Embargo sur le transfert à Jérusalem d'une synagogue française
Article publié dans le numéro 407 du Jerusalem
Post Edition française, paru le 16 septembre1998, et reproduit ici avec l'aimable autorisation de l'éditeur.
Une maladresse considérable est sans doute à l'origine de l'embargo mis
par le ministère français de la Culture sur le transfert à Jérusalem de
la synagogue de Balbronn dans le nord de l'Alsace.
Un peu plus de cent ans se sont écoulés depuis qu'a été édifié sur cette
terre d'Alsace, le bâtiment de style néo-roman de la synagogue de
Balbronn.
Sa façade en grès rose des Vosges, ses galeries et ses balustrades en
bois de sapins devaient être transférées à Pisgat Zeev dans le Nord de
Jérusalem afin de servir de lieu de culte à la communauté francophone de
ce quartier dès les fêtes de Roch HaShana (nouvel-an juif) qui doivent
se tenir avant la fin du mois.
Or, cette heureuse initiative a été récemment bloquée par une décision
du cabinet du ministre de la Culture, Catherine Trautmann, qui est
pourtant une amie sincère de la communauté juive. Une grande partie des
Français de Jérusalem et d'ailleurs ont été bouleversés par la
suspension de ce projet exemplaire et ils l'ont fait savoir aux
personnalités politiques concernées par cet acte profondément choquant.
Les membres de cette communauté ont en effet peine à comprendre pour
quelle raison ils doivent subir ce préjudice moral indéniable.
UNE HISTOIRE EXCEPTIONNELLE
Voilà déjà dix ans que Gilbert Weil et Thierry Dana-Picard ont commencé
à élaborer ce plan de sauvetage du bâtiment de la synagogue de Balbronn
avec le plein accord du Consistoire israélite du Bas-Rhin. Le projet de
transfert de la synagogue a même acquis une notoriété internationale
dont les médias et la littérature spécialisée se sont fait l'écho. La
télévision américaine s'est emparée de ce dossier auquel elle a consacré
plusieurs reportages, car il s'agit bien d'une histoire exceptionnelle :
le sauvetage d'un lieu de culte qui a échappé presque par miracle à la
barbarie nazie, alors que la grande synagogue de Strasbourg avait été
dynamitée.
Grâce à un très généreux philanthrope et au don du terrain par la
municipalité de Jérusalem, le montage de cette opération complexe a
abouti et obtenu dès 1993 toutes les autorisations nécessaires, y
compris celle de l'architecte des Bâtiments de France.
Maintenant, après l'embargo, le groupe de travail qui pilote l'opération
souligne que ce brusque changement de politique a d'ores déjà causé des
pertes financières considérables.
Que va devenir la plate-forme de 400
mètres carrés réalisée par la communauté francophone de Pisgat Zeev
pour accueillir ce bâtiment ? Qui pourra éviter la cascade de procès que
ne manqueront pas d'intenter les sous-traitants qui ont investi un
travail important dans ce projet ? A Strasbourg, des marchés pour le
démontage de l'édifice avaient été signés avec une entreprise spécialise
dans les monuments historiques ainsi qu'avec des artisans alsaciens
chargés de sauver les vitraux, les boiseries... |
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L'écrivain Elie Wiesel prend une part active à la défense de ce projet
car la synagogue de Balbronn a pour lui valeur de symbole. Il semblerait
toutefois que jusqu'à ce jour ses interventions personnelles soient
restées sans réponse. |
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Cette malencontreuse affaire a soulevé une émotion d'autant plus vive au
sein de l'importante population française d'Israël qu'une partie non
négligeable de la communauté juive de Balbronn et de ses alentours a
malheureusement disparu dans la Shoa.
Il faut rappeler aussi que l'intégralité du financement a été trouvé
auprès de philanthropes américain proches du prix Nobel Elie Wiesel,
conscients de la dimension hautement émotionnelle du projet. Qui
remboursera les cinq à six millions de francs investis dans l'opération
?
C'est sur la foi d'un avis favorable de l'architecte des bâtiments de
France que des investissements considérables ont déjà été effectuées et
une structure d'accueil réalisé à Jérusalem.
Il ne faut pas minimiser l'importance de cette affaire : cet embargo
représente l'éclatement d'un symbole fort de l'amitié
franco-israélienne, qui doit être préservée et qui peut l'être. La
présence et l'éclat d'une ancienne synagogue de France, en terre
d'Israël aurait constitué une trace tangible de la production et de la
symbiose de deux grandes cultures et de la mise en valeur d'un
patrimoine artistique commun.
UNE DÉCISION INJUSTIFIÉE
Tout le monde sait que l'art des cathédrales a puisé une partie de sa
force dans l'inspiration biblique. On sait moins que cette synagogue du
XIXe siècle que l'on a voulu faire surgir de son écrin alsacien pour la
placer sur le haut des collines de la ville sainte, est directement
inspirée d'un art européen emprunté par les Juifs à leur milieu. Le
temple de Balbronn constitue un organe à ressusciter pour les fils des
générations de survivants.
Les technocrates qui peuplent les cabinets ministériels ont été
incapables de mesurer l'onde de choc et l'intensité de la polémique en
cours, car ils ont pris une décision d'urgence sans aucune concertation.
Même en recoupant nos sources, nous avons peine à percer les raisons
mystérieuses qui ont présidé à la mise sous embargo du transfert d'une
synagogue. Et si le mobile invoqué était le bon, en serait-il plus
acceptable ? Selon certaines informations, c'est la peur des réactions
de Le Pen qui aurait présidé à la suspension de ce projet.
Les hommes politiques que nous avons alertés ont tout de suite compris
notre réaction, et ont sans doute réalisé que cette mise sous séquestre
s'inscrit bien à contre-courant de la volonté de M. Jospin et du
président Chirac de reconnaître des droits aux survivants de la
déportation en France.
Le transfert d'une synagogue n'est pas un acte banal. Bien au contraire,
la reconstruction de cette Maison de prières symboliserait de façon
spectaculaire le pont jeté entre deux séquences de l'histoire, entre
deux continents pourtant soudés par le sens de la civilisation. Nos amis
en France, parmi lesquels M. Xavier de Villepin, président de la
commission des affaires étrangères du Sénat, ne s'y sont pas trompés et
ils s'emploient maintenant à faire revenir les fonctionnaires négligents
sur une décision injustifiée qui jette le trouble dans nos consciences.
Tous les efforts déployés par les Français d'Israël pour faire entendre
leur voix n'ont pas encore abouti à l'annulation de cet embargo, mais
ils n'auront de cesse avant d'avoir obtenu le transfert de la synagogue
de Balbronn sous le soleil de Judée.
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Maître ROLAND ROTH |
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Délégué au Conseil supérieur des Français de l'étranger |
Photographies : © M. Rothé
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