Plus que toutes les autres questions internationales, la question du conflit israélo-palestinien nous interpelle profondément. Soixante ans après la partition de la Palestine, décidée par l'ONU, qui a conduit à la création de l'Etat d'Israël, l'Etat palestinien n'a toujours pas vu le jour. Membre permanent du Conseil de Sécurité de l'ONU, pays des Droits de l'Homme s'étant montré capable à certaines époques de faire entendre une voix indépendante, la France peut influer sur le cours de l'Histoire. C'est toute une conception de la justice internationale qui est en cause, et qui est en train de céder la place au fait accompli et à la loi du plus fort.
Sur ce sujet essentiel pour l'avenir du monde, nous attendons du Parti Socialiste qu'il donne l'exemple du courage politique. C'est le sens de cette contribution.
Quinze ans après les accords d'Oslo, le conflit israélo-palestinien s'inscrit toujours en toile de fond de la politique internationale. Les quinze ans écoulés ont acclimaté l'idée d'un processus devenu une fin en soi, qui pourrait se poursuivre éternellement sans grande conséquence. Pire, la mise en place d'une autorité palestinienne pour la gestion des territoires occupés laisse à penser qu'en quelque sorte, l'Etat palestinien existe déjà et qu'il suffirait de le laisser négocier avec son homologue israélien pour aboutir à un résultat.
C'est ici qu'il faut rappeler quelques évidences. 61 ans après le plan de partage de l'ONU, il n'y a pas d'Etat palestinien et c'est bien l'objet des négociations que d'en établir un. Mais 61 ans après le plan de partage, il n'y a pas non plus de véritables négociations. Ces négociations opposent une puissance occupante à un peuple occupé, sans aucun mécanisme de suivi des engagements, ni par les Etats-Unis qui ne veulent rien exiger d'Israël, ni par l'Union Européenne. Dans ces négociations, l'interlocuteur est tour à tour nié, discrédité avant que d'être taxé de faiblesse. Pas plus que le Hamas islamiste d'aujourd'hui, l'OLP laïque d'hier n'était considérée par Israël comme un interlocuteur valable. Or dans une négociation, on ne choisit pas son partenaire et c'est toujours avec l'adversaire que se conclut la paix. L'invocation de l'absence de partenaire traduit alors le refus de négocier.
De fait ces négociations ne semblent plus impératives aux yeux d'Israël. Alors que le principe de base des négociations était "la terre contre la paix", celles d'aujourd'hui semblent avoir pour horizon "la terre et le calme". Après l'espoir suscité par l'évacuation des colonies, Gaza est devenue une prison à ciel ouvert, privée de tout, soumise à un blocus qui détruit la société civile palestinienne, à des incursions meurtrières et à de terribles destructions. La colonisation de la Cisjordanie ôte l'Etat palestinien de toute base territoriale, donc de toute existence possible. La construction du Mur, condamné par la justice internationale, se poursuit, rendant la vie impossible à des milliers de Palestiniens. Pour Israël, il s'agit de gérer la question palestinienne et non de négocier pour une paix durable. En témoigne le regain de la politique de colonisation des territoires occupés, qu'il s'agisse d'implantations nouvelles ou d'extension des colonies existantes, qui isolent Jérusalem, morcellent et fragmentent les territoires, accaparent les terres et les ressources en eau. Depuis Oslo, le nombre de colons a doublé.
Par la poursuite de la colonisation et l'absence de perspective politique, Israël a disqualifié l'autorité palestinienne aux yeux de son propre peuple qui perd confiance en des dirigeants qui n'ont plus les moyens de le protéger et de faire avancer ses droits nationaux. L'absence de tout espoir, c'est la promotion des plus radicaux, c'est le terreau du désespoir et de la révolte. La dégradation des conditions de vie, c'est une population mal nourrie, en mauvaise santé, sans parler du risque d'effondrement du système d'éducation. Le développement de l'économie, de la culture, de l'éducation palestiniennes a jusqu'ici représenté un immense espoir pour les deux peuples. Mais aujourd'hui, c'est un tout autre scénario qui se profile : le chaos, le désespoir, les violences inter-palestiniennes.
Ce qui se profile au-delà, c'est le spectre du "choc des civilisations" qu'il ne suffit pas de nier pour empêcher qu'il advienne. Comment l'impunité totale de l'Etat d'Israël, face aux violations des résolutions de l'ONU, ce sentiment du "deux poids, deux mesures", pourrait-elle ne pas focaliser révolte et indignation dans l'ensemble du monde arabe ?
La politique israélienne ne peut être comprise sans le soutien inconditionnel que lui apporte l'administration Bush. Pour cette dernière, le renforcement de l'Etat d'Israël s'inscrit dans le cadre d'une stratégie régionale visant le contrôle économique, politique et militaire de l'ensemble de la région, laquelle constitue pour les Etats-Unis un enjeu stratégique majeur du fait de ses réserves pétrolières.
Il est fondamental que l'Europe ne se laisse pas entraîner par l'administration nord-américaine dans cette logique de "choc des civilisations". De ce point de vue, l'élection, en France, d'un président de la République atlantiste et totalement aligné sur les positions des Etats-Unis, comme Nicolas Sarkozy, est dramatique. La stratégie américaine de règlement des conflits par la force, au mépris du droit, vient pourtant, encore une fois, de montrer son total échec en Irak. Elle risque d'entraîner l'ensemble de la région dans un embrasement général, jusqu'à l'Iran.
La résolution du conflit israélo-palestinien est un enjeu majeur. Elle est d'abord affaire de morale ou de justice, mais pas seulement. Il s'y joue aussi une part cruciale de la sécurité et de la stabilité aux portes de l'Europe. Il s'y joue la fracture entre un occident fantasmé et une région traumatisée chaque jour un peu plus par la catastrophe irakienne.
La France des Droits de l'Homme mais aussi la France soucieuse de ses intérêts doit s'impliquer dans la résolution de ce conflit, dans l'intérêt des deux peuples, au côté de toutes les forces lucides, courageuses qui nous alertent, y compris aux Etats-Unis (Jimmy Carter, ancien président de la République) et en Israël même (Avraham Burg, ancien président de la Knesset). Dans les deux camps en effet des hommes et des femmes militent pour le respect du droit international et le dialogue entre les deux peuples. Les politiques et les ONG palestiniens et israéliens qui continuent à militer pour la justice, la fraternité, la possibilité d'une coexistence pacifique méritent notre admiration et notre respect. Nous devons leur apporter notre soutien.
En particulier, les forces socialistes, laïques, démocratiques, doivent rappeler les fondements du règlement de ce conflit, connus depuis déjà longtemps :
L'Union Européenne doit rappeler fermement à Israël que les relations privilégiées permises par les accords d'association sont conditionnées au respect du droit international. Mais il faudrait qu'elle ait le courage politique d'appliquer ses propres décisions. En tout état de cause, les négociations sur l'accord de rehaussement des relations Israël-UE doivent être suspendues tant qu'Israël ne respecte pas ses propres engagements, et que les bases d'un règlement pacifique et mutuellement accepté du conflit ne sont pas concrètement mises en œuvre.
On ne peut pas dissocier la relation UE-Israël des exigences minimales de respect des normes internationales pour la résolution du conflit.
Face à la dégradation continue de la situation au Proche Orient, aux enjeux du conflit israélo-palestinien, à la violation continue du droit international par l'Etat d'Israël, le Parti Socialiste doit affirmer des positions claires, conformes à ses valeurs, et loin de tout groupe de pression quel qu'il soit.
Il y a une grande indignation, dans le peuple de gauche, face à cette injustice qui dure depuis des décennies. Répondons positivement, en contribuant à l'unité de toutes ses forces, politiques, syndicales, associatives, en contribuant aussi à éclairer les citoyens sur l'histoire et les enjeux de ce conflit.
Notre parti doit donner un signal fort, à l'occasion de son congrès, pour le respect du droit international au Proche-Orient, en même temps qu'il doit s'élever contre les dangereuses dérives atlantistes de Sarkozy.
Il doit aussi agir dans le cadre de l'Internationale Socialiste, dont sont membres le parti travailliste israélien et le Fatah, pour porter les valeurs du droit international et refuser la logique de colonisation trop souvent acceptée par le parti travailliste israélien.
Signataires : Monique Cerisier ben Guiga, Christiane Demontès, Béatrice Patrie, Catherine Guillaume, Didier Boulaud, Alain Chenal, Charles Gautier, Virginie Houadec, Bariza Khiari, Samantha Cavalli, Dominique Fleurat, Bertrand Heilbronn, Henri Israël, Hervé Le Fiblec, Laurent Levard, Bertrand Périssé, Pierre Ruscassie, Jean-Claude Sellin, Jacques Séryès, Antoine Vigot