De Gaulle n'était pas "bêtement"
antisémite, je puis l'attester. Il était trop intelligent
pour cela. Mais son exceptionnelle intelligence dut vaincre les préjugés
de son milieu pour s'affranchir de cette attitude jugée puérile
par lui-même. Quand l'autodiscipline l'abandonna, comme lors de
la préparation de sa conférence de presse
(1), des couches profondes révélèrent
une mentalité longuement conditionnée et ancestrale. Son
père, pourtant, avait manifesté une attitude courageuse
lors de l'affaire Dreyfus. Et en ma présence, pour caractériser
un homme politique connu, il n'avait pas hésité à
dire : - Il est idiot, il croit encore à la culpabilité de Dreyfus. Cette conférence de presse avait suscité - à mon étonnement, aimait à dire son auteur, avec une candeur feinte - une émotion intense tant au plan national qu'international. On n'a pas oublié la noble révolte de Romain Gary, de Jean Bloch-Michel, fils d'un des plus grands historiens fusillé par les nazis, de Raymond Aron (de Gaulle, Israël et les Juifs, Plon) (V pour Romain Gary, le Monde du 27 Il et 1-2 III 1970), des regrettés Vianson- Pontet et Morvan Lebesque sur les "deux racismes à abattre" ni le Droit de Vivre. À la suite de la conférence de presse j'adressai la lettre suivante au Chef de l'État : |
Monsieur le président de la République,Le retentissement de cette lettre peut être qualifié de fort et intense dans la presse nationale et étrangère. De nombreux messages de remerciements et d'approbation parvinrent de toute part.
J'ai eu le grand privilège de pouvoir voux exprimer à maintes reprises, tant en mon nom personnel qu'en celui de la communauté juive d Alsace toute entière, la très grande admiration et la reconnaissance sincère, vivante, que nous éprouvions à l'égard de votre personne et que nous avions à coeur de cultiver dans nos foyers. Dès l'instant où nous fûmes plongés dans la nuit sombre d'une persécution féroce, votre voix courageuse et vos exploits constituaient pour nous, des années durant, un des fils ténus nous reliant à l 'espérance.
Le procès d 'intention, apparemment sans appel, fait à tous les Juif s, et tout d abord à nous, Français juifs, face au monde, éteint brusquement la lumière émanant de votre action et étreint les coeurs dévoués sans réserve.
Ma déférence pour votre magistère suprême m'interdit d'émettre le moindre commentaire sur la manière sommaire, oserai-je dire singulièrement désinvolte, de tirer les lignes de partage dans le conflit arabo-israélien qui a, en vérité, des causes s complexes profondes, dépassant de loin de la région du Proche-Orient et de son sous-sol.
Je ne retiendrai que la puissance redoutable du mot. Nous avons appris, dans notre chair, avant les autres familles formant l'humanité, l 'effet meurtrier de cette arme redoutable maniée avec art ou avec habileté. C'est elle qui a déclenché le massacre collectif érigé en politique d'État.
Des masses compactes se comptant par dizaines de millions ont entendu le président de la République imputer aux Juifs le flot tantôt montant tantôt descendant des malveillances qu'ils provoquaient, qu'ils suscitaient plus exactement dans certains pays et à certaines époques. Dans l'Allemagne nazie, à l'époque de la mort concentrationnaire, par exemple ? Et plus certainement quand, lançant les slogans empoisonnés destiné, à galvaniser les passions élémentaires des foules arabes, leurs gouvernements avaient resserré leur étau d'acier afin d'étouffer cette jeune et fragile nation ?
La France, notre pays, que nos aînés et nous-mêmes avons servie et servons toujours sans réserve jusqu 'au don de nos personnes, entonne à son tour par votre bouche, monsieur le président de la République, les thèmes discriminatoires tenant lieu de prétexte au génocide des Juifs.
Les vertus de nos pères, les sacrifices consentis avec simplicité par un contingent considérable de soldats, de résistants, de partisans juifs, les principes élevés qu'irradient les hautes traditions généreuses du peuple français mériteraient et pourraient exiger plus de respect et davantage d'appréciation. Tous les gouvernements sans exception portent grâce à leur silence dense, au milieu duquel l'holocauste a pu se perpétuer ; une responsabilité évidente. Il sont ainsi contracté des obligations morales envers les survivants. Ceux-là ne demandaient, eux, que le silence. Ils savent que la création d'Israël a valeur de réparation. Ils savent en ce qui les concerne, eux, Français juifs, qu'ils n'ont fait que leur devoir.
Et voilà que, dans la conférence de presse du chef de l État, qui incarne toute la nation française et qui s 'est placé jusqu'ici au dessus des familles spirituelles et politiques, " la soif de domination et l'esprit conquérant" sont imputé à tous les Juifs sans distinction.
Le doute semé ainsi sur le loyalisme civique des Juifs par la plus haute instance de notre pays me contraint de vous remettre, monsieur le président, mon rang d'officier de la Légion d'honneur que le gouvernement de la République m 'a conféré pour "services militaires et civils exceptionnels" rendus durant de longues et douloureuses années.
Puis-je me permettre de rappeler le geste de feu mon père, de son vivant grand rabbin du Haut-Rhin, élevé dès après la fin de la première guerre mondiale à la dignité de chevalier de la Légion d'honneur, en reconnaissance de sa fidélité agissante au service de la présence permanente de la mère patrie dans l'Alsace résistant à toutes les tentatives de germanisation ? Ce résultat tangible avait été obtenu grâce au nombre de patriotes unis sans discrimination dans l'amour de la France. Mon vénéré père a remis à son tour cette distinction, qui signait une vie entière de droiture et de dévouement à la patrie, au chef de l'État français d'alors (2), déformant et ternissant aux yeux de cet Alsacien, sons peur ni reproche, l'image et la mission de la France éternelle.
Veuillez agréer, monsieur le président de la République, l 'expression sincère de mes sentiments respectueux combien attristés.
Docteur Joseph WEILL président d'honneur
du Consistoire Israélite du Bas-Rhin
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