Témoignages
Robert Waitz dans le convoi 60 et au camp d'Auschwitz III - Monowitz
par Georges HAUPTMANN
Extrait de
HISTOIRE & PATRIMOINE HOSPITALIER, revue de l'Association
"Les Amis des Hôpitaux Universitaires
de Strasbourg", n° 21 - 2 009
avec l'aimable autorisation des
Editeurs
En complément de l'article sur la vie et l'oeuvre de Robert Waitz, il nous a semblé important et intéressant de présenter ces témoignages de déportation.
Selon un relevé effectué par Serge Klarsfeld, plus de 70 000 hommes, femmes et enfants ont été déportés de France aux camps d'Auschwitz de mars 1942 à août 1944 dans 73 convois partis, pour la plupart, de Drancy. Environ 2100 seulement survécurent à cette déportation.
Témoignage de Robert Waitz
Robert Waitz fut déporté dans le convoi N° 60, parti de Drancy le 7 octobre 1943 à 10 heures 30 du matin, arrivé à Auschwitz le 10 octobre vers 3 heures du matin. Le départ de ce convoi fut ordonné par Klaus Eichmann le 1er octobre 1943 en réponse à une demande par télex d'Aloïs Brunner, chef du camp de Drancy, en date du 30 septembre 1943. Ce convoi incluait 564 hommes et 436 femmes. Une centaine d'entre eux étaient âgés de moins de 18 ans. À l'arrivée à Auschwitz, 340 hommes furent sélectionnés pour le camp d'Auschwitz-Monowitz et reçurent les numéros 156940 à 157279 [Robert Waitz 157261], 169 femmes eurent la vie sauve et reçurent les numéros 64711 à 64879. Tous les autres furent gazés. Moins de deux ans plus tard, en 1945, il ne restait que 31 survivants parmi les 509 sélectionnés dont seulement deux femmes. Robert Waitz décrit ainsi le voyage de Drancy à Auschwitz :
"Dans chaque wagon un ou deux seaux d'eau et un seau hygiénique ; quatre vingt quinze à cent personnes y sont empilées avec des provisions suffisantes (?). Dans deux des wagons-infirmerie où sont placés à terre quelques paillasses, on conduit des vieillards, des convalescents de typhoïde ou de pneumonie, des femmes enceintes, des femmes avec des nourrissons, etc., et neuf folles sorties par les Allemands d'un asile d'aliénés et qui hurlent sans arrêt. Il est difficile de donner des soins dans ces wagons-infirmerie car les médicaments se trouvent dans un wagon ordinaire et il est interdit de circuler durant les arrêts pour aller chercher ceux qui sont nécessaires. Lors d'un arrêt, j'essaie d'obtenir des tonicardiaques pour un vieillard, présentant syncope sur syncope, le sous-officier allemand me déclare :
Er kann verrecken, er wird so wie so bald krepieren. (Il peut crever, il va quand même claquer bientôt). Au cours d'un autre arrêt, je demande de l'eau pour des malades, un autre sous-officier répond : C'est inutile de leur en donner, ils y passeront bientôt"
(1).
Le camp de Monowitz ou Auschwitz III a été créé en 1942 aux abords du chantier de construction d'une usine géante de la firme allemande l'I.G. Farben, destinée à fabriquer du caoutchouc et de l'essence synthétiques, le Buna, d'où le surnom La Buna donné au camp, situé à environ
6 km à l'est du camp principal d'Auschwitz I. Les déportés ainsi que des prisonniers de guerre anglais, des hommes des Chantiers de Jeunesse français, des ouvriers civils français, polonais, ukrainiens, allemands et de nombreuses femmes, surtout polonaises et ukrainiennes étaient chargés de contribuer aux travaux de construction. Robert Waitz a fourni une description très détaillée de la structure, des conditions d'accueil, de la gestion par les SS, des catégories de détenus, des conditions de vie, de travail et d'hygiène dans ce camp de travail.
"En réalité ce camp est un camp d'extermination.
Le détenu y est torturé par des souffrances multiples entraînant une déchéance progressive qui le conduit à la chambre à gaz… Les détenus, très mal chaussés, doivent parcourir 3 à 5 km pour se rendre à leur lieu de travail. Quelques déportés travaillent dans les bureaux comme techniciens (chimistes, ingénieurs, électriciens, employés de bureau, etc.). La grande majorité est occupée à l'extérieur,
exposée au vent, au froid, à la pluie et à la neige. Elle doit fournir un travail très pénible : terrassement, maçonnerie,
déchargement des wagons, transport d'énormes tuyaux de fonte ou en terre cuite, de sacs de ciment, de sable, de charbon, déplacement de poutres de fer et de ferraille, etc."
(1).
La nourriture, composée essentiellement de soupes et de portions est largement insuffisante et de très mauvaise qualité.
"Le nombre de calories (1000 à 1100) ainsi fournies
est bien inférieur à la ration vitale minima nécessaire à l'individu au repos. Il est à noter que, pour l'immense majorité de détenus, aucun supplément n'est possible. Au point de vue qualitatif, ce régime essentiellement végétarien est très déficient en de nombreux éléments essentiels et complètement déséquilibré. L'eau n'est pas potable. Un demi-litre, au maximum, de succédané de café non sucré est distribué chaque jour comme boisson… L'ensemble de
ce régime provoquait une profonde misère physiologique et ne permettait pas une survie au-delà de 6 mois. La survie moyenne était certainement moindre"
(1).
Plan de situation
des trois camps d’Auschwitz.
|
Robert Waitz, affecté au laboratoire d'analyses de l'hôpital (Krankenbau), décide d'effectuer à partir d'octobre 1944 des recherches sur la dénutrition prolongée dans les camps de déportation (!) à l'aide d'un co-détenu, Georges Wellers (1905-1991) [celui-ci survécut à la déportation et devint plus tard Chargé de recherches du CNRS, directeur du Laboratoire de recherche du Département de Physiologie de la Faculté de médecine de Paris].
"Nous trouvant nous-mêmes en qualité de détenus dans ce camp, nous étions employés au laboratoire d'analyses de l'Hôpital des détenus. Étant donné la stricte surveillance à laquelle nous étions soumis de la part des Allemands, il nous fallut prodiguer de longs et patients efforts pour obtenir l'autorisation du médecin SS auquel, d'ailleurs, nous n'avions dévoilé qu'une partie de nos projets de recherches. Le laboratoire d'analyse
de l'Hôpital d'Auschwitz était un laboratoire très modeste, dépourvu de gaz et n'ayant qu'un petit réchaud électrique et deux lampes à alcool comme tout moyen de chauffage. Le matériel consistait en un microscope, en une petite centrifugeuse,
en une balance sensible à 20 mg, en quelques cellules de Thomas et une série de mélangeurs de Potain, en une série de tubes de Westergreen, en quelques colorants
permettant d'exécuter les analyses hématologiques et bactériologiques courantes. Les circonstances ne nous ont permis de faire qu'une partie des observations projetées. En effet, d'une part nous étions limités dans le temps puisque commençant nos recherches au mois d'octobre 1944 nous les avons interrompues au mois de janvier 1945 au moment de l'évacuation du camp d'Auschwitz à cause de l'approche de l'Armée Russe ; d'autre part, les moyens très modestes
dont nous disposions au laboratoire de l'Hôpital nous ont obligés de nous borner aux recherches les plus faciles à exécuter. Une autre circonstance limita également nos possibilités : c'est que les sujets dont nous voulions examiner
èrent dans un état d'épuisement et nous avons adopté comme règle absolue de ne prélever le sang de chaque sujet qu'une seule fois et de ne jamais dépasser le volume de 25 cc"
(2).
L’usine de l’I.G. Farben à Auschwitz - Monowitz sous la neige. |
Les analyses suivantes purent être effectuées : analyses
hématologiques : numérations des globules rouges et des globules blancs, dosage de l'hémoglobine, formule leucocytaire, vitesse de sédimentation des hématies, volume globulaire, temps de saignement, temps de coagulation ; analyses biochimiques : teneur du plasma en protéines, dosage des globulines, détermination de l'azote des polypeptides, dosage du glutathion réduit, du glucose sanguin, dosages du chlore, du sodium, du potassium et du calcium. Le sang de 26 détenus du camp a été examiné. Les observations cliniques ont été faites par Robert Waitz.
"Le 18 janvier nous avons quitté le camp d'Auschwitz avec la totalité des détenus à l'exception des grands malades. Peu de jours avant cet événement, nous avons pris la précaution de consigner les résultats de nos observations sous forme d'un tableau récapitulatif. Chacun de nous a emporté sur lui un exemplaire de ce tableau. Cependant, à notre arrivée au camp de Buchenwald (Thuringe), l'un de nous a été dépossédé de son exemplaire, tandis que l'autre a eu la chance de conserver le sien jusqu'à la libération, le 15 avril 1945, par les Armées américaines"
(2).
C'est cet unique exemplaire qui a permis à Georges Wellers et à Robert Waitz de publier leurs observations.
Témoignages des co-déportés survivants du convoi 60
Fin 2009, il reste quatre déportés survivants du convoi 60 : Freddie Knoller, Charles Palant, Jacques Zylbermine et le rabbin Marcel Stourdzé (né en 1923).
Témoignage de Freddie Knoller
Alfred Knoller, dit Freddie, est né le 17 avril 1921 dans une famille juive d'origine polonaise vivant à Vienne en Autriche. En novembre 1938, après l'annexion de l'Autriche par les Nazis (11 mars 1938) et peu après les événements de la nuit de cristal (9 novembre 1938), Freddie quitte Vienne pour se réfugier en Belgique puis en France. Il y est arrêté et envoyé dans un camp d'internement à St-Cyprien près de Perpignan dont il réussit à s'échapper. Il séjourne ensuite à Paris sous une fausse identité et sert de guide de tourisme aux soldats allemands. En juillet 1943 il est arrêté par la Gestapo qui lui ordonne de cesser tout contact avec les soldats allemands mais son identité juive n'est pas reconnue à ce moment là. Il quitte alors Paris et rejoint un groupe de Francs-Tireurs et Partisans des mouvements de résistance près de Figeac. En septembre 1943, il est arrêté par la Milice et envoyé au camp de Drancy. Il sera déporté à Auschwitz dans le convoi N° 60 et figurera parmi les 31 survivants. Le 18 janvier 1945, il participe à l'évacuation du camp et à la marche de la mort vers Gleiwitz en Pologne. Il est ensuite évacué au camp de Mittelbau-Dora puis Bergen-Belsen, libéré par les troupes anglaises le 15 avril 1945. Après son retour en France il servira d'interprète dans l'armée américaine.
En janvier 1947 il rejoint son frère aux États-Unis. Il y épouse une jeune anglaise et s'établit finalement en 1952 à Londres où il vit encore à ce jour. Bien que très âgé, Freddie Knoller donne encore des conférences et des interview sur son aventure et sa déportation.
Freddie Knoller relate ainsi sa première rencontre avec Robert Waitz dans le wagon qui les transportait à Auschwitz :
"Pendant longtemps j'ai observé un homme plus âgé assis près de moi et qui me rappelait mon père. J'ai créé un espace pour lui et écarté des personnes entourant cet aimable gentleman. En lui racontant mon histoire il me souriait gentiment et semblait absorber chacune de mes paroles. Il réussit à réconforter mon esprit. "Freddie, vous êtes jeune et vous avez tout votre avenir devant vous. Ne soyez pas effrayé et surtout, ne perdez jamais espoir. Nous devons garder un bon moral pour survivre. Les Nazis n'arriveront jamais à se débarrasser de nous, jamais. Son nom était Robert Waitz, un docteur de Paris [Robert Waitz avait été médecin des hôpitaux de Paris]. Je ne savais rien d'autre sur lui à ce moment là. Près de nous était assis un pauvre homme respirant bruyamment, un asthmatique dont les attaques étaient indiscutablement aggravées par les conditions de vie dans le convoi. Robert le considérait avec une grande attention et lui donna finalement une pilule, "pour lui aider à dormir" me dit-il. Le lendemain matin, cet homme, guère plus âgé que le docteur, était décédé… Un moment donné, le cri angoissé d'une femme s'élevant au-dessus des chamailleries perpétuelles nous réduit au silence. "Mon bébé, mon bébé ne bouge plus, aidez-moi ! Aidez-moi !". Mon nouvel ami Robert Waitz se leva et s'approcha de l'enfant. "Le bébé est décédé" dit-il à faible voix. La mère hurla à nouveau en se cramponnant à son enfant. Finalement elle l'abandonna à un religieux barbu qui le prit dans ses bras et récita une prière. Il couvrit le bébé d'un châle de prière tiré de sa valise. Le wagon entier récita la prière des morts. Ce rituel juif ancien nous rapprocha brièvement"
(3).
À l'arrivée à Auschwitz, après évacuation des wagons dans des conditions atroces, Freddie Knoller entendit quelqu'un crier en allemand "Professeur Waitz, Professeur Robert Waitz, veuillez avancer". "Je n'avais pas imaginé que mon ami était un professeur, suffisamment réputé pour que les allemands le distinguent" (3).
Freddie Knoller fut heureux ensuite de constater que son ami Robert se trouvait près de lui lorsqu'ils furent conduits au camp d'Auschwitz III (Monowitz).
À son arrivée à Auschwitz - Monowitz, Freddie Knoller est tatoué du numéro 157103. Ayant déclaré qu'il était étudiant, il sera affecté à un groupe de travail très dur (Arbeits Kommando 95) chargé de transporter à dos des sacs de ciment sur une distance d'environ 150 m séparant les wagons d'acheminement au local de stockage dans l'usine. Robert Waitz indique bien :
"Il était dangereux d'être commerçant, avocat, professeur, etc. Les kommandos les plus durs étaient réservés à cette catégorie de détenus"
(1).
Freddie Knoller, chaussé de sabots de bois, doit parcourir 3 à 5 km pour se rendre au lieu de travail. Les détenus étaient d'abord massés sur la place d'appel, y restant quel que soit le temps, pluie, neige, vent. À la porte du camp,
"les détenus passent devant la musique qui joue des marches entraînantes dont le rythme était calculé de manière que le défilé de 9000 hommes environ dure 35 à 45 minutes… L'orchestre du camp était composé d'excellents musiciens dont certains sont des virtuoses de classe internationale"
(1).
Freddie Knoller qui savait jouer du violoncelle tenta de s'intégrer dans l'orchestre. Le chef d'orchestre lui indiqua : "Voyez, les musiciens de cet orchestre sont des professeurs de conservatoire. Je ne peux pas accepter d'amateurs, je ne peux vraiment pas, j'en suis désolé".
"J'en fus très déçu et mon rêve d'une vie différente, plus aisée, tomba en ruines. Il m'a semblé que mon avenir se réduirait à la faim et à un travail exténuant. C'est à ce moment là que survint un remarquable coup de chance. Alors que je retournai à ma baraque j'aperçus la figure familière du professeur Waitz. Je l'appelai et me précipitai sur lui. Il me reconnut et m'accueillit chaleureusement. "Freddie, je suis très heureux de vous voir ! Que vous arrive-t-il ?". Je ne perdis pas de temps pour lui faire part de mon malheur. "Si seulement je leur avait dis que j'exerçais un métier" dis-je, "je viens juste d'essayer d'entrer dans l'orchestre mais j'ai été rejeté catégoriquement. Le kommando du ciment… je pense que je mourrai d'épuisement ici. J'ai rencontré un ami avec qui je partage une paillasse, il est dans le kommando de la serrurerie et s'y plaît". "Ecoutez moi Freddie. vous avez été gentil avec moi dans le train. J'ai un bon boulot ici, dans l'hôpital. Passez chez moi tous les soirs si possible et je vous donnerai une ration supplémentaire. Pour ce qui concerne le travail, je vais voir ce que je peux faire…" J'ai remercié le professeur Waitz du fond de mon coeur et lorsque je l'ai quitté j'ai réalisé que le chance ne m'avait pas abandonné après tout. Je compris que j'avais une bonne chance de survivre à cette épreuve et que je pourrai ensuite témoigner au monde de ce que les Nazis ont infligé aux juifs… Le professeur Waitz tint sa bonne parole. Chaque soir, lorsque cela fut possible, je rejoignais l'hôpital en passant à la périphérie du camp. Bien qu'il fut souvent très occupé à soigner des malades, le professeur me souriait et me proposait de prendre de la soupe et du pain. En tant que personnalité il avait droit à une ration plus importante. C'est ainsi que mon amitié avec le professeur Waitz me sauva la vie. J'étais vraiment privilégié… Cependant je ne fus pas libéré du kommado du ciment… Mes pieds furent bientôt couverts d'ampoules sous le poids écrasant des sacs de ciment… Je rendis visite au professeur dont le regard s'assombrit lorsqu'il vit mes pieds. "Il était temps, Freddie", dit-il. "Cet état peut devenir dangereux, incurable en fait". Il me considéra gravement et ajouta "les personnes avec des "
dicke Füsse" (pieds enflés), on ne les revoit généralement plus. Prenez cette pommade". Ainsi je fus allégé en partie de mes souffrances. La chance me sourit encore car quelques jours plus tard je fus affecté aux brouettes et mon travail fut dès lors allégé". "Le professeur Waitz organisa mon transfert. Un soir, quinze jours après mon arrivée à Auschwitz, le "
Blockälteste" affecta certains membres du block à l'hôpital et appela mon numéro "un, cinq, sept, un, zéro, trois, vous êtes à présent dans le kommando 43 ! Vous rejoindrez ce kommando demain matin"
(3).
Freddie Knoller réussit ainsi à poursuivre
son travail et à survivre aux fréquentes opérations de sélection qui consistaient à choisir les détenus envoyés à la chambre à gaz suite à leur déchéance physique et leur incapacité à effectuer les travaux avec un rendement suffisant.
"Le soir du 17 janvier 1945, le "Blockälteste" nous annonça que nous allions quitter le camp… La dernière nuit fut glaciale. Je ne pus dormir, puisque j'étais tourmenté par la perspective de la mort, d'une part, et de celle de l'évasion et de la libération d'autre part… Le lendemain matin nous avons reçu une ration supplémentaire de pain et de soupe et furent alignés, recroquevillés sous les couvertures que nous étions autorisés à emporter mais grelottants dans notre uniforme rayé. J'étais aux côtés de Pierre tandis que les SS chaudement habillés nous entouraient. Il neigeait. J'étais reconnaissant à mon sachet de ciment [Freddie Knoller l'utilisait comme isolant du froid] et à l'énergie que j'avais conservée grâce aux rations supplémentaires que le bon professeur Waitz m'avait fournies tout au long de mon séjour dans le camp"
(3).
Freddie Knoller réside actuellement à Londres et ne cesse de témoigner de la déportation auprès des écoliers et lycéens.
Témoignage de Charles Palant
Shaïa (prénom yiddish) dit Charles Palant, né en 1922 à Paris, de parents juifs polonais émigrés en France, a été arrêté à Lyon en août 1943 par la Gestapo avec sa mère et sa soeur âgée de 17 ans. Internés au Fort Montluc ils sont acheminés à Drancy et finalement déportés à Auschwitz dans le convoi 60. Lui seul est revenu après un séjour au camp de Monowitz (matricule 157176) et avoir connu la marche de la mort puis la libération à Buchenwald. Sa mère et sa soeur ont été gazés dès leur arrivée à Auschwitz-Birkenau. À son retour, Charles Palant participe à la création du Mouvement contre le racisme, l'antisémitisme et pour la paix (Mrap) dont il sera secrétaire pendant 21 ans puis vice-président jusqu'en 1995. Depuis 1983, il est membre de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme. Très tôt impliqué dans la transmission de la mémoire, il a participé à la création de l'Amicale des déportés de Buna-Monowitz. Il sera également vice-président de l'Union des déportés d'Auschwitz et administrateur de la Fondation pour la mémoire de la déportation.
Charles Palant poursuit actuellement des activités publiques notamment en témoignant devant les collégiens et les lycéens de son passé de déporté et de militant pour les droits de l'Homme. Dans son ouvrage publié tout récemment (4) il indique qu'à son arrivée à Monowitz
"Nos métiers nous sont demandés mais en réalité très peu d'entre nous sont affectés à leur spécialité. Je me souviens seulement… de Robert Waitz, célèbre professeur de médecine qui sera reconnu dès son arrivée par un médecin SS et nommé, plus tard, second médecin du camp" (p. 159)
et que
"Au poste de médecin second du camp, Robert Waitz, professeur de médecine à la faculté de Strasbourg, a contribué à sauver beaucoup de vies" (p. 177).
Témoignage de Jacques Zylbermine
Jacques Zylbermine est né en Pologne le 8 mai 1929. En 1933, sa famille vient s'installer à Nancy, où il passe son enfance. Le 20 mai 1940, fuyant les nazis, ses parents s'installent en Bretagne, à Perros Guirec puis à Vitré. Le 17 août 1943 les Zylbermine : le père, la mère, Jacques et ses deux soeurs sont arrêtés par la Gestapo, emprisonnés à Rennes puis transférés à Drancy et déportés dans le convoi N° 60. Les parents sont envoyés à la chambre à gaz dès leur descente du train et il ne reverra plus ses deux soeurs enfermées à Birkenau. Jacques Zylbermine, dernier déporté sélectionné à la descente du train pour le camp de Monowitz, sera tatoué du N° 157279. Bien qu'étant le plus jeune du camp, il s'est retrouvé dans un kommando contraint de décharger des sacs de ciment.
"J'ai contracté une double broncho-pneumonie, j'ai été admis au
Krankenbau. Grâce au professeur Robert Waitz, de Strasbourg, j'ai pu rester anormalement longtemps. Peut être à cause de mon jeune âge"
(5).
Jacques Zylbermine survivra quinze mois dans l'enfer de la Buna et participera à la marche de la mort d'Auschwitz à Gleiwitz. Dans l'attente
du train devant les évacuer à Buchenwald les déportés sont séparés en deux groupes : Jacques Zylbermine réalise qu'il faisait partie du groupe parqué tout près des barbelés et maintenu à distance par des SS armés de mitraillettes.
Jacques Zylbermine à Auschwitz -Birkenau, janvier 2005. |
"Je me suis dit : mon compte est bon, ils vont nous abattre. J'avais récupéré un peu, je me sentais capable de repartir. J'ai dit aux copains, nous étions une quinzaine : si on ne fait rien, ils vont nous massacrer, foutu pour foutu, il faut tenter le coup… Nous nous sommes mis à courir, ça a crépité de tous les côtés, je sentais les balles qui me frôlaient les oreilles. J'ai été arrêté par des kapos polonais qui nous flanquaient des coups de matraque sur la tête. J'ai perdu connaissance ; j'ai eu l'impression que mon cerveau éclatait, et puis, plus rien… À un moment j'ai réussi à me lever et j'ai aperçu de l'autre côté le professeur Robert Waitz, un agrégé de médecine de Strasbourg. C'était un médecin de renommée internationale, un des rares déportés que les SS respectaient. J'ai vu qu'il regardait dans ma direction ; je lui ai fait signe, j'avais compris qu'il allait essayer de me tirer de là. Je l'ai vu parler à un SS, celui-ci a eu un mouvement d'acquiescement, puis Waitz s'est approché du barrage qui était gardé par les SS, il a tendu le bras. Ce geste s'adressait à moi ; j'allais sortir de ce petit coin où j'étais confiné, destiné à la mort"
(5).
Finalement le train est arrivé… À Buchenwald. Jacques Zylbermine fait la connaissance de Marcel Paul qui le prend sous sa protection.
À la libération du camp, le 11 avril 1945, Jacques Zylbermine n'a pas 16 ans. Il réside actuellement à Paris et ne cesse de témoigner des horreurs de la déportation auprès des jeunes, et les accompagne en Pologne pour leur faire visiter Auschwitz.
Autres témoignages
Témoignage de Georges Cerf concernant Jacques Feldbau
Jacques Feldbau, né à Strasbourg en 1914, reçu à l'agrégation de mathématiques en 1938, publia dès avant la deuxième guerre mondiale des travaux très originaux sur la classification et l'homotypie des espaces fibrés. Il était aussi pianiste et grand sportif (il fut champion universitaire de brasse papillon). Il participe à la campagne de 1940 dans l'aviation puis est nommé professeur agrégé au lycée de Châteauroux mais rapidement démis de ses fonctions suite aux dispositions prises par le gouvernement de Vichy contre les Juifs. Il se rend à Clermont-Ferrand où il est arrêté le 25 juin 1943 et conduit en prison.
"Il y trouve le docteur Waitz que l'habitude de la lutte clandestine a préparé à ces dures épreuves. Au bout de trois semaines, tous ensemble ils sont transférés à la prison de Moulins où ils resteront deux mois et demi. Le moral n'est pas très bon. Pour le remonter, le docteur Waitz organise une petite université populaire. Il y a là des étudiants, un séminariste, un paysan qui parlera de la culture du blé, un ouvrier communiste de chez Michelin traitera du caoutchouc. Feldbau s'occupe d'abord d'astronomie et de jeux mathématiques et, naturellement, fait des conférences de topologie. Il sait admirablement se mettre à la portée de ses auditeurs divers et les intéresse à ces questions difficiles"
(6).
Jacques Feldbau est déporté à Auschwitz-Monowitz par le convoi N° 60 dans lequel se trouvait aussi Robert Waitz.
"On le place dans un kommando
de transport et tout de suite il en souffre horriblement, plus que les autres. Heureusement qu'en décembre, après de multiples efforts, le docteur Waitz, providence pour ses camarades de misère, parvient à le faire accepter comme secrétaire de bloc de chirurgie. Immédiatement il reprend. Il est mieux nourri et se fatigue moins… Du matin au soir, il est assis à l'entrée de l'infirmerie, à une petite table. La paperasserie est considérable… S'il tient ses papiers administratifs
avec autant de soin, c'est avant tout pour être utile à l'organisation clandestine que dirige le docteur Waitz, qui parvient à ruser, non sans risques, avec la terrible sélection
: c'est ainsi que, sans qu'ils s'en doutent, de nombreux condamnés sont sauvés"
(6).
Lors de l'évacuation du camp
"Jacques Feldbau qui pense très peu à sa situation personnelle se laisse séparer du docteur Waitz et part avec un groupe de ses camarades pour une terrible odyssée qui devait se terminer tragiquement
au camp de Ganacker en Bavière"
(6).
En effet, Jacques Feldbau mourra d'épuisement dans ce camp, une annexe du camp de Flossenburg, le 22 avril 1945, deux semaines avant la fin de la guerre.
Témoignage de Jean Samuel
(1922-2011) Néà Wasselone, Jean Samuel, étudiant en pharmacie, est arrêté par la Gestapo en mars 1944 à Dausse, un petit village du Sud-Ouest près de Villeneuve-sur-Lot, où sa famille s'était réfugiée. Il est déporté avec son père, sa mère, un frère et trois oncles dans le convoi N° 70 qui arriva à Auschwitz le 30 mars 1944. Il sera affecté dans le kommando où se trouvait le futur grand écrivain Primo Levi avec lequel il se lia d'amitié. Celui-ci lui donna le surnom de Pikolo.
"Parmi les hommes exceptionnels du camp, du moins aux yeux des détenus, surtout français et encore plus alsaciens, il y avait le docteur Waitz. Professeur de médecine à l'université de Strasbourg, il avait été arrêté comme résistant, et déporté comme Juif. À son arrivée, il avait été nommé responsable du
Krankenbau, l'hôpital pour détenus. Il passait ses journées à chercher comment nous aider, se promenant partout un thermomètre à la main, envoyait à l'infirmerie les
Häftlinge trop faibles, essayant de trouver des positions plus favorables à ceux qu'il connaissait. Et il tenait des statistiques secrètes des malades qui se déclaraient à Monowitz… C'était une feuille de température sur laquelle il avait dessiné la courbe du nombre de malades en traitement dans le
Krankenbau, un document important qu'il avait montré lors du procès de Nuremberg. Ces statistiques prouvaient l'existence d'une élimination systématique des plus faibles"
(7).
Après la guerre Jean Samuel retrouve sa mère, seule survivante des membres de sa famille déportés avec lui, et retourne à Wasselone pour y reprendre la pharmacie
de son père. Il rétablit le contact avec Primo Levi et ne cessera de témoigner de l'horreur du camp après la mort de ce dernier en 1978.
(1927-2011) Né à Paris d'un père d'origine polonaise et d'une mère d'origine russe, Sam Braun fut arrêté le 12 novembre 1943 à Clermont-Ferrand et déporté à Auschwitz - Monowitz le 7 décembre suivant dans le convoi N° 64 avec son père, sa mère et sa petite soeur. Ses parents et sa petite soeur furent gazés dès leur arrivée. Sam Braun, tatoué du matricule 167472, fut transféré à Auschwitz-Monowitz et affecté à un commando chargé de travaux de terrassement. Il relate ainsi sa rencontre avec Robert Waitz :
"Le bloc 10 dans lequel je couchais était très proche des deux blocs qui servaient de KB, de
Krankenbau, d'infirmerie. Nous étions séparés de ces deux blocs par des fils de fer barbelés, non électrifiés ceux-là. J'étais d'un côté du grillage et de l'autre se tenait un déporté avec une blouse sale, blanche initialement. Il m'a demandé mon âge en allemand. Je lui ai répondu comme j'ai pu, dans la même langue : dix-sept ans. Quand il s'est rendu compte que j'étais français, il m'a alors parlé dans ma langue et m'a demandé mon numéro matricule et le numéro de mon bloc. Je ne sais plus très bien comment çà s'est passé, j'ai complètement occulté ce document, mais je me suis retrouvé le lendemain matin au KB. Est-ce que le chef de bloc m'a appelé ? Je n'en sais rien, je ne m'en souviens pas. Je me suis retrouvé à l'infirmerie et ce médecin, car c'était un médecin, m'a gardé à peu près huit jours alors que je n'avais rien sinon une grande fatigue. Çà m'a fait un bien fou : plus besoin de se lever aux aurores, plus besoin d'aller travailler à la Buna. Je marchais librement dans l'"infirmerie" et, sitôt qu'un SS arrivait, je m'allongeais sur le lit le plus proche, même s'il était déjà occupé par un vrai malade celui-là ! Ce médecin était le docteur Robert Waitz, un homme formidable qui résistait à sa manière : il a accompli pour d'autres morts vivants ce qu'il a fait ce jour-là pour moi… Il m'a sauvé la vie…"
(8).
Sam Braun n'a été rapatrié en France qu'en juillet 1945 après avoir participé à la marche de la mort et séjourné plusieurs semaines dans un hôpital à Prague. À son retour il retrouve sa soeur et son frère à Clermont-Ferrand et entreprend par la suite ses études de médecine à Paris. Après de nombreuses années de silence Sam Braun décide de témoigner et de faire part de son travail de mémoire.
"Le travail de mémoire c'est l'utilisation du passé pour une réflexion sur le présent et une projection vers l'avenir"
(8).
Plan du trajet d’évacuation des camps d’Auschwitz : trajet à pied de Monowitz à Gleiwitz (68 km) ; trajet en train de Gleiwitz à Buchenwald.
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Témoignage du Docteur Daniel Giroux
(reproduit dans une allocution de M. Marcel Paul)
"J'ai connu Waitz à Monowitz-Buna à mon arrivée là-bas le 23 novembre 1944. J'étais du convoi des Vosgiens, d'opinions, de confessions diverses. Nous venions de Dachau. Dès mon premier contact avec Waitz, j'ai compris qu'il appartenait à l'organisation clandestine du camp et qu'il avait des liaisons sûres ; il était parfaitement informé de l'évolution des hostilités. Par son autorité morale et intellectuelle, il s'était imposé même aux S.S. qui, dans une certaine mesure, le respectaient… C'est ainsi que Waitz a fait reconnaître tout notre groupe comme inapte au travail et nous avons été dirigés sur des blocs fermés, rattachés au Revier. Cette mesure de dispense de travail a sauvé la vie à de nombreux Vosgiens… qui gardent une profonde reconnaissance à Waitz. De plus Waitz savait encourager, conseiller utilement et pratiquait systématiquement la solidarité" (9).
Dans son discours prononcé à Strasbourg lors de la cérémonie de remise du buste créé par le sculpteur François Cacheux (lui-même ancien déporté) à Robert Waitz le 11 janvier 1975, le professeur Jean Bernard déclarait :
"Ceux qui ont touché, même partiellement, même temporairement, les horreurs de cet univers meurtrier, mesurent les épreuves subies par Robert Waitz et sa grandeur. Constamment inspiré
par deux sentiments, la nécessité de maintenir la dignité de l'homme, l'amour du prochain, il n'a cessé de porter secours à ses compagnons de malheur, assumant tous les risques et quels risques pour aider"
(9)
Souvenirs du professeur Robert Waitz par Leon Stasiak
(1915-2000) Ancien prisonnier des camps de concentration d'Auschwitz-Monowitz (n°68677) et Buchenwald.
Przeglad lekarski (La Revue médicale), 1979, 36, n° 1. Varsovie - 1979 (traduit du polonais)
Le professeur Robert Waitz, né en 1900, ancien prisonnier du camp de concentration d'Auschwitz-Monowitz (n°157261), médecin, chercheur, membre du mouvement international des anciens combattants, homme noble, amical, bienveillant, dévoué envers les malades et les faibles, est décédé le 21 janvier 1978 à Strasbourg, une ville à laquelle il était lié depuis de nombreuses années. Cela vaut la peine de consacrer un article biographique précis et détaillé à Waitz. Il faut contribuer à faire perdurer sa mémoire ne serait-ce qu'à travers ces souvenirs esquissés.
Arrêté par la Gestapo en juillet 1943, il fut déporté au camp d'Auschwitz, quelques mois plus tard, en octobre, et détenu à Auschwitz III (Buna-Monowitz). Beaucoup d'anciens prisonniers, dans leurs témoignages sur le camp, ont évoqué la mémoire de Waitz. Ils soulignent tous qu'il a consacré toutes ses forces à aider les malades, qu'il a tout fait pour sauver des vies humaines.
Le professeur Robert Waitz considérait son travail à l'hôpital du camp avec une conscience et une gravité particulières. Il disait qu'il lui permettait d'oublier qu'il était prisonnier et qu'il se trouvait dans le pire de tous les camps. Il examinait les malades longuement et attentivement, leur posait différentes questions, discutait avec d'autres médecins et prenait son temps. Pour Waitz, un malade n'était pas un numéro mais un patient qui avait besoin de son aide, l'aide d'un homme qui agissait comme en liberté, comme si après avoir examiné un malade il était possible de lui administrer un traitement normal, de lui donner les bons médicaments ou de l'opérer comme il fallait.
Quelquefois on avait l'impression, même si Waitz ne voulait pas le reconnaître, que tout son art médical était emprisonné et entravé avec lui. Au début, je pensais qu'il ne connaissait pas encore les lois régissant le camp et qu'il ne se résignait pas au fait que le camp par principe rendait impossible des soins corrects, et qu'après un certain temps il comprendrait que, comme tous les autres, il était impuissant dans l'enfer d'Auschwitz. Mais il est resté aussi consciencieux et entêté jusqu'au bout, lorsqu'il apportait son aide aux malades pendant l'évacuation du camp à pied en janvier 1945. Waitz croyait avec raison qu'une discussion tranquille avec un prisonnier, un examen attentif, permettaient à un malade de résister, renforçait sa volonté de vivre, ce qui est important dans toute situation, particulièrement au camp.
Je me suis souvent demandé si le professeur Waitz qui examinait les malades avec autant d'attention, qui leur posait tant de questions, ne faisait pas cela aussi dans un but scientifique pour pouvoir utiliser son expérience et son observation du camp après la guerre et la victoire. Le camp, malheureusement, procurait beaucoup de matériel d'expérience, parce que les maladies trouvaient là des conditions particulièrement favorables pour attaquer frontalement l'organisme humain et se développer pleinement. Et effectivement, jusqu'aux dernières semaines de sa vie, le professeur Waitz est revenu sans cesse sur ses observations, ses réflexions, ses données statistiques sur la morbidité des prisonniers et l'influence destructrice de la détention au camp sur la vie et la santé des anciens prisonniers. Ses publications portaient précisément sur ces questions.
Il considérait son travail à l'hôpital comme une manière de lutter contre l'occupant pour la santé et la vie des prisonniers. Ce que le camp détruisait, il fallait le réparer par tous les moyens possibles. En se battant pour la santé, en apportant de l'aide aux prisonniers, il remplissait non seulement son devoir envers les malades, mais aussi envers lui-même en tant que médecin, envers les obligations morales qu'il honorait en décidant de consacrer ses forces et ses connaissances médicales.
Il était détenu au Krankenbau du camp d'Auschwitz III avec une équipe de gens qui travaillaient avec dévouement et faisaient tout ce qui était humainement possible pour sauver les prisonniers et s'opposer au cortège de la mort. Un prisonnier qui travaillait à l'hôpital du camp avait une chance de survivre, mais le professeur Waitz ne travaillait pas là pour survivre lui-même, mais pour aider les autres à survivre au camp. Avec un grand courage, sans tenir compte d'aucun risque, il a participé au sauvetage de prisonniers en les gardant illégalement à l'hôpital du camp, en rayant les noms de ceux qui n'étaient pas en état de travailler de la liste des malades. Je me souviens avec quel courage il a sauvé un prisonnier de notre camp, un pilote soviétique, d'un transfert disciplinaire à Flossenbiirg en lui faisant une piqûre qui a provoqué une forte de fièvre et l'a rendu inapte au transport (transportunfâhig), ce qui lui a sauvé la vie.
Toutes les actions d'aide illégale des prisonniers n'étaient possibles que parce ce que la grande solidarité et l'esprit de camaraderie qui régnaient dans l'équipe de médecins et d'auxiliaires permettaient de maintenir le secret. La SS répondait à toute action de ce genre de la même manière : elle condamnait à mort ceux qui en dépit des interdictions et du système concentrationnaire sauvaient la vie d'autres prisonniers.
Waitz ressentait une peine particulière lorsqu'il avait affaire à des prisonniers adolescents, qui n'étaient encore que de jeunes garçons, que le travail difficile et la faim rendaient malades et qui étaient battus et blessés. Beaucoup de ceux que le "Herr Doktor" Waitz avait aidés, qu'il avait réconfortés et à qui il avait donné la volonté de survivre, venaient le soir après le travail pour discuter même un bref instant. Savoir qu'ils avaient quelqu'un sur qui compter, qui traitait avec bienveillance ses camarades d'infortune, avait une incidence énorme sur le moral particulièrement pour des jeunes, des gens seuls, arrachés à leur famille, vivant en sachant ou en craignant que l'occupant ait tué toute leur famille dans le camp. Waitz maintenait le contact avec ses connaissances et ses amis. Le dimanche, si c'était possible, il allait dans différents blocs, où se trouvaient des gens qui étaient arrivés au camp dans le même convoi que lui. A tout hasard, il emportait avec lui une poignée de comprimés, mais il disait toujours que du pain lui aurait été plus utile.
En 1944, les usines 1G Farben "Buna", où travaillaient les prisonniers d'Auschwitz III, ont été bombardés par l'aviation alliée. Notre camp était situé très près de ces usines, si bien que les avions volaient au-dessus de nous et que les bombes tombaient non loin de nous. Pendant une alerte aérienne, j'ai aperçu à l'extrémité d'une baraque Waitz, qui était agenouillé et s'appuyait sur le sol avec les mains. Je ne pouvais pas m'expliquer cela, mais Waitz, comme nous tous, n'éprouvait pas de peur à cause du bombardement. Chacun d'entre nous voyait et ressentait dans ce bombardement en plein jour, dans un ciel calme, le début de la fin du Troisième Reich. Nous désirions que ces attaques aériennes frappent le Troisième Reich le plus durement possible même s'il devait y avoir des victimes parmi nous. Je me suis approché de Robert Waitz et je lui ai demandé s'il se sentait mal. Il a rougi et s'est levé. Il s'est avéré qu'il avait pris avec lui le microscope, l'acquisition la plus importante de notre hôpital, et qu'en le couvrant avec son corps, il voulait éviter qu'il soit abîmé ou détruit à cause
du bombardement. J'ai vu qu'il était un peu troublé, parce qu'il ne voulait pas que quelqu'un s'aperçoive qu'il protégeait le microscope de cette manière.
Le professeur Waitz avec son microscope en 1955. Il obtiendra
en 1961 une chaise d'Hématologie créée pour lui à l'Université
de Strasbourg (Photo Carabin). |
Après la Libération le professeur Waitz, fondateur et directeur du Centre de Transfusion du Sang et de l'Institut d'Hématologie de Strasbourg, était en contact étroit, amical et scientifique avec l'Institut d'Hématologie de Varsovie. Il faisait partager ses connaissances et son expérience, dommit des conférences scientifiques, attribuait des bourses et contribuait de cette manière à la formation de nos cadres dans le Centre dont il était directeur.
Les autorités de la République Française et les plus hautes instances scientifiques de son pays ont décemé au professeur Waitz des décorations élevées et des médailles pour ses éminents travaux scientifiques, son travail au sein du service public de la santé, sa participation active et son rôle dirigeant dans la Résistance dans la France occupée, son comportement modèle et courageux dans les camps de concentration hitlériens (Auschwitz et Buchenwald après l'évacuation).
Pendant plusieurs années, il a dirigé le Comité International d'Auschwitz. Il jouissait d'une grande autorité parmi les anciens prisonniers. Avisé et patient, il ne bornait jamais la discussion, il n'essayait pas d'imposer ses conceptions et son point de vue dans le règlement des questions controversées lorsqu'il en arrivait.
Un homme de savoir et d'expérience, avec une grande autorité morale, nous a quittés, un homme que respectaient profondément ceux qui le connaissaient.
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Waitz Robert, Auschwitz III (Monowitz), De l'Université aux Camps de Concentration, Témoignages strasbourgeois ; Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1996, p. 467-499.
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Wellers Georges, Waitz Robert, "Recherches sur la dénutrition prolongée dans les camps de déportation" ; Revue Canadienne de Biologie, 1947, 6 (2) : 264-286.
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Knoller Freddie, Vienna, Paris, Auschwitz, Desperate Journey ; London, Metro Publishing Ltd, 2002.
- Palant Charles, Je crois au matin, Collection Témoignages de la Shoah, Paris, éd. Le Manuscrit, 2009.
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Weill C., "D'Auschwitz à Buchenwald, la marche des morts-vivants, Dix-huit jours d'un enfer à l'autre : témoignage d'un survivant" ; Le Nouvel Observateur, 1995, 9-15 février.
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Cerf Georges, "Allocution prononcée le 5 juin 1947 à l'occasion
de l'inauguration de la salle J. Feldbau de l'Institut de mathématiques de Strasbourg" ; Gazette des Mathématiques, 1995, 64 : 23-28.
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Samuel Jean, Dreyfus Jean-Marc, Il m'appelait Pikolo, Un compagnon de Primo Levi raconte ; Paris, éd. Robert Laffont, 2007.
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Braun Sam, Personne ne m'aurait cru, alors je me suis tu, Entretien avec Stéphane Guinoiseau, Paris, éd. Albin Michel, 2008.
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Le buste de Robert Waitz, Recueil des discours prononcés lors de la cérémonie de remise de son buste à Robert Waitz, le 11 janvier 1975 à Strasbourg, Imprimerie et clicherie du Centre de transfusion sanguine de Strasbourg, 1975.