La rénovation du pâté de maisons de l'ancienne
Librairie-Imprimerie Istra à l'angle de la rue des Juifs et de la rue
des Charpentiers à Strasbourg amena la Direction des Antiquités
historiques d'Alsace à effectuer une fouille de sauvetage, riche en découvertes,
notamment deux bains juifs médiévaux, une peinture murale du 13ème
siècle, un fragment d'inscription hébraïque du 13ème
siècle, une tablette de cire à inscription hébraïque,
une quantité de vaisselle et de verrerie que l'on peut dater de la période
d'occupation juive, mais qui ne se distingue en rien de la vaisselle utilisée
par les contemporains chrétiens (1). Un des bains
juifs ainsi que les deux inscriptions ayant déjà donné
lieu à publication (2), notre propos est de nous limiter
à l'étude de la fresque médiévale.
La fresque se trouvait au premier étage d'une maison à deux étages dont l'entrée est située au 20 de la rue des Charpentiers, sur un mur mitoyen au 19 de la rue des Juifs. À une date que l'on ne peut déterminer avec exactitude, ce mur mitoyen fut percé et une porte aménagée, réunissant ainsi les deux maisons. Or la maison du 19 de la rue des Juifs est dite "zum Judenbad", au bain des Juifs encore en 1587. Elle est mentionnée par un ancien propriétaire, Sébastien Mieg (3) qui raconte dans ses chroniques avoir trouvé au fond de la cave, à laquelle conduisait un bel escalier avec balustrade en pierre sculptée, un réservoir enduit de mastic (?) autour duquel s‘étalait un large rebord de dalles. "C'était l'établissement de bain hébreux" (4). Il ne reste plus rien de ce bel escalier de pierre, mais la voûte de la cave présentait un orifice circulaire zénithal appareillé en briques, d'environ 50 cm de diamètre. Cet orifice, inhabituel dans une cave normale, est caractéristique pour un bain juif, car il permettait d'ajouter de l'eau chaude et d'élever légèrement la température de l'eau de la nappe phréatique, ce qui est autorisé.
L'intention de l'ingénieur des Monuments historiques était de dégager ce qui apparemment était un bain rituel juif, mais un sondage préliminaire montra qu'aucun des murs de la maison n'était fondé en profondeur. Devant le danger d'écroulement, la fouille fut arrêtée et les efforts des chercheurs se portèrent sur la cave du 20 de la rue des Charpentiers où un autre bain signalait sa présence par un orifice zénithal appareillé de pierres. Ce second bain fut dégagé et se trouve en cours de restauration.
C'est donc au-dessus du premier bain juif, sur un mur mitoyen entre le 19 de
la rue des Juifs et le 20 de la rue des Charpentiers que se trouvait la fresque.
La découverte de cette fresque fut fortuite. Seules les façades
des immeubles 19 rue des Juifs et 20 rue des Charpentiers devaient être
conservées, tout l'intérieur arraché pour être réaménagé
en logements modernes. En effectuant un sondage des murs, des archéologues
découvrirent, masqués par plusieurs couches d'enduit, des éléments
polychromes. Le dégagement se fit dans des conditions stressantes car
seulement quelques heures avaient été accordées aux archéologues
pour dégager la fresque et son encadrement, relever les cotes, photographier,
faire des croquis, enfin retirer le morceau de fresque le mieux conservé,
l'emballer et le mettre en lieu sûr. Après quoi, les pelleteuses
firent leur œuvre.
Les études dendrochronologiques portant sur la charpente de l'immeuble situé au 15 de la rue des Juifs ont permis de dater le gros œuvre des années 1290. Une inscription hébraïque sur pierre, utilisée en réemploi dans une latrine a pu être datée des environs de 1250. La peinture murale dont il sera question ici est faite de plusieurs rangées de médaillons de 25 cm de diamètre, servant chacun de cadre à un motif animal. Or le plafond médiéval du Musée de Metz (5), découvert en 1897 dans l'Hôtel du Vouté, présente une succession de médaillons comportant généralement un motif animal. Ce plafond est daté avec certitude des années 1225. Nous avons ainsi quelques raisons de penser que les peintures murales de la rue des Charpentiers datent du 13ème siècle, époque où l'occupation juive des lieux est certaine.
L'éloignement de cloisons modernes a mis à jour des peintures murales sur un mur de briques présentant un renforcement voûté en berceau surbaissé, profond de 20 cm, large de 4 m 20, haut de 2 m 60 en son milieu, de 1 m 47 au niveau des piédroits. On remarque la présence d'un claveau au sommet de la voûte, un autre à la retombée sur le piédroit. Le mur a été percé au 15ème ou au 16ème siècle d'une porte à chambranle chanfreiné en gré, qui fut rebouché par la suite. Cette modification a détruit la partie médiane du décor.
L'impression de nous trouver devant une imitation de tissu d'ameublement est encore renforcée lorsque l'on constate que le peintre n'a pas hésité à couper ses médaillons dans les angles, dans le haut au contact de la voûte, ou dans le bas. Les médaillons n'ont pas été coupés par la voûte et les piédroits, mais peints à l'intérieur de ceux-ci.
Après intervention auprès du Ministre de la Culture, le bain fut classé en urgence parmi les monuments historiques. Je pensais qu'on pourrait l'aménager pour le rendre accessible au public et représenter dans une petite annexe du bain, un local qui servit peut-être jadis de vestiaire la fresque, ou ce qui en restait, fresque provenant comme nous l'avons dit, du premier étage du même immeuble. Quelques inscriptions trouvées à proximité et provenant de la synagogue médiévale auraient complété cet ensemble. Mais le manque d'intérêt manifesté par les élus de la communauté juive pour l'archéologie médiévale entraîna l'inertie de la municipalité de Strasbourg. De ce fait, le bain demeure à l'état de ruine, inaccessible même à un public spécialisé, et la seule fresque juive identifiée à ce jour en France reste abandonnée dans une réserve de la DRAC, si elle n'a pas été détruite au cours de divers déplacements. Quant à la tablette de cire, elle aussi unique, et dont j'ai donné la description par ailleurs, elle fut perdue lors d'une exposition à Spire, où elle n'arriva jamais. J'en avais réalisé une réplique qui ne remplacera hélas pas l'original perdu.