En deux cents ans, les Juifs de Strasbourg ont connu la Révolution et ses conséquences, bénéfiques pour leur statut personnel mais dangereuses pour la survie de leur religion.La lutte entre les tenants de la tradition et les réformateurs n’a pas atteint le degré de violence qu’elle eut en Allemagne. Après un long passage par un culte libéral contraignant une petite partie de la communauté à faire sécession, on en est revenu, après la shoah, à un culte assez proche de l’orthodoxie. Mais les quelques mesures qui devraient être prises pour se conformer à la halakha (me’hiza almemor central, chœur moins envahissant...) sont impopulaires de sorte que la grande communauté demeurera dans cette zone intermédiaire entre l’orthodoxie et le libéralisme.
Lorsque l’on ouvre le Registre du Dénombrement des Juifs tolérés en la Province d’Alsace de 1784 (1) sur la page Strasbourg, on a l’impression qu’une petite communauté juive de 68 personnes y habitait très normalement.
En fait, le droit d’habitation était toujours refusé aux Juifs, mais,
grâce à la protection royale, Cerf Berr avait, dès 1768, obtenu
pour lui-même, ses fils et ses gendres, ses employés et ses domestiques,
un droit d’habitation temporaire et toujours révocable. Puis, en 1771,
grâce à la complicité d’un prête-nom, il avait pu acheter une propriété au
Finkwiller. En 1775, le roi lui avait octroyé des lettres de naturalité
(2), pour lui-même et sa famille, et en faisait un sujet français. Mais il
n’est pas possible de parler de communauté, car il lui avait été
formellement interdit par le Magistrat de Strasbourg de tenir synagogue,
de sorte que, chaque fin de semaine, il faisait atteler sa voiture et se
rendait dans la toute proche communauté de Bischheim, où il avait sa
maison, pour y passer le Shabath.
Durant l’hiver 1778-1779, faisait-il
trop froid, y avait-il trop de neige, Cerf Berr était-il souffrant
? Toujours est-il qu’il décida de passer le shabbat à Strasbourg et de
faire l’office dans sa bibliothèque. Mal lui en prit, car des voisins,
intrigués par le va-et-vient, s’approchèrent et crurent entendre des
chants religieux. Ils le dénoncèrent au Magistrat qui réclama des
explications à Cerf Berr (3). Même après la prise de la Bastille et
son équivalent strasbourgeois, le sac de l’Hôtel de Ville du 21 juillet
1789, le Magistrat s’ancrait dans l’idée que Cerf Berr, bien que
bénéficiant des Lettres de Naturalité du roi, ce qui lui donnait la
nationalité française, était juif avant d’être Français, et que de ce fait
les dispositions sur les Juifs édictées par la Ville et implicitement
reconnues par la Capitulation de 1681, devaient lui être appliquées
(4).
Il n’est donc pas possible de parler d’une communauté juive à Strasbourg avant le Décret de l’Assemblée Nationale du 27 septembre 1791 accordant l’égalité des droits à tous les Juifs qui auront prêté le serment civique. Et encore la Ville y mit beaucoup de mauvaise volonté, refusant de recevoir le serment civique durant de longs mois.
Obstiné, têtu, sûr de son bon droit, Cerf Berr ne prêta pas le serment civique, mais ses fils et ses gendres se prêtèrent à cette formalité le 21 février 1792 (5), suivis en cela par de nombreux Juifs des environs de Strasbourg. On organisa aussi de petits oratoires. Il y en eut un à l’auberge à l’enseigne de St Georges dans la rue des Orfèvres, tenue par Isaac Netter de Bergheim (6), un autre chez Moyse Isaac au 87 rue du Vieux Marché aux Vins, un autre chez Joseph Lehmann, au 12 rue du Jeu des Enfants, un autre encore chez le rabbin Abraham Auerbach, neveu et gendre du rabbin David Sintzheim dans la rue Elisabeth (7). La population juive de Strasbourg progressa très rapidement.
Un recensement de 1806 porte sur 234 Juifs ainsi répartis :
Il y avait 5 synagogues (?) plus 4 oratoires dans des maisons particulières. Un rabbin (David Sintzheim), 21 hommes de lettres, chantres et employés du culte (8).
Le 24 octobre 1805, David Sintzheim prononça un discours dans la grande synagogue de Strasbourg pour célébrer les glorieuses victoires de l’Empereur, discours qui fut imprimé. La synagogue se trouvait dans la rue des Fribourgeois (9).