Eliyahou Balouka : "Avant larrivée des Français
en Algérie (1886), les juifs étaient sous la domination des
Arabes Mozabites. Les juifs nont pas participé à la guerre
de 14, ils nétaient ni sous statut français, ni sous statut
Arabe mais sous le statut "personnel ". Ils ont bien vécu
jusquà la guerre de 39-45.
Ils nont pas été mobilisés, mais moi jai
fait la guerre, jétais français fonctionnaire... Leur
situation sest encore améliorée après 45 avec lexploitation
du pétrole, pas loin de Gardaia.
Puis il y a eu lIndépendance dIsraël en 48 qui a été
ressentie par les Arabes comme une blessure, mais les Français étaient
là pour veiller..."
... "Je me souviens", dit
Richard Sellam, dont le père
Daoud Sellam a fondé la communauté séfarade de Schiltigheim,
"javais 7 ou 8 ans, cétait à lannonce
de la création dIsraël, mon père parlait avec des
notables Arabes qui lui disaient : "Jamais il ny aura de nation
juive, ça durera 4 jours, 4 ans ou 40 ans, mais pas plus"... Et
on na pas été inquiétés... , sauf quand
il y a eu des événements en Israël, comme la guerre du
Sinaï en 56, Suez... Certains ont laissé éclater leur joie
dans des cafés, et ils ont été tués comme le neveu
du Rabbin Elbaz. On était alors en plein dans la guerre dAlgérie.
Il ny avait plus de confiance entre les Arabes et nous..."
E.B. : Nous avons alors été boycottés. Les Arabes
navaient plus le droit dacheter des biens aux juifs, ou alors
ils devaient verser la somme équivalente au FLN. Pourquoi acheter ce
quils pouvaient avoir gratuitement à notre départ ? Je
me souviens de Chmouel Sellam qui avait un très grand magasin de tissus
et qui est parti en laissant les clefs sur le comptoir...
R.S. : ...Nous, on est partis en 57, toute notre famille, en Israël.
Cétait tellement dur (chômage..) quon est revenu
six mois plus tard à Aflou. Et là, les Arabes de notre quartier
nous ont reconnus et très bien accueillis et trois jours plus tard
on a ouvert le magasin et tout a marché, vraiment bien, jusquen
62.
En 62 un représentant du FLN a écrit à mon père
pour lui dire que les Juifs dAflou devaient reverser un dixième
de leur fortune, et par la suite il y a eu une réunion avec FLN et
drapeau... et là mon père leur a dit que nous avions peur des
arabes que nous ne connaissions pas et que nous allions nous réfugier
un ou deux mois à Gardaia mais que nous allions revenir après
: cétait comme ça que nous avions imaginé de protéger
notre départ vers la France... Il le fallait, on savait que chaque
fois quil y aurait un problème en
Israël ils nous tomberaient dessus....
E.B. : ...Le grand départ: Avril, Mai, Juin 62. Il faut dire
que Mr Pérès Balouka a fait beaucoup. Cest lui qui sest
occupé du départ par avion. Chapeau ! Il affrétait les
avions ; naturellement il y avait un quota de places réservées
; lui, il faisait la liste de ceux qui partaient
et même plus, il payait les places de ceux qui navaient pas les
moyens. Il y avait bien sûr des fonds sociaux, mais lorsque ceux-ci
étaient épuisés, cest lui qui finançait
et il a fait partir tout le monde, tout le monde, de Gardaia, sauf un ou deux
qui ont voulu rester.... Ils ont été malheureusement massacrés...
Moi, je me suis occupé des juifs de la "Gouat", mais le contingent
le plus fort cétait celui de Gardaia. ...Jétais
bien avec le représentant dAir France à qui javais
rendu des services parce que jétais fonctionnaire dans l
administration et jai pu organiser les départs.
R.S. : Nous, on est venus à laventure, à Strasbourg
par ce que mon oncle le Rabbin Abraham Elbaz sy était installé
grâce à la
recommandation du
Sous-préfet
de Gardaia. Tous nont pas pu se diriger vers Strasbourg, les propriétaires
ne voulaient pas leur
louer leurs appartements, sans doute trop denfants. Certains ont été
à Wasselonne, dautres à Niederbronn, Pfeiffenhoffen...
quand les familles arrivaient sur le sol français à Marseille
elles étaient accueillies par des équipes de juifs et la Croix
Rouge ; alors elles pouvaient choisir : soit aller dans les camps daccueil
où on les recevait et on les conduisait dans la ville de leur choix
en leur procurant appartement et travail, soit elles choisissaient de se débrouiller,
prenaient une chambre dhôtel, etc.... Mais cétait
très dur ; certains se sont suicidés par manque de ressources,
pas de logement, des enfants à nourrir....
R.S. : ....Nous, nous sommes restés deux trois mois à
Marseille puis on a été à Strasbourg chez mon oncle le
Rabbin Elbaz et on a pu par la suite louer un appartement...
E.B. : ...Moi, je suis venu avec ma famille à Paris où
javais été muté... et puis, lorsque javais
été voir ma famille Sebban installée à Wasselonne
ma belle-sur mavait vivement conseillé de venir vivre à
Strasbourg où la communauté était accueillante et très
bien organisée. Et jai réussi à me faire muter
ici.
Journalistes : Des souvenirs denfance ?
R.S. : .... Oui ! Il y a des souvenirs... Lorsquun enfant avait
cinq ans il pouvait entrer au Beth haMidrach. On faisait alors une fête,
on lui mettait un habit ...royal et le père le portait sur ses épaules
et le conduisait à la synagogue et on chantait des pyoutim, puis il
y avait un banquet midi et soir et les réjouissances duraient toute
la journée et les gens venaient à la maison pour féliciter
et on leur servait des dattes et du petit-lait...
J : Du petit-lait ? Pas dalcool ?
R.S. : Non, lanisette cétait pour les Brith Mila et
les Mariages ....