Isaac Feiwel Aktuaryus (1860-1942) |
Alexandre Kottek (1898-1971) |
Le nom Aktuaryusparait plutôt curieux. Pourtant il y eut à l’époque byzantine un médecin à Constantinople, connu sous le nom d’Ioannes Actuarius (13è siècle), qui a publié plusieurs ouvrages remarqués. Il s’appelait en fait Ioannes Zacharias (ou fils de Zacharias) et on pense que le terme "actuarius" désignait à l’époque un médecin de Cour. Nous n’avons trouvé aucune référence à une origine juive ou crypto-juive de ce médecin. Il est partout cité sous le nom d’Actuarius.
Isaac F. Aktuaryus est né en Lituanie, dans la ville de Mariampol, pas très loin de Kovno (aujourd’hui Kaunas). C’était une famille très pratiquante. Isaac a peint un tableau sur lequel on voit plusieurs membres de la famille étudiant sous la direction de Rabbi Yitzḥaq ElḥananSpector de Kovno, dont l’autorité était très largement reconnue. Ce tableau existe toujours, c’est un joyau de la famille.
Disons quelques mots sur la biographie de notre grand-père maternel. Il est temps de dire que nous sommes [Myriam et Samy Kottek] les enfants d’Alexandre Kottek (1898-1971), qui a épousé en 1930, près de Strasbourg, Frieda Aktuaryus – la fille d’Isaac.
Les Juifs de Lituanie avaient très peur de voir leurs fils incorporés de force dans l’armée russe. Le jeune Isaac avait en vue la célèbre Ecole des Beaux-Arts de Paris, mais dans le train il fit la connaissance d’un juif de Francfort qui l’invita chez lui et lui donna une lettre de recommandation pour la famille Klein de Paris, "les Klein de la rue Cadet" - les anciens auront compris de qui il s’agit. Isaac intégra donc l’Ecole des Beaux-Arts, où il y avait déjà tant de juifs russes, et – fait extraordinaire – il resta pratiquant, encouragé par la famille Klein.
Isaac était surtout un portraitiste doué. Il allait souvent dans les stations thermales en Allemagne, les clients avaient le loisir de poser pour un portrait. Sa renommée fut telle qu’il fut invité à la Cour d’Angleterre où il il peignit le tout jeune enfant qui devint plus tard Edouard VIII, dont le règne fut très court. C’est à Wiesbaden, près de Francfort, qu’il rencontra et épousa en 1892 notre grand-mère, née Nathalie Hermann.
Isaac ouvrit à Wiesbaden en 1896 une galerie [Kunstsalon Aktuaryus] comprenant plusieurs salles, on y a recensé des expositions de 1905 à 1917.
Pendant la première guerre mondiale, Isaac fut interné en tant que sujet de nationalité française, à la suite de quoi il émigra avec sa famille à Strasbourg. Il y ouvrit une petite galerie en étage rue du 22-novembre, puis il loua un plus vaste local au 23, rue de la Nuée Bleue, en 1920. Sa fille Frieda assurait le secrétariat. Lorsqu’elle se maria (en 1930), notre père ajouta au sens artistique d’Isaac son sens commercial, sans négliger sa propre formation à l’art.
Pendant la seconde guerre (1939-1945), l’Alsace fut évacuée et les juifs n’y eurent plus droit de cité. En 1946, Alexandre Kottek za"l prit la direction de la galerie, où tout était à refaire. Ses efforts furent couronnés de succès, les grands artistes parisiens, en particularité le groupe "De La Réalité Poétique", mais également des artistes juifs renommés, vinrent exposer leurs œuvres. Parmi ces peintres juifs, citons Mané Katz, Théo Tobiasse, Raya Sorkine et Abel Pann, tous de réputation internationale. Il y eut également quelques expositions de sculptures et de tapisseries d’art.
Lorsque notre père succomba brutalement en 1971, sa fille Myriam Gay-Kottek eut le courage, dirons-nous la témérité, de reprendre le flambeau. Elle acquit rapidement les connaissances artistiques nécessaires et dirigea la galerie avec succès, sans négliger sa vie de famille, bien entendu. Myriam réussit à nouer des contacts et à organiser des expositions qui ouvraient des horizons sur d’autres cultures aux traditions artistiques originales et passionnantes à découvrir. Par exemple, des sculptures Inuit du Nord Canadien, des poteries pré-colombiennes du Pérou, des masques et des totems d’Afrique, et des peintures abstraites sur toile des Aborigènes de l’Ouest Australien. Mais au bout de 35 ans d’activité, elle dut se résoudre à préparer la fin et la galerie ferma ses portes en 2006.
Il y eut donc trois générations à la tête de cette affaire de famille, de la Lituanie à Paris, puis à l’Allemagne, enfin à l’Alsace, à-travers deux guerres, et avec la volonté de choisir l’Art de qualité sur le plan national et même international. Ajoutons que ce type de profession est parmi les premières à souffrir lors des périodes économiques instables et ce n’est pas toujours une sinécure.
Mais chaque peinture, chaque œuvre d’art exprime une vision du monde, elle peut (elle doit?) nous donner l’occasion de rêver, de nous raconter une histoire. Nous avons donc raconté une petite histoire.