Depuis l'époque biblique, les Juifs accordent une grande importance à la santé. La Bible hébraïque, ce livre-clé de l'humanité, contient un grand nombre de données de
médecine et d'hygiène.
Samuel Kottek analyse tour à tour les concepts bibliques des guérisseurs, des médecins et des malades. Son texte est enrichi par un éclairage sur les Esséniens et la médecine.
"Cet essai nous apprend que si la guérison demeure la prérogative divine dont les médecins ne sont que des serviteurs, une grande partie des prescriptions religieuses instituées par la Bible ont comme but la préservation de l'individu et de son bien-être. C'est le reflet de la valeur suprême que le judaïsme partage avec l'éthique de la médecine, l'importance souveraine de la vie humaine." (Paul Fenton)
Le peuple d'Israël est communément désigné sous le nom d'Enfants d'Israël. En fait il s'agit à l'origine des enfants de Jacob, qui deviennent par la suite les douze tribus d'Israël.
De plus, les relations du Seigneur avec son peuple sont celles d'un père avec ses enfants, pour le bien comme pour le pire. "Ainsi dit le Seigneur: “Israël est Mon fils, Mon premier-né ”" [Ex. 4: 22].
L'un des Dix Commandements enjoint d'honorer son père et sa mère, “afin que tes jours soient prolongés sur cette terre que le Seigneur t'a donnée” [Ex. 20: 12].
Ce commandement, le cinquième, est à la charnière de ceux orientés vers le divin et de ceux dirigés vers le social. Selon les commentateurs, honorer son père est comme honorer le Seigneur.
Les Psaumes 127 et 128 nous montrent bien la place des enfants dans la culture juive.
Et plus loin, la femme est décrite comme une vigne fertile : “tes enfants sont comme des plants d'oliviers autour de ta table” [Ps. 128: 3]. Le psalmiste estime que voir et jouir de ses petits-enfants est le summum du bonheur [Ibid., v. 6].
Nous allons considérer successivement dans ce chapitre les soins au nouveau-né, l'allaitement et le sevrage, les maladies des enfants, leur éducation et pour finir quelques éléments de terminologie.
LA BIBLE, LA SANTÉ ET L'HYGIÈNE
Table des matières résumée Remerciements Abréviations Introduction La médecine dans les civilisations moyen-orientales Les guérisseurs et le personnel médical Quelques morceaux choisis Les maladies Gynécologie et obstétrique Pédiatrie Neurologie et psychiatrie Ophtalmologie Oto-rhino-laryngologie Les maladies des malédictions Les maladies épidémiques Chirurgie Hygiène Thérapeutiques Anatomie et physiologie Les Esséniens et la médecine Médecine et magie dans les traités pseudépigraphiques Conclusion Bibliographie Index |
Dans une métaphore négative, le prophète Ezéchiel décrit comment le peuple n'a pas été soigné à sa naissance :
Le fait de saupoudrer le nouveau-né de sel était destiné à débarrasser la peau du sébum qui la recouvre d'habitude, et aussi à fortifier la peau (1). Les langes étaient alors appliqués non seulement sur le siège, mais sur l'ensemble du corps, afin de redresser et de maintenir les membres et la colonne vertébrale. Quant à être “jeté dans les champs,” remarquons que l'exposition d'un enfant nouveau-né n'est nulle part mentionnée dans les textes juridiques hébraïques, même pour l'interdire. Cela signifie, à tout le moins, que ce n'était pas un problème de société, comme ce le fut dans la société gréco-romaine de l'antiquité.
L'allaitement
Lorsque Jacob bénit son fils Joseph avant de mourir, il lui donne “les bénédictions des seins et de la matrice” [Gen. 49: 25]. La fertilité et l'allaitement sont ainsi associés dans cette formule évoquant l'intervention divine.
Au contraire le prophète Osée maudit les Enfants d'Israël en leur annonçant “une matrice qui avorte et des seins asséchés” [Osée 9: 14].
Sarah considéra avec raison comme miraculeux le fait qu'elle ait conçu un enfant et qu'elle ait pu allaiter Isaac malgré son grand âge: “Qui eut dit à Abraham que Sarah allait allaiter des enfants?” [Gen. 21: 7].
Dans le Talmud on nous apprend que le cinquième jour de la semaine les prêtres qui officiaient au Temple de Jérusalem priaient pour les femmes enceintes et pour celles qui allaitaient, afin qu'elles puissent mener ces fonctions à leur terme [Ta‛anit 27b].
Dans la tradition juive, la femme a, vis-à-vis de son mari, le devoir d'allaiter son enfant. Le prophète Isaïe s'écrie: “Une femme peut-elle oublier son nourrisson, peut-elle être sans pitié pour le fruit de ses entrailles?” [Is. 49: 15]. Voir aussi Lam. 4: 3-4.
Lorsque Moïse est découvert par la fille de Pharaon dans son berceau flottant, sa sœur Miriam accourt aussitôt et propose d'aller chercher une nourrice parmi les femmes des Hébreux. La princesse donne son accord, et c'est ainsi que Moïse sera allaité par sa propre mère (contre salaire) jusqu'au sevrage. On ne dit pas à quel âge il fut sevré. Il est dit simplement: “Et l'enfant grandit, et elle l'amena chez la fille de Pharaon, et il fut pour elle un fils” [Ex. 2: 10]. Selon l'exégèse talmudique, Moïse refusa auparavant le sein de toutes les nourrices égyptiennes auxquelles il fut présenté, d'où le choix d'une femme des Hébreux [Sotah 12b]. Pourtant ceci fut interprété comme un cas particulier, et le recours à une nourrice étrangère au judaïsme est permis par les talmudistes [Avodah Zarah 26a]. Certains exigeaient que la nourrice étrangère soit logée avec la famille du nourrisson, afin d'être sous surveillance constante.
Les nourrices pouvaient avoir un rang notable dans la société. Ce fut le cas pour celle de Rébecca, qui l'accompagna lorsqu'elle quitta sa famille [Gen. 24: 59]. Lorsque la nourrice mourut, elle fut ensevelie sous un chêne et l'endroit fut nommé “le chêne des pleurs” [Gen. 35: 8].
Il y a une référence biblique qui peut faire penser l'on savait que la lactation pouvait avoir un effet contraceptif. Après que Gomèr, la femme du prophète Osée, eut sevré sa fille, on nous dit qu'elle conçut et eut un fils [Osée 1: 8].
La durée de l'allaitement n'est pas précisée dans la Bible. Pour les talmudistes la durée normale était de deux ans, d'autres disaient dix-huit mois (2). Le sevrage fut, du moins dans le cas du nourrisson Isaac, l'occasion d'un "grand festin" [Gen. 21: 8]. Il n'y a cependant pas d'autre exemple dans le narratif biblique d'une pareille célébration.
Quant aux maladies des enfants, il y a dans la Bible très peu de cas de maladies ou de morts d'enfants. La raison en est sans doute que ce qui intéresse les auteurs dans une biographie, c'est ce qui est significatif pour l'édification du lecteur.
Le meilleur exemple de cette manière de voir les choses est celui de la maladie mortelle de l'enfant de David et de Bethsabée (heb. Bathsheva). Il est dit clairement que c'est à cause de cette union plus que problématique que ce fils devait mourir. Il tomba donc gravement malade. David pria, jeûna, dormit par terre à-côté de lui, mais rien n'y fit: le septième jour l'enfant mourut [II Sam. 12: 14-18]. David ne prit pas le deuil. Il avait fait tout ce qu'il pouvait pour obtenir le pardon de sa faute, mais après le décès il accepta et intériorisa la punition.
L'épisode universellement connu du “jugement de Salomon” [I Rois 3: 16-27] ne sera mentionné que pour souligner le fait que “l'enfant de l'une des deux femmes mourut dans la nuit, car elle se coucha sur lui” [v. 19]. Les deux femmes dormaient donc avec leur enfant dans les bras. Salomon reconnaît la vraie mère au fait qu'elle est prête à tout pour qu'il reste en vie, même à le laisser à sa compagne. On peut par ailleurs souligner le fait que ces deux femmes “de mauvaise vie” tenaient à avoir un enfant à elles.
Les deux cas de ressuscitation décrits avec un luxe de détails inhabituel dans la Bible, déjà évoqués plus haut, seront brièvement rappelés maintenant. D'abord le fils de la femme de Sarepta (heb. Tsarefat), qui tomba malade [I Rois 17: 17-24],
A ce moment la vie revint au cœur de l'enfant et il fut sauvé. La mère, pleine de reconnaissance, reconnaît alors que la parole du Seigneur est dans la bouche du prophète Elie.
Rappelons ensuite le cas du fils de la femme de Sunem [II Rois 4: 18-37]. Il alla un jour retrouver son père qui moissonnait, et se plaignit soudain de la tête. Un serviteur le ramena chez sa mère et vers midi il perdit le souffle.
Nous ne reviendrons pas ici sur l'intervention du prophète Elisée, qui a été décrite plus haut en détail. Disons seulement ici que le prophète se coucha sur l'enfant, en plaçant “sa bouche sur la sienne, ses yeux sur les siens, et ses mains sur les siennes,” et qu'alors “la chair de l'enfant se réchauffa.” On a, bien entendu, parlé (un peu vite) de respiration artificielle. La bouche, bien sûr, mais pourquoi les yeux et les mains ? La transmission de chaleur est plus acceptable, dans le contexte de la physiologie de l'antiquité. Quant à l'étiologie de ce syndrome, on a parlé de coup de soleil, ce qui est plausible.
Mais c'est le contexte théologique qui est à retenir: il s'agit bien, dans les deux cas, de guérisons miraculeuses, la prière du prophète étant l'élément capital du salut divin. En tous cas, ces guérisons sont contées avec un luxe de détails tout-à-fait inhabituel.
Disons un mot de la paralysie de Méphiboshet, le petit-fils du roi Saül. Apprenant le décès de son père et de son grand-père, sa nourrice le laissa tomber dans sa fuite, alors qu'il était âgé de cinq ans. Il en resta paralysé [II Sam. 4: 4]. Il s'agissait probablement d'une lésion de la colonne vertébrale, qui entraîna une paralysie des membres inférieurs. Il en fut sans doute déprimé, car lorsque le roi David lui fut favorable (il était le fils de son grand ami Jonathan) il se compara à “un chien mort” [II Sam. 9: 8].
Nous avons jugé nécessaire d'inclure brièvement l'éducation des enfants, bien que ce sujet dépasse quelque peu le cadre de notre étude.
On trouve dans le récit biblique plusieurs exemples d'enfants qui furent indûment gâtés par leurs parents, ou plutôt par leur père. Ainsi Jacob montrait sa préférence pour Joseph, le fils aîné de Rachel, sa préférée. Il était “le fils de sa vieillesse” [Gen. 37: 3]. David absolvait son fils Absalon de tous ses méfaits [II Sam. 18: 5; 19: 1-5].
Par contre, lorsque Moïse rappelle au peuple les épreuves liées à la traversée du désert, il leur dit: “Tu reconnaîtras donc en toute conscience que si l'Eternel te châtie, c'est comme un père qui châtie son fils” [Deut. 8: 5].
Le livre des Proverbes est bien fourni en recommandations pédagogiques. En voici un exemple (3) :
Quant au cas du fils rebelle mentionné dans le Deutéronome [Deut. 21: 18-21], il doit être considéré comme un cas extrême. Il est “sourd à la voix de son père et de sa mère” et leur désobéit malgré les corrections. Il s'abandonne à la débauche et à l'ivrognerie. Il sera jugé par les Anciens de la ville et exécuté. L'exégèse de ce passage dramatique pose une série de conditions pour que ce fils rebelle soit considéré comme tel [Sanhedrin 71a]. Il semble bien que c'est l'effet de dissuasion de cette loi qui doit être placé en première ligne.
Terminons ce chapitre par un problème de terminologie. Il y a en effet toute une variété de termes qui sont utilisés pour désigner un enfant.