Et maintenant chantons l'équerre fertile :
Dieu a béni, Action de grâces, Tête haute, Le Seigneur est ma récompense, Dieu a sauvé, Bourgeons, Source des rochers, Dieu resplendit...
Qu'est-ce que cette litanie ? Ce sont les noms des villages qui jalonnent la plaine d'Israël ; ils se déploient sur une bande étroite, qui longe la côte du Sud au Nord, depuis les confins du Néguev, entre les dunes du rivage et le massif montagneux du centre.
La poésie est le beau côté des choses. Tous ces noms sont poétiques. Mais beaucoup sont à double sens. Hodiya est "action de grâces", mais c'est aussi le village de ceux de l'Inde ; les "fils de l'aurochs songent moins à l'animal légendaire reém qu'à Rabbi Alter-Méir de Gor, le Guérer Rebbe, et les colons de Hafets-Hayim ne désirent comme vie que celle que promet le Psaume 24 à ceux qui ne médisent point de leur prochain, telle que l'a prêchée Rabbi Yisraël-Méir Hakohen, appelé d'après son livre Hafets-Hayim ; enfin "Rosée de l'aube" fait allusion au généreux M. Morgenthau...Berèkhya, Hodiya, Komamiyouth, Zavdiel, Guealya, Nitsanim, En-Tsourim, Zerahya.
"Oiseau de paradis" - fleur de la région du Sharon .
Gazelle, Vers l'Orient, Mon secours a surgi, Fils de l'aurochs.
Ya'el, Kédma, Azrikam, Bené-Reém.
Désireux de vie, Forteresse, Pré des vagues, Enclos.
Hafets-Hayim, Bitsarone, Nir-Galim, Guedéra.
Rosée de l'aube, Fondations, Belette, Travailleurs.
Tal-Chahar, Yessodoth, Houlda, Amélim.
Il fleurit, Jardin de Salomon, Village du chef, Réussite.
Yatsits, Gane-Chelomo, Kefar-Hanaguid, Matsliah.
Et les gros bourgs : Rehovoth, Ness-Tsiyona, Richone-le-Tsiyone...
Au large, Etendard vers Sion, Premier pour Sion, chaîne à trois anneaux qui annonce Tel-Aviv...
Toutes ces agglomérations, petites ou grandes, distillent de l'automne au printemps un parfum enivrant, dont les exhalaisons assiègent la fourmilière d'Israël: l'odeur des orangers, des citronniers, des mandariniers, des cédratiers et des arbres à pamplemousses...
C'est de là que partent par millions de caisses, par milliers de wagons, les énormes et succulentes oranges dites de Jaffa, les meilleures du monde ; soigneusement triées, enveloppées de papier de soie, emballées, transportées jusqu'aux ports de Jaffa, de Tel-Aviv et surtout de Haifa.
Le long de toutes les routes, des rideaux coupe-vent de cyprès ou de pins dissimulent les plantations d'agrumes, qui s'étendent sur des hectares et des hectares...
Les rendements ont été multipliés par l'irrigation : des jets d'eau tournoyants abreuvent les arbres et la terre sèche...
Et ainsi le soleil, l'eau et la terre contribuent à fabriquer les sucs délicieux d'innombrables fruits à l'écorce d'or épaisse, comme un carafon doublé de cuir...
Tirath-Chalom, Beth-Oved, Neta'im, Be'ér-Ya'akov...
Château de la paix, Maison du travailleur, Plantations, Puits de Jacob.
Ahissamakh, Ets-Hayim, Ben-Chèmen, Ahiézer.
Mon frère me soutient, Arbre de vie, Terre grasse, Mon frère est mon aide.
Yaguel, Tsafriya, Molèdeth, Hèmed.
Qu'il se réjouisse, Dieu est mon matin, Patrie, Délice.
Tirath-Yehouda, Nehalim, Bené-Ataroth, Rinathya.
Château de Juda, Domaine, Fils de couronnes, Allégresse divine.
Michmar-Hachiv'a, Mikweh-Yisraël, Kefar-Chalem, Ganoth.
Poste des sept, Espoir d'Israël, Village parfait, Jardins.
Magchimim, Behadraga, Gath-Rimone, Migdal-Tsèdek.
Ceux qui réalisent, Pas à pas, Pressoir de grenades, Tour de justice.
Et voici que Tel-Aviv déborde de son aire et couvre de ses faubourgs toute la largeur de la plaine jusqu'à la montagne. Non. Jusqu'à la frontière plus proche.
éclair, Porte de l'espérance.Et la file des orangeries continue jusqu'au Carmel, non comme une culture unique, mais comme la culture essentielle. Quoi d'important à côté ?
Ramath-Gane, Bené-Perak, Pètah-Tikwa.
Herzlienne, Verdoyante, Village du grand-père.
Herzliya, Ra'anana, Kefar-Sava.
Mais chut ! Nous n'avons pas encore atteint Yokne'am. Nous ne faisons que sortir de la plaine de Saron pour pénétrer dans la Vallée de Héfer...
Nous n'avons pas encore dit le principal. Cette région est l'une des plus formidables fabriques d'oeufs du monde... Ici les poules ne sont plus guère des animaux : poursuivant l'évolution qui les avait transformées de volatiles en volailles, les Israéliens en ont fait des machines à pondre. Les coqs sont réunis dans des sortes de haras. Presque toutes les poules, délivrées des complications de la vie conjugale, ne peuvent songer qu'à livrer des oeufs, démentant la légende naïve selon laquelle le mâle est à la femelle d'une quelconque utilité.
Que n'avons-nous pas appris dans notre jeunesse? Que les poules picorent du pain dur et des grains de blé épars dans la basse-cour, - c'est faux. Elles sont gavées d'un mélange de son, de poudre de poisson séché et de vitamines. Que les poules pondent chaque matin, - c'est enfantin. Elles pondent quand elles croient que c'est le matin, et, pour qu'elles le croient plus souvent, la lumière électrique est chargée de les éblouir à intervalles réguliers. Mais ce qu'on ne nous avait pas appris, c'est que les poules portent des lunettes noires. Non pas qu'elles craignent le soleil ; mais il faut qu'elles soient à moitié aveuglées pour qu'elles ne piquent pas sauvagement du bec leurs compagnes entassées par milliers avec elles dans les poulaillers-modèles.
Pour les vaches, c'est à peu près la même chose. Elles ne broutent pas dans les prés, parce qu'il n'y a presque pas de prés; elles mangent au râtelier une nourriture hygiénique. Il n'y a plus guère de paysans qui les traient, assis sur un tabouret à pied : partout on se sert de trayeuses électriques, qui font le travail rapidement et proprement. Et puis les vaches debout dans leur bouse et agitant la queue pour chasser les mouches, ce n'est plus qu'un attendrissant tableau du moyen âge : les vaches israéliennes, prenant leur tour de rôle pour la traite automatique, pénètrent clans une sorte de laboratoire, oit elles prennent une douche et confient à la machine la production minutieusement mesurée de leur pis, qui coule directement par des tuyaux dans un réservoir réfrigéré.
Les abeilles, seules, font encore leur miel à l'ancienne mode dans des rayons de cire naturelle, sans appareil perfectionné, et elles ont toujours leur dard. Plus pour longtemps sans doute.
C'est ainsi qu'il faut exploiter au maximum les possibilités réduites de ce lopin de terre arable qu'est l'équerre fertile, Lui-même conquis en grande partie sur les marais et les déserts. Le Fonds National Juif (Kèren Kayèrneth le-Yisraël) a le droit d'être fier d'avoir mené à bien la transformation en grenier de nourriture des marécages infestés de moustiques de la Vallée de Héfer et de la Vallée de Jezréel, qui communiquent entre elles par plusieurs trouées, autour du massif du Carmel.
La résurrection de la Vallée de Jezréel surtout a inspiré les poètes et les musiciens, et aussi ces poètes-philologues que sont les donneurs de noms aux nouvelles cités.
Porte des Vallées, Cité du travail, Maison du pain, La Chênaie...
Cha'ar-Ha'amakim, Kiryath-Amal, Leth-Lèhem, Alonim, Ramath-Yichaï, Sedeh-Ya'akov, Kefar-Guid'one, Nahalal, Ramath-David, Guevath, i<efar-Iiaroukh, Mizra', Michmar-Ha'émek, Hayoguev, Kefar-Baroukh, Guinégar.
Ici s'insère Afoula, ville royale de Jezréel, qui fut construite pour régner sur la vallée. Mais, comme les colons étaient démocrates, ils tournèrent le dos pendant vingt ans aux marchands de la ville et ignorèrent systématiquement celle qui se prétendait leur capitale, et qui était si bien située pour l'étre.
Merhavya, Guèva', En-Harod, Tel-Yossef...
Largesse de Dieu, Colline, Ruisseau d'ardeur, Tertre de Joseph...
Beth-Hachita, Heftsivah, Beth-Alfa, Nir-David...
Maison de l'acacia, Je l'aime, Maison du bétail, Pré de David.
Et l'on descend lentement à travers les champs d'orge, de froment, de maïs et de sorgho, vers le lit du Jourdain, encaissé au-dessous du niveau de la mer. Mais l'on rencontre d'abord une vallée circulaire, établie au bord du fleuve, la vallée de Beth-Cheane. Celle-ci a de l'eau en abondance, mais ses chaleurs sont lourdes et suffocantes.
Chelouloth, En-Hanatsiv, Sedé-Eliyahou, Tirath-Tsevi.Ici l'on est au bout du monde. La terre est fertile, mais l'homme souffre dans l'atmosphère étouffante. Sa peau se parchemine, il se sent vieillir, son corps se décharne, ses muscles se détendent : il cède à la lassitude. Ou bien il s'obstine. Et alors il a de beaux enfants rieurs qui s'épanouissent sous le soleil et nagent clans les étangs, et qui prendront la relève un jour, sans héroïsme, tout simplement...
Embranchements, Source du prévôt, Champ d'Elfe, Château du cerf.