Peu au 19e siècle peuvent se targuer d'être restés insensibles à l'impact de la Révolution française et, plus particulièrement, au mélange de fascination et de réserve, d'horreur parfois, auquel ses grands moments, mais aussi ses excès allaient donner naissance :
Comme nombre d'utopistes de son époque se croyant volontiers un peu prophètes, les idéologues théocrates et libéraux, illuminés, socialistes ou théosophes de tout poil, qui évolueront dans l'orbite de Saint-Simon, Fourier, Leroux ou de Maistre, Alexandre Weill subit le choc de la Révolution et de son mystère. Il le subit en tant que Français, imprégné de culture allemande, mais plus encore en tant que Juif, héritier du Siècle des Lumières et de la génération parvenue à l'Emancipation, grâce à l'Abbé Grégoire et au Sanhédrin de Napoléon.
"Enfant de la Bible et fils de la Révolution", c'est ainsi que l'auteur se définit par référence à une formation qui le rattache à un passé à la fois religieux et profane. Evoquant dans ses souvenirs un grand-père maternel qui, à ses dires, aurait été rabbin, ainsi que greffier révolutionnaire à Strasbourg , il racontera également son effroi d'enfant en entendant ses parents se remémorer "l'époque sanglante" de la Terreur et "les promenades d'Euloge Schneider, suivi de sa guillotine à travers les campagnes d'Alsace".
Homme à la spiritualité pleine de contradictions, Alexandre Weill reste cependant homme d'unité. Nul plus que lui n'a éprouvé la nécessité de retrouver l'harmonie dans les fondements mêmes de la vie et de la pensée. A cet égard, le champ d'expérience révolutionnaire ne devait pas faire exception. Sous le visible, l'écrivain cherche à déceler l'invisible. Il s'efforcera de pénétrer la "cause première", "la logique des idées et des faits" qu'aucun des historiens de son époque, ni Michelet, ni Guizot, ni Thiers, prétend-il, n'aura été capable avant lui, de découvrir. Or affirme Weill, la Révolution est un événement par trop gigantesque pour qu'elle puisse être appréhendée hors de "l'unité". Seul un "lien spirituel" devrait permettre de réaliser la synthèse entre des désordres aussi sanglants, des "dissonances" aussi profondes, et une épopée humaine à ce point incomparable .
Mis à part les souvenirs d'enfance, c'est par le biais de la recherche historique et de l'expérience politique directe que l'auteur prend contact avec le fait révolutionnaire. En 1845, à la suite d'un échange de vues sur les antécédents de quatre-vingt-neuf avec Armand Marrast, futur député républicain à l'Assemblée Constituante, il entreprend une étude d'ensemble sur la grande Guerre des Paysans qui avait éclaté, au lendemain de la Réforme, dans l'Allemagne du 16e siècle. Dès lors, la révolte paysanne de 1525 devient pour Weill le signe avant-coureur de la Révolution française, il y discernera tous les "principes", les "germes" d'une série d'événements qui allaient aboutir, quelques deux siècles plus tard, au renversement de la monarchie .
Si Alexandre Weill semble se situer en un premier temps, dans une perspective idéologique non réactionnaire,
Cette orientation dans le sens de la modération ira encore en s'accentuant, au moment de la Révolution de 1848 dont les troubles semblent l'ébranler au tréfonds. Loin de faire l'apologie du soulèvement, qu'il a vécu au jour le jour, Alexandre Weill en vient à incriminer, en fin de parcours, et comme responsables, tous "les violents de la résistance et du mouvement", en les dénonçant comme "les hommes faibles de l'histoire." A l'instar de George Sand, effrayée de l'intensité des émeutes, l'écrivain, trompé dans ses espoirs de fraternité, prendra de plus en plus ses distances par rapport aux mouvements populaires. Idée, ordre et liberté vont être, dès lors, étroitement associés dans sa pensée.
Il n'est pas toujours aisé de suivre Weill dans les méandres d'une réflexion riche en palinodies . La première édition de La Guerre des paysans date de 1847 .... Mais quelques années plus tard, attiré paradoxalement par le parti légitimiste, partisan de la branche aînée des Bourbons, l'auteur définira la révolution comme une émanation de "l'esprit païen", puis comme symptôme d'un "châtiment divin", résultant de l'ignorance et de l'orgueil des hommes . Prônant le principe et l'erreur aux dépens de l'idée et de la vérité, les révolutions, ces "réminiscences du chaos", vont à rebours de l'histoire et du progrès vers l'ordre et la liberté. Alors que pour Proudhon, les révolutions ne sont que les manifestations successives de la justice sur terre, dans l'optique weillienne, le plus légitime des soulèvements marque un temps d'arrêt car il bouleverse l'harmonie des origines. Si les excès de quarante-huit rappellent ceux de quatre-vingt-treize, c'est parce que les révolutionnaires du moment ont voulu sauver la patrie en se référant à l'exemple de la Terreur. Rapprochement absurdement tragique, souligne l'auteur ... La Terreur fut "un abîme sans fond", "une fumée suffocante", qui allait avoir pour conséquence d'éteindre "le feu sacré de la liberté" .
En fait, la pensée de Weill, en ce domaine, résulte de la prise de conscience d'une contradiction essentielle entre les déclarations de principes et d'intentions, et leur mise en pratique. De là, l'ambiguïté de certaines de ses prises de position. Le temps révolutionnaire est assurément celui de la Bastille et de la Terreur mais, par son adhésion aux idées de liberté et de fraternité, il est aussi "époque divine", source d'inspiration "lumineuse pour tous les opprimés de la terre" .
Tout se passe comme si Weill était destiné à jouer le rôle de l'éternel déçu …A l'exemple de la doctrine de Moïse originelle, toute pureté, raison et stricte justice, qui a été falsifiée, défigurée par Ezra le Scribe ainsi que le judaïsme talmudique et pharisien, les "principes brûlants" de 1789 ont été trahis par la seconde génération des révolutionnaires, et sur leurs traces, par tous "les bâtards, nains, pygmées" et autres "avortons", qui allaient proliférer au cours du 19e siècle. Il existe un abîme entre la "démocratie philosophique" du passé, et les soixante ans "d'ébriété démocratique", à l'origine de la situation de décadence permanente où se débat la France, et contre laquelle l'auteur ne cessera jamais de vitupérer dans ses innombrables ouvrages.
Est-ce dire qu'Alexandre Weill en est venu à nourrir des tendances réactionnaires, à la limite antidémocratiques et antipopulaires ? Pas plus ni moins, sans doute, que bon nombre de penseurs et de personnalités de l'époque qui, sans proclamer leurs idées de manière aussi ostentatoire, allaient considérer avec beaucoup de réserve l'immaturité politique des masses et l'instabilité imprévisible des mouvements de foule. Au lendemain de 1848, et durant plusieurs années, l'écrivain aura des mots très durs à l'égard du peuple. Créant le pouvoir à son image, la masse ne porte généralement à sa tête que "des tribuns violents ou des médiocrités" qui flattent ses passions et ses tendances à l'extrémisme démagogique, à l'origine de la dictature et de la guerre .
Mots très durs, certes, mais s'adressant à l'époque encore plus aux hommes qu'aux principes. Bien qu'ébranlées, les grandes orientations de Weill aux accents parfois tocquevilliens, ne subiront pas de modifications notables. L'auteur, prétend toujours en effet, avoir considéré la république comme son "idéal" :
Un problème essentiel paraît, par conséquent, se poser à l'écrivain: celui de l'unité entre la pensée et l'action; de la recherche d'une cohérence entre les principes et leur concrétisation, entre le spéculatif et le pragmatique. Or, si les deux volets parfois ne parviennent pas à s'ajuster, il n'est pas sûr, à la réflexion, que la difficulté soit toujours d'origine humaine ou pratique. Par la suite Alexandre Weill, comme d'une certaine manière Fabre d'Olivet, Béranger ou Auguste Comte, aura tendance à considérer que le hiatus pour certaines grandes options est d'origine idéologique. Constatation qui le conduit à examiner certains slogans révolutionnaires avec réserve, et à en proposer une relecture, marquée du sceau d'une critique aussi fougueuse qu'originale.
Liberté, égalité, fraternité... la triade révolutionnaire se trouvera ainsi au centre même de l'analyse critique weillienne.
Vouloir prendre, en plein milieu du 19e siècle, le contre-pied des opinions communément admises, n'est certes pas chose aisée. D'autant que l'idée anti-égalitaire professée par Alexandre Weill achoppera plus tard à sa Weltanschauung, quand, après le coup de force de Louis-Napoléon, il fera le point, en orientant sa pensée dans le sens d'un déisme à la fois humaniste et mosaïque. Conçue précédemment comme concept négatif, appréciation qui ne laissait pas d'être embarrassante, l'idée d'égalité sera intégrée, par la suite, de manière adroite et originale au système philosophique et métaphysique weillien, dans une espèce d'effacement de la contradiction et, si l'on peut dire, par déplacement dialectique vertical .
Si égalité il y a, elle n'existe pas a posteriori, à l'échelle humaine, mais a priori, en référence à Dieu -- et l'idée est inspirée de Spinoza -- par rapport au "principe créateur", ayant déposé "une dose plus ou moins grande de son essence dans chaque être". Ce n'est pas par la qualité, mais par la quantité de l'essence divine placée en eux, que les hommes diffèrent. Cette différence, Dieu va la résorber en introduisant dans la création une loi "d'harmonie universelle", basée sur "l'attraction des contrastes et l'union des inégalités". Le principe d'égalité est ainsi récupéré par l'auteur, mais au niveau métaphysique, et dans un contexte plus global que particulier.
Si la devise de la République fait l'objet, de la part de Weill, d'une exégèse singulière à laquelle certainement peu parmi les députés de la Constituante ont pensé, il en ira de même, quoique dans une mesure moindre, pour la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. C'est aux devoirs que s'intéresse notre auteur. En fait, l'opportunité d'une déclaration, fondée sur des devoirs aussi bien que sur des droits, s'était déjà trouvée au centre des discussions à l'Assemblée en 1789 : "Il n'est pas prudent, avait objecté Grandin -- et l'Abbé Grégoire avait exprimé la même réserve -- d'exposer les droits, sans établir les devoirs. Une déclaration des droits est comme un traité de morale qui ne serait pas entendu de toutes les classes des citoyens et dont on pourrait abuser".
Une soixantaine d'années plus tard, mais à partir des leçons de l'histoire, Alexandre Weill arrivera à une conclusion identique. Positif, en effet, au niveau théorique comme déclaration d'intentions, le manifeste du 27 Août 1789, proclamant "les droits naturels, inaliénables et sacrés" de l'homme, s'avère avoir eu des conséquences totalement négatives. Les événements allaient le prouver. Prendre les effets pour les causes, c'était idéologiquement, et pragmatiquement s'engager sur une fausse route. En optant pour l'idéalisation des droits, la Révolution ne pouvait que tomber du despotisme dans l'anarchie. Or, déclare l'écrivain sans ambages, "les hommes n'ont aucun droit à la naissance, ils ne naissent ni ne demeurent libres et encore moins égaux en droit. S'ils existent, ce n'est que par les devoirs des parents à leur égard", devoirs tracés par la nature .
Au lieu de débuter par une proclamation encourageant les revendications non altruistes, il aurait été bon, comme le préconisaient Montesquieu, avec l'idée de vertu, et Kant, avec l'impératif catégorique, d'entamer le processus à partir des devoirs qui impliquent un engagement personnel moins allusif. Il y a tout lieu de supposer, affirme Alexandre Weill, que l'orientation prise par l'histoire s'en serait trouvée modifiée, sans que le citoyen à titre individuel en eût subi, d'ailleurs, un quelconque préjudice. En effet, les droits de l'un découlent déductivement des devoirs de l'autre à son égard, alors que la proposition inverse n'est pas vraie obligatoirement. Le mal, création de l'homme et non de Dieu, "ne doit son existence qu'à la violation ou au non-accomplissement des devoirs". C'est pourquoi, ce qui dans la société du droit est énoncé comme négation, devient, affirmation dans la société du devoir. Tout comme la liberté venant s'ajuster à la solidarité, ce n'est pas le droit, mais le devoir qui va de pair avec l'ordre .
Dépassant le contexte étroit de la critique, l'auteur fera usage de ses réflexions dans une perspective plus large, pour proposer, comme cela se faisait fréquemment à l'époque, son propre plan de réforme politique et social. destiné à instaurer une nouvelle ère de justice, de progrès et de bonheur universel. Il allait promouvoir une "république nouvelle", celle de "l'avenir", fondée sur le devoir. Et ce, à l'instar, mais aussi à la différence de Rousseau et des révolutionnaires ayant conçu une république du "passé", vouée à l'échec, car reliée au seul concept du droit .
Alexandre Weill s'est-il imaginé avoir mené, seul, le combat en matière de devoirs, à son époque ? On ne saurait l'affirmer. Toujours est-il que, faisant suite aux premiers débats, les Constitutions de l'An I (1793), et de l'An III surtout (1795) vont apporter leurs amendements. Assortie du contrepoids des devoirs, qui appartiennent d'ailleurs plus au domaine moral qu'au domaine juridique, politique ou social, cette dernière sera précédée d'une Déclaration des Droits et des Devoirs de l'Homme et du Citoyen. Poursuivant la tâche, la Seconde République intègrera. elle aussi, au Préambule à sa Constitution, plusieurs articles mentionnant de manière explicite "des devoirs réciproques qui obligent les citoyens envers la République, et la République envers les citoyens". Sans compter, bien évidemment, le soutien apporté à la théorie weillienne par des penseurs tels Bonald, dans sa Théorie du pouvoir politique (1796); par le Saint-Simonien Buchez, et surtout par Auguste Comte:
Si d'un point de vue idéologique, Alexandre Weill s'avère être un critique acerbe de certaines incidences révolutionnaires, ses motivations profondes ne nous apparaissent pas encore très distinctement. Rappelons qu'il s'était défini en référence à la fois, à quatre-vingt-neuf et à la Bible, par conséquent comme une espèce de personnalité géminée dont un aspect seulement a été éclairé jusqu'ici. Le Moi intime de l'écrivain est relié à un judaïsme qui constitue, malgré un anticonformisme déclaré, la souche radicale sur laquelle vient se greffer l'ensemble de ses idées philosophiques, historiques et politiques.
L'histoire étant pour Weill à la fois "Dieu qui marche" , et selon un aphorisme emprunté à Schiller, "le tribunal du monde" , la Révolution va être jugée en fonction d'un certain état d'esprit théologique et d'une conception apologétique, sans doute inattendus, mais que l'on retrouve également dans la pensée néo-catholique de l'époque. L'idée de faire intervenir la Providence dans le cours de l'histoire constitue, en effet, un article de foi fondamental chez Lamennais. Alexandre Weill perçoit la Révolution française comme un phénomène métaphysique, dans ses prémisses et ses conséquences: "châtiment divin" de l'impiété humaine, à l'époque du légitimisme ; plus tard, fait religieux positif, en ce sens que l'événement se trouve à l'origine de "la religion divine de l'Etre Suprême" et de la Raison philosophique. La composante spéculative et rationaliste est intégrée ici, et de manière paradoxale, à l'héritage biblique. Pour l'écrivain, à la recherche d'une harmonie troublée par le conflit de la double allégeance, la Révolution française, loin d'être facteur de discordance, devient source d'unité. D'une unité qui lui est en quelque sorte organique, puisqu'elle allait faire se rencontrer deux génies ayant eu pour vocation de passer les vieilles vérités "au crible de la raison pure" : le génie français de 1789 et le génie mosaïque des premiers temps .
En fait, la Révolution française sera comprise comme une réminiscence du passé, doublée d'une ouverture sur l'avenir. Aboutissement de toute l'histoire humaine, "seconde sortie d'Egypte", délivrance de vingt siècles d'esclavage, symbole de l'indépendance et de la responsabilité absolue de l'Homme au regard de l'Histoire, mais aussi point de départ d'une ère nouvelle. Ayant rompu en visière avec les religions révélées -- le catholicisme dogmatique et le judaïsme talmudique -- la Révolution annonce l'avènement d'un nouvel Evangile dont l'écrivain ne cessera de se proclamer le prophète à partir des années soixante : retour à la loi du Dieu de raison originel, à la doctrine authentique de Moïse, celle de Weill bien entendu, débarrassée de ses "scories" métaphysiques, plus particulièrement, sa croyance en la grâce, au miracle et au pardon. Dépassant le stade de la rénovation politique, la Révolution, par la proclamation d'une liberté et d'une raison humaines inspirées de l'auteur du Pentateuque, doit être saisie comme un essai de restauration d'un ordre déiste ancien.
Car Moïse est le détenteur de la vérité philosophique intégrale, c'est également le plus grand législateur politique et social que l'humanité ait jamais connu. Son époque, celle du "plus grand idéal de l'histoire universelle", raconte les hauts faits d'un peuple d'esclaves, brisant ses chaînes et passant de l'oppression à la liberté, à l'aide de sa seule spiritualité et de la propagation de ses grands principes : l'égalité de toutes les créatures devant Dieu, leur solidarité innée, l'amour du prochain, l'abolition de l'esclavage, la suppression des privilèges, la défense du pauvre, de la veuve et de l'orphelin. Autant d'idéaux qui, proclamés au commencement des temps, font partie de l'infrastructure philosophique, sociologique et morale de la Révolution française. Moïse, premier philosophe du devoir, a su instituer le régime "de droit divin", à partir de l'idée d'un "Dieu incarné dans la loi de l'Etat", posant ainsi les fondations du "Temple de la Démocratie future" .
Le rapprochement entre quatre-vingt-neuf et la thématique biblique n'est évidemment pas du ressort exclusif d'Alexandre Weill. Après la Déclaration des Droits figurée en un premier temps par les Tables de la Loi, d'autres auront l'idée d'amalgamer les principes judéo-chrétiens avec ceux de la Révolution. Ainsi, et à titre d'exemples, Joseph Salvador ainsi que James Darmesteter se référeront au code de Moïse, et le saint-simonien Enfantin, aux Evangiles.
Malheureusement. déplore Weill -- et ce n'est pas là, sans doute, la moindre de ses originalités-- ce rapprochement n'est qu'un point de départ., les hommes parviennent rarement à rester à la hauteur des événements qui les ont fait naître. Certes, l'écrivain n'ira pas aussi loin que Joseph de Maistre : "tout est miraculeusement mauvais, dans la Révolution" ... mais son jugement n'en est pas moins empreint d'un profond pessimisme. Si en son début, la Révolution donnait l'impression de s'engager dans une voie idéale, tout se passe comme si, décevant les espoirs, elle avait été incapable, par ignorance ou aveuglement, d'opter pour des principes d'action morale adéquats, et de se choisir les dirigeants qui lui auraient permis d'aller jusqu'au bout d'une idéologie dont elle n'avait elle-même qu'une conscience confuse.
1789 a sans doute été une nouvelle sortie d'Egypte, mais par le choix d'idéaux falsifiés -- les droits, au lieu des devoirs, une devise révolutionnaire mal agencée -- elle n'a pu atteindre la hauteur d'un "Nouveau Sinaï". La Révolution n'a pas eu son Moïse! …
Seul peut-être, Robespierre semble avoir saisi la dimension métaphysique des événements. Et ce, malgré son dogmatisme et la responsabilité qui allait être la sienne dans le déclenchement de la Terreur : "buste de marbre blanc, veiné de sang", dira Weill, à son propos. Animé d'une inspiration quasi prophétique, il a été à la fois démolisseur et constructeur; homme d'ordre, mais surtout homme de Dieu, pour avoir aspiré à fonder, à partir du culte de l'Etre Suprême, une société religieuse de progrès social, basée sur l'égalité, la liberté, la solidarité et la pratique de la vertu . Son entreprise, pourtant, ne pouvait aboutir qu'à l'échec, car au lieu d'asseoir son code, comme l'avait fait Moïse sur le devoir des forts, il a choisi de l'établir sur le droit des faibles.
Bref, la grande lumière s'est éclipsée .... Le "mouvement des géants" a été stoppé, la vérité absolue n'a été qu'entrevue. Preuve en est, en 1801 déjà, la signature du Concordat entre Bonaparte et Pie VII qui allait consacrer, par la réorganisation du Catholicisme en France, le retour aux "anciennes errances", opposées aux principes divinement rationalistes contenus en puissance dans l'idéologie révolutionnaire. A partir de ce moment, le processus régressif était définitivement amorcé : la France allait devoir faire face à une résurrection du Catholicisme dogmatique, d'une part, et à un développement de l'athéisme destructeur, d'autre part.
En un certain sens, la Révolution française avait échoué.