Les touristes qui visitent Paris savent que c'est dans le quartier juif bien connu du centre de la ville qu'ils peuvent déguster un strudel ou un plat casher. Mais la communauté juive a aussi laissé des traces dans les banlieues, qu'elle a marquées de plusieurs trésors architecturaux et culturels.
L'histoire des Juifs de France reflète en grande partie l'évolution sociale et artistique du pays en général. Jusqu'à la fin du 19ème siècle, la communauté juive de Paris reste concentrée dans le quartier du Marais. Le développement de communautés de banlieue n'est pas seulement la conséquence de l'expansion de la ville, mais aussi celle de l'évolution sociale et financière des Juifs parisiens. Dans les années 1880, une période de paix et de prospérité succède aux blessures de la guerre franco-prussienne, et des synagogues font leur apparition dans les banlieues aisées de Neuilly et de Versailles.
La communauté juive de Boulogne, qui regroupe de vingt à trente familles, devient trop nombreuse pour se réunir dans le local qu'elle a loué pour la prière, et souhaite construire sa propre synagogue. Le Baron Edmond et la Baronne Adelaïde de Rothschild font don d'une partie de leur grande propriété pour y bâtir de lieu de culte. Ils engagent le célèbre architecte Emmanuel-Elisée Pontremoli, et soutiennent continuellement le projet. De style byzantin imprégné d'une sobre élégance, la synagogue de Boulogne sera inaugurée en 1911.
De même que Boulogne s'accroît et prospère, la communauté juive est renforcée par de nouveaux arrivants venus de Paris, ainsi que par les réfugiés des pogroms d'Europe de l'Est. Mais la seconde guerre mondiale et l'occupation nazie décimeront la population juive de la ville. Sur cent familles juives, à peine quinze survivront. Pendant quelques années durant la guerre, l'élégant lieu de prière bâti par Pontremoli sera utilisé comme étable par les Nazis.
"In 1945," écrit Claude Bloch, président honoraire de la communauté, "notre synagogue n'était ni florissante ni joyeuse. Le bâtiment avait été endommagé, tout comme la communauté (…) Le premier Hanouka après la Shoah était pitoyable : des familles brisées, des enfants apeurés entassés autour de petites bougies, comme pour réchauffer la tristesse et le désespoir dans le cœur des survivants."
Avec l'indépendance de l'Algérie en 1962, on assiste en France à une vague d'immigration massive en provenance des anciennes colonies d'Afrique du Nord. L'affluence des Juifs sepharades agrandit et rajeunit la communauté de Boulogne, qui doit s'adapter à leurs coutumes et à leur culte, alors qu'elle avait été auparavant une communauté largement ashkenaze. Dans les années 1990, on compte un millier de familles juives installées dans la ville.
La propriété Rothschild est devenue à présent le Parc Rothschild, ouvert au public. Quelques rues plus loin, la "rue Salomon Reinach" indique la rue où Reinach, membre d'une famille de lettrés, ouvrait sa grande bibliothèque personnelle à des intellectuels tels que Thomas Mann.
le Parc Rothschild - © M. Petringa |
© M. Petringa |
Le résident juif le plus remarquable de Boulogne est certainement le banquier et philanthrope Albert Kahn. Après une carrière lucrative dans la finance, Kahn emploiera ses dernières années à mettre en œuvre la philosophie utopiste d'un monde harmonieux, et à faire tout ce qu'il peut pour le faire advenir.
Arrivé à Paris en 1879 de son Alsace natale, Kahn connaît la réussite dans le monde de la banque. En 1895, âgé de 35 ans, Kahn est considéré comme l'un des financiers les plus importants d'Europe. A ses heures de loisirs il s'intéresse beaucoup à la musique et aux arts, et se lie d'amitié avec le sculpteur Auguste Rodin, le philosophe Henri Bergson, et beaucoup d'autres artistes et intellectuels.
A l'approche du 20ème siècle, Kahn estime qu'il est essential d'encourager une plus grande compréhension mutuelle des différentes cultures du monde. En 1898 il crée les "bourses Autour du Monde", destinées à de jeunes agrégés. Il encourage ses protégés à rejeter les lieux communs et les préjugés, et à connaître par eux-mêmes l'évolution constante des divers pays étrangers. Les jeunes intellectuels voyagent, écrivent, photographient, filment. Lorsqu'ils reviennent en France, ils évoquent leurs voyages dans la demeure d'Albert Kahn à Boulogne. En 1906 celui-ci fonde le "Cercle Autour du Monde", le club toujours plus fréquenté de personnes qui viennent à Boulogne pour échanger des idées sur les civilisations du monde
Mais le projet qui tient le plus au cœur d'Albert Kahn est son jardin. En accord avec sa philosophie d'un monde en harmonie, il transforme sa propriété de Boulogne en une mosaïque de jardins du monde, où l'on trouve un verger, une prairie, une forêt de pins, un jardin japonais complet avec son pavillon de thé, un jardin anglais, un jardin français typique avec sa roseraie. Une serre est édifiée pour abriter les plantes tropicale. Le dimanche, Kahn invite des hôtes de marque à visiter son "monde en miniature".
Aujourd'hui, le Jardin et le Musée Albert Kahn sont des lieux de visite appréciés par les Parisiens et les touristes. Ses "Archives de la planète" ont été intégrées dans un système audio-visuel moderne, ce qui les rendra facilement accessibles aux générations futures.
Comme l'architecte Pontremoli, le bienfaiteur Edmond de Rothschild, l'intellectuel Salomon Reinach et d'autres nombreux résidents de Boulogne, la vie et l'œuvre d'Albert Kahn ont apporté une contribution durable et appréciée à la scène culturelle de Paris.