui rue de la Synagogue).
Pour entrer dans les vues du Conseil municipal, il fallut annuler le précédent marché et acquérir un terrain qui avait une façade beaucoup plus grande et 162 m2 de plus de superficie pour 25.000 frs.
Dans un but d'économie, on avait obtenu le concours de Monsieur Chacre, Architecte de la Ville. Celui-ci, accompagné de deux membres de la Commission de construction, fit bientôt après le voyage à Colmar afin d'examiner synagogue de cette ville qui devait servir de modèle pour la construction de notre temple.

Le secrétaire de la Commission avait fait des démarches afin de savoir si on ne pourrait pas affranchir des droits d'enregistrement l'achat du terrain de la nouvelle synagogue, mais il avait acquis la conviction que cette exemption était impossible vu que, d'après la nouvelle législation, les communautés n'étaient pas plus favorisées que les particuliers.
Vu le premier acompte à payer aux vendeurs du terrain, il fut décidé qu'une liste de souscription serait présentée aux sociétaires afin que chacun puisse souscrire pour une certaine somme à payer par anticipation et à valoir sur les places à acquérir.

Messieurs Isaac Lantz et Corneille Bernheim furent chargés du soin de cette souscription. Celle-ci fut dressée avec la stipulation en tête que les sommes souscrites seraient à valoir sur le prix des places concédées plus tard et que cette avance porterait intérêt à 5% jusqu'à l'époque de la concession des places. L'ensemble des souscriptions recueillies dépassa bientôt 17.000frs. et l'on décida de continuer la présentation à domicile de la liste.
L'ensemble des plans avait été déposé le samedi à l'issue de l'office dans la synagogue afin que tous les membres de la Communauté, pussent en prendre connaissance.
Quant au mode d'adjudication, la Commission avait décidé de procéder par une adjudication publique au rabais et à la criée. Cette adjudication eut lieu dans une salle de l'Hôtel de Ville le 15 mars 1847.

Les annonces et publications nécessaires avaient été faites dans les feuilles suivantes: L'Industriel et la Feuille d'annonces de Mulhouse, les Feuilles d'annonces d'Altkirch, et de Belfort, le Courrier d'Alsace et le Progrès de Colmar et le Courrier du Bas-Rhin.

Les principales clauses du cahier des charges, rédigées par M. Chacre, architecte, avaient été arrêtées de la manière suivante:
Jean Paptiste Schacre
Jean Paptiste Schacre (1808-1876)
(Jean Weber,
Les Prussiens à Mulhouse
Mulhouse, Meininger, 1910)

Photo tirée de Le temple et la cité,
de Joseph Specklin
Société Académique du Bas-Rhin
pour le progrès des Sciences, des Lettres,
des Arts et de la Vie économique
Bulletin t. CXXIX-CXXX 2009-2010
Le bâtiment brut devra être sous toit le premier octobre, présente année, et tour les travaux entièrement terminés pour le 1er mai 1848.

Sur le prix de la construction, l'entrepreneur recevra 20.000 frs. pendant le cours des travaux; pour le reste, il faudra qu'il accorde 4 termes, qui lui seront payes d'année en année pendant quatre ans consécutifs. Cette somme portera intérêt au prix de 5% à dater du jour de la réception définitive des travaux.
(Dans une séance postérieure, la Commission s'était réservée le droit de se libérer par anticipation si ses moyens le lui permettaient.)
Pour chaque jour de retard, quand au délai fixé pour l'achèvement des travaux, il serait fait à l'entrepreneur une retenue de 50 francs. — La Commission se réserverait néanmoins le droit de faire achever les travaux en souffrance aux frais de l'entrepreneur.
Avant de procéder à l'adjudication des travaux, la Commission fixa le minimum du rabais qu'elle entendait obtenir sur les prix portés dans le devis. D'après les divers renseignements, on crut pouvoir s'arrêter au chiffre de 8 pour cent. Ce chiffre fut adopté et consigné dans une lettre cachetée déposée sur le bureau.

Le cahier de charges exigeait que toutes les pierres devant être employées à notre édifice, ne pourraient être tirées que des carrières de Riedisheim. M. Chacre crut, sans nuire à notre construction, pouvoir autoriser l'entrepreneur de prendre des pierres des carrières de Brunstatt pour les fondations, qu'en fixant le choix des pierres qui devraient servir exclusivement à la construction du bâtiment, on aggraverait d'une manière extraordinaire les charges de l'entrepreneur à tel point que personne ne pourrait s'en charger.
Sur cela, la Commission décida, malgré l'insistance de Monsieur Chacre que toutes les pierres pourraient être tirées de n'importe quelle carrière.

On procéda à l'adjudication. Aucun entrepreneur ne s'était présenté sauf M. Schoenenberger d'Altkirch, qui n'offrit qu'un rabais d'un demi pour cent, la Commission décida de ne pas adjuger à ce prix-là.
Dans la suite, on connut la cause principale qui avait décidé les entrepreneurs à ne pas concourir, c'étaient les conditions de payement qui prévoyaient de trop longs termes.

Pour obvier à cet inconvénient, on contractait un emprunt de 30.000 frs. pour pouvoir payer la construction au comptant au fur et à mesure de l'achèvement.
Les conditions de payement furent modifiées en conséquence avec la stipulation que les travaux devraient être entièrement achevés le 30 juin 1848.

Des 6 entrepreneurs soumissionnaires, 3 étaient d'Altkirch, 1 de Bâle, 1 de Soultz et 1 de Mulhouse.

Messieurs Maring et Carle de Bale, qui offraient le rabais le plus fort, 6%, furent déclarés adjudicataires des travaux.

L'adjudication des travaux à Messieurs Maring et Carle eut lieu le 22 avril 1847, et en octobre de la même année déjà on pensait a la résiliation du contrat avec les entrepreneurs qui brillaient par leur absence au chantier du travail et oubliaient de payer leurs ouvriers.
Le contre-maître menaçait d'abandonner les travaux, si l'argent nécessaire à la paie des ouvriers ne lui était pas avancé.
On consultait le Maire de la Ville sur les mesures à prendre, et sur l'avis de ce magistrat, il fut versé entre les mains du contre-maître la somme de 1350 frs. pour payer les ouvriers.

On fit assigner les entrepreneurs par devant le tribunal de commerce qui prononça la résiliation du contrat avec les adjudicataires de la construction et nomma trois experts pour dresser l'état des travaux faits jusqu'à ce jour; on était au 30 octobre 1847.

D'un arrangement conclu avec le syndic et le juge commissaire de la faillite Carlé il résultait que le syndic abandonnait à la Commission de construction les échafaudages, les outils de maçonnerie, les hangars en planches, la maisonnette en bois formant bureau, en un mot tout ce qui se trouvait sur le terrain de construction ayant appartenu à Carlé - à l'exception d'une voiture à 4 roues et des matériaux de construction — moyennant une somme de 1500 frs.
Il était stipulé de plus, que moyennant le payement de cette somme de 1500 frs., le syndic s'engageait ne plus faire aucune réclamation et renonçait d'avance à toute espèce de procès à intenter à la Commission de construction par suite de la faillite Carlé.

Ce fut à ce moment là, en décembre 1847, qu'on reconnut qu'avec toutes les ressources présumées il serait impossible d'arriver au paiement des dépenses, si la Communauté était obligée de construire la coupole exigée par le Conseil municipal. Ce dernier en autorisa donc la suppression tout en maintenant cependant l'allocation de la Ville. C'est ainsi que notre synagogue est restée sans la coupole, qui était prévue sur les plans primitifs.

Pour reprendre les travaux délaissés, on fit un traité avec Monsieur Michel Arger, entrepreneur, qui se chargea de l'achèvement de la synagogue au Prix de 47 500 frs. De cette somme il y avait à déduire pour les ustensiles et matériaux 1500 frs.
Déjà, dès le début de la construction, la surveillance des travaux de construction avait été partagée entre les membres de la Commission de la façon suivante: Chaque semaine, deux d'entre eux, (en bon père de famille, se rendaient deux fois par jour sur le terrain, pour suivre la marche des travaux.

Pour accélérer les travaux, on nomma un comité spécial pour chaque genre de travail. Ainsi, il y avait un comité chargé de la confection des bans, une commission d'éclairage, une commission d'ameublement, etc.

On prévoyait environ 200 places d'hommes et 230 places de femmes.
Chaque place d'homme revenait à 10,50 frs., tout compris, avec une plus value de 2,50 frs. pour chaque tête de banc façonnée, Les places de dames revenaient un peu meilleur marché.
Le lustre
Le lustre
Photo Michel Rothé ©

Pour l'éclairage on prévoyait 228 lumières en tout, et la dépense de gaz pour une heure d'éclairage était évaluée à 13m cube à 55 cts. soit 7,15 frs.

Les 2 grands chandeliers furent faits à. raison de 950 frs. les deux en fonte dorée à l'or fin en feuilles. La chaire fut confectionnée pour la somme de 650 frs.

Ainsi, nous voyons, petit a petit, approcher le moment où la nouvelle synagogue allait être terminée, et nous sommes arrivés au mois d'aôut 1849.
Avant l'inauguration du nouveau temple on avait nommé une Commission provisoire à laquelle appartenaient: MM. Corneille Bernheim, Samson Bernheim, Lazare Lantz, Nathan Schwartz, Bernheim-Woog, Joseph Bloch, Benjamin Paraf, Lazare Levy et Auguste Roos.

Pour arriver le plus promptement possible au paiement des frais occasionnés par la construction de la synagogue, l'acquisition du terrain et l'ameublement intérieur de la synagogue, on décida de louer les places publiquement aux plus offrants et derniers enchérisseurs.

Le nombre des places existantes, s'élevant à 209 fut divisé en 10 séries. La première série se composa des places, No. 1-6 qui étaient estimées à 1600 frs. La dernière série allant de 178 à 209 fut estimée à 300 frs. Lors de la location, les places les plus chères étaient le No. 8 (homme) et 40 (dame) qui furent adjugées à Mme Vve Mathieu Paraf pour la somme de 3400 frs.; les places, les moins chères, furent adjugées au prix de 305 frs.
Bientôt après la location, des réclamations avaient été faites à la Commission au sujet de plusieurs places qui auraient été dérangées. La Commission se réunit sur les lieux et constatait en effet que les panneaux des places No. 15 et 24, où sont adaptés des pupitres, avaient été avancés de plusieurs centimètres. La Commission considérant qu'il est de tout justice que chaque place conserve le même espace qu'elle avait au moment de la location, décida que les susdits panneaux seraient replacés immédiatement à leurs lieux primitifs.
Pour empêcher pareil dérangement et d'autres dégâts commis journellement dans la nouvelle synagogue, on plaçait jusqu'à l'inauguration un gardien à la porte de la synagogue avec la consigne de ne laisser entrer aucun visiteur sans permission expresse délivrée par le secrétaire de la Commission.

Vu l'état précaire de la Caisse de la Communauté, la Commission avait décidé que les frais qui résulteraient de l'inauguration seraient supportés moitié par la Commission de Construction, moitié par la Commission administrative.

Du compte-rendu établi par Monsieur Isaac Lantz, le 19 décembre 1853, il résulte que :

les recettes se montaient à : 164 160,70 frs
les dépenses à : 163 816,50 frs
donc en caisse un excédent de : 344,20 frs.

Dans sa séance du 19 décembre 1853, la Commission de Construction, avant de se séparer définitivement, se félicita de pouvoir résigner ses fonctions sans laisser aucune charge à la Communauté.

E. WAHL


synagogue de Mulhouse
La synagogue de Mulhouse - Décembre 2006
Photo Michel Rothé ©



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