Les petites bougies des Klepperlé
extrait de La double demeure - Scènes de la vie juive en Alsace

bougieDemandez à qui vous voudrez, en Alsace : chacun vous dira que, chez les Klepperlé, c’est la foire, toujours. Madame Klepperlé, pour bien dire la vérité, ne se donne pas plus de mal que d’autres, seulement elle est quelque peu distraite et n’en finit jamais de s’affairer. Quant à monsieur Klepperlé (son vrai nom est Lévy, mais personne ne songerait à l’appeler ainsi), il a sa part de responsabilité lui aussi. Il s’apprête doucement à songer à atteler son cheval pour... (puisqu’enfin, n’est-ce pas, on ne peut pas faire autrement...) se mettre à partir, quand les autres claquent déjà du fouet pour s’en retourner. Que voulez-vous ? Il peut se permettre cela ; il a de l’argent en masse et fait crédit à qui veut. Son voisin, le Schang-Schacques, dit de lui : « Klepperlé est un bon Juif ; le vendredi soir, il ne manque jamais de faire Schabbess, à n’importe quelle heure qu’il revienne ». Et, dans la pensée de Schung-Schacques, c’est là un grand éloge.

bougieC’était le premier soir de Hanoukah. Klepperlé, comme toujours, s’en était allé assez tard, pour faire sa tournée d’affaires. Madame Klepperlé savait parfaitement qu’à son retour il voudrait absolument allumer les petites bougies traditionnelles. Elle prépara donc la Menora et se mit fébrilement à la recherche des petites bougies.
- Mélanie, sais-tu où j’ai bien pu mettre les bougies que nous avons achetées chez les Bloch ? La. fillette ne le savait pas.
- Evidemment, tu ne sais jamais rien, hammerlé, imbécile ; eh bien ! aide-moi à les chercher ! On explora toute la maison, du haut en bas, du bas en haut, et dans tous les coins. Les petites bougies avaient disparu.
- Voilà qui ne m’est jamais arrivé, soupira Madame Klepperlé ; où trouver maintenant des bougies pour Hanoukah ?
Mélanie ne le savait pas.
- Petit bêta, va. Cours vite chez les Kahn. Ils ont efscher un paquet de trop. Moi, j’irai chez les Meyer ; c’est bien le moins qu’ils nous prêtent des bougies de Hanoukah, puisqu’à Pessah nous leur avons prêté des mazzes.

bougieLa mère et la fille s’en furent dans des directions différentes et laissèrent la maison sous la garde zélée des domestiques. Mélanie avait de la chance. Elle rencontra, chez les Kahn, le Davidel qui colporte tout ce dont un ménage juif peut avoir besoin. Ivre de joie, elle acheta un paquet de bougies et le paya de l’argent que Madame Kahn lui avança. Puis elle courut à la maison, vite, vite, pour annoncer à sa maman la bonne nouvelle.

bougie Mais Madame Klepperlé n’était pas encore de retour. Elle avait consenti à prendre place chez les Meyer et, ma foi, quand elle prend place, cela dure, umbeschrie ! Madame Meyer et elle avaient tant à se dire et, à la Schoul, elles n’y parvenaient plus depuis l’arrivee du nouveau Rabbin. Songez donc, à peine bavardait-on cinq petites minutes, que déjàil frappait énergiquement sur son pupitre et envoyait le Schammess, le bedeau, voir ce qui se passait dans la galerie des dames. Il arriva de la sorte que, au bout d’une heure, Davidel vint chez les Meyer ; Madame Klepperlé, naturellement, fit l’emplette d’un paquet de bougies, et, quand tous les chapeaux neufs, toutes les robes, tous les manteaux et toutes les fourrures furent passés en revue comme il convenait, Madame Klepperlé rentra en hâte.

bougie- Maman, j’ai des bougies ! lui cria Mélanie.
- Tu as des bougies ? D’où les as-tu ? De qui ?
- De Davidel. Je l’ai rencontré chez les Kahn.
- Et moi, je l’ai rencontré chez les Meyer, oh il m’en a également vendu un paquet. Quel hatess, quel vaurien ! Marie, Marie, arrivez !
La bonne arriva.
- Marie, vous connaissez bien le Davidel qui vient nous trouver tous les deux ou trois mois ? Bon, alors courez donc un peu par les rues de la ville, tâchez de le découvrir et dites-lui de venir immédiatement chez nous.

bougieMarie courut donc à travers les rues de la ville et elle eut de la chance. Elle rencontra Davidel sur le chemin de la gare, car son train partait quelques instants plus tard.
- Monsieur David, Madame veut que vous veniez chez nous.
- Ah ! c’est vous, mam’selle Marie ? Je sais ce que vous voulez. Vous avez bien de l’argent sur vous ? Tenez, voilàun paquet de bougies. Votre Madame en a besoin pour ce soir. Merci ! Mes compliments à Madame !

bougieMarie revint et elle rayonnait. Mais Madame Klepperlb faillit se trouver mal. Elle jura ses grands serments que jamais plus Davidel ne franchirait le seuil de sa maison. Le hasard cependant – il y a de ces hasards – lui réservait d ‘autres surprises. Le train qui emmenait Davidel avait amené la tante Guiddel, qui venait rendre visite aux Klepperlé et qui avait, elle aussi, eu de la chance.
- Perdre les petites bougies de Hanoukah, dit-elle aux premiers mots de l’histoire, comment est-ce possible ? J’ai eu le Mazel de voir le Davidel sur le quai de la gare. Je pensai que des bougies seraient toujours les bienvenues, le Hanoukah. Il m’en a passé un paquet par la fenêtre de son compartiment et je l’ai payé sur-le-champ ; je n’aime pas faire des dettes chez le Davidel...

bougieCette fois Madame Klepperlé se trouva mal pour de bon, et la tante Guiddel allait partir, profondément blessée, quand Klepperlé fit son entrée ; lekowed Hanoukah, il avait fini plus tôt que de coutume.
- Se mettre dans de pareils états pour un malheureux paquet de bougies, comment est-ce possible ? clamait la tante, au comble de l’exaspération.
- Qu’est-ce à dire ? Pourquoi ces schmuess, ces bavardages ? s’écria Klepperlé. Des bougies ? J’en ai. Davidel m’a vendu ce matin son dernier paquet.
- Tu as... des bougies... de Davidel... de ce hatess, ce vaurien ? Madame Klepperlé était sur le point de se trouver mal une seconde fois. Avouez qu’il y avait de quoi !

bougie Par bonheur, Mélanie fit irruption dans la chambre. Elle trépignait de joie.
- Maman, Maman ! J’ai retrouvé nos petites bougies ! Elles étaient dans le tiroir de la commode. Nous pouvons en allumer à présent...


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