Depuis lors, la réputation de ce travailleur infatigable s'est imposé à tous ceux, lecteurs ou spécialistes qui s'interéssaient au domaine de la kabale .
J'ai parlé de "son Zohar "(1981) pour souligner de quelle passion, Charles s'était pris pour ce grand livre, pour sa traduction à laquelle il avait consacré son existence. Ecoutons-le parler, avec quelle fougue, de sa traduction :
"...nous avons été conquis par cet immense ouvrage. Nous avons commencé à le traduire, emporté par sa voix, soumis à sa lettre. Nous n'avons pu nous soustraire à cette tâche que le livre lui-même nous a imposée." (2)Plus loin, il précise dans quel esprit il a traduit cet ouvrage :
"Le souci majeur qui a inspiré notre traduction a été la fidélité appliquée et rigoureuse au texte araméen original." (3)Ceux qui ont lu sa traduction, savent combien, il a été fidèle à ce programme.Combien sa traduction a fait passer dans la langue française ce texte dfficile du treizième siècle, dans un effort incessant pour trouver le mot juste, n'hésistant pas pour cela à ressuciter des termes anciens ou même à en forger de nouveaux . Écoutons-le encore :
"Cette traduction voudrait-être considérée plutôt comme un appel conviant le lecteur à se mettre à son tour au dur labeur qu'implique l' activité traduisante." (4) .Mais Charles Mopsik n'a pas seulement été un traducteur, il a été aussi un polémiste. Le numéro 1 de PARDES (1985) s'ouvrait avec un article signé par Charles Mopsik et Eric Smilevitch intitulé Observations sur l'œuvre de Gershom Scholem. Pour la première fois en France, on osait s'en prendre à la figure immense de Gershom Scholem . Deux point étaient abordés dans l'article : le caractère prétendument "gnostique"de la cabale et la nature néo-platoniciene de Eyn Sof... Avec conviction et en citant les textes, les auteurs s'en prennent au comparatisme de Scholem qui l'ont conduit à des conclusions fragiles .Qu'elle soit seulement, c'est notre voeu, un langage , comme le dit Emmanuel Levinas : "qui par-delà les significations, sait faire signe" Si pouvait s'y faire entendre comme un lointain murmure, comme un écho tenu, le désir de passage, l'appel du franchissement, notre tâche n'aura pas été vaine… " (5)
Il reprend en 1990 à l'occasion de la parution du livre de Moshé Idel : Kabbalah, New Perspectives et de la polémique qui s'ensuivit avec Y. Tishby sa discussion avec Scholem, ses interrogations sur le gnosticisme.
Il écrit à propos de la tension entre la Halakha (jurisprudence religieuse) et une tendance de la cabale à l'antinomisme, les lignes suivantes qu témoignent de toute sa profondeur :
" Il est devenu nécessaire de reconsidérer la nature normative de la Halakha elle-même : la Loi juive ne recèle-t-elle pas intrinsèquement une sorte de puissance antinomiste, anti-conformiste, voire contraire à l'ordre établi dans une société ou une communauté qui a adopté cette même Loi comme sa norme ? Autrement dit, sont-ce les hommes maîtres en cette Loi qui, nourrissant intérieurement des arrières-pensées antinomistes, trouvèrent à les exprimer de façon détournée ou ambigüe, dans l'ésotérisme de la cabale, où bien plutôt n'est-ce pas la contrainte logique de la Loi, ses contradictions internes, ses complexes sémantiques non maîtrisés totalement et définitivement par la pensée juridique, qui contiennent, sous la forme d'une matière brute, des forces transgressives que l'on pourrait, pour accentuer le paradoxe, dénommer forces de transgression orthodoxes. Il ne s'agit pas de tendances hérétiques, ni transgressives au sens courant de ces mots. Car ces tendances sont propulsées par la mécanique naturelle de la Loi où elles s'enracinent et où elles naissent. Ce ne sont pas les hommes qui se révoltent contre la Loi révélée, c'est elle qui incite les hommes à la contredire, parce qu'elle est elle-même contradictoire."
Plus tard, Charles Mopsik a remis ces problèmes au net, en particulier en ce qui concerne l'influence du néo-platonisme sur la cabale, sujet sur lequel, il est revenu à plusieurs reprises et qu'il a traité grâce à son immense érudition dans ce domaine, évoquant aussi bien le néo-platoniciens grecs que les philosophes arabes. Il n'a cessé de mettre en question les jugements hâtifs, c'est ainsi qu'en 1998, il discutait de l'ancienneté du Zohar avec Y . Liebes dans le second volume de la revue Kabbalah, non par amour de la polémique, mais par souci d'établir la vérité de ce qu'il est permis d'avancer .
Il est un autre domaine où Charles Mopsik,s'est investi , c'est celui de la relation conjugale et de son rapport au judaïsme . Depuis sa Lettre de Sainteté (1986) (elle a été son sujet de thèse) qui portait comme sous-titre Le secret de la relation entre l'homme et la femme dans la cabale (1986) jusqu'à son livre posthume le Le sexe des anges, aléas de la différence sexuelle dans la cabale en passant par de nombreux articles concernant ce sujet. On ne peut mieux exprimer sa pensée là-dessus qu'en citant ses propres paroles :
" Pour arracher la sexualité aux discours qui d'ordinaire la régissent et en faire une pièce essentielle de la représentation du divin et d'un accès à lui, il a fallu tout l' édifice de l'ésotérisme juif qui s'attache à retenir toute manifestation humaine, non seulement de l'esprit mais aussi celle du corps, de ses passions et de ses désirs, à l'intérieur du domaine où rayonne la lumière divine. C'est pourquoi aussi la différence sexuelle, la dualité de l'humain, en homme et femme, traduit et répète deux aspects inhérents à la divinité, le masculin et le féminin, qu'il appartient aux justes d'unir et dont les noces infinies scandent les grands moments de la vie du Nom par lequel Dieu est appelé, et de sa révélation dans l'exil d'Israël, en attente de la Rédemption. Fécondité encore des épousailles en Dieu de ses attributs amants : engendrer fils et fille n'est ce pas se faire image de son Créateur, plus authentiquement et par-delà le tragique terrestre de l'imitatio Dei où par la mort surtout l'homme accède à un niveau d'être plus sublime " (6).
En 1989 , il publie la traduction du Livre hébreu d'Hénoch ou Livre des Palais. Si l'on veut rendre compte du travail titanesque de Charles Mopsik, il faut considéerer cette oeuvre. Sur un volume de 415 pages, la traduction du traité comporte 109 pages... Celles-ci se trouvent insérées entre un introduction de 91 pages et des notes afférentes aux chapitre de 216 pages ! Autrement dit, Charles a réussi dans son ouvrage à traiter de tout, ou prou, ce qui touche à l'angéologie juive depuis l'apocalyptique jusqu'aux cabalistes et aux hassidim en abordant la figure de Hénoch métamorphosé en Metatron . Ainsi qu'il l'a écrit lui -même :
"Le livre hébreu d 'Hénoch peut-être lu à deux niveaux : comme une initiation théorique à la connaisance du monde angélique et comme un guide pour participer concrètement à la vie des puissances célestes au moyen de l'invocation des noms mystérieux ." (7).
Dans sa Cabale de 1988, il explique que :
"l''essentiel de la cabale est constitué d'une théosophie, doctrine concernant la nature du divin, à partir de laquelle des clés sont forgées pour accéder à une connaisance totale du monde : de l'homme aussi bien que de la nature, en vue d'agir favorablement sur eux . C'est la théurgie, ce qui se passe derrière les phénoménes naturels, a leurs racine non manifestées dans le monde naturel . " (8)
Plus tard (Les Grands Textes de la Cabbale, les rites qui font Dieu - 1993) après avoir discuté des définitions de E.Durkheim et de M. Mauss, : il écrira :
" Nous réserverons le mot magie aux actes ayant un visée surnaturelle qui sont acomplis dans un but étranger aux préocupation et aux valeurs de la religion instituée. Nous destinerons le mot théurgie aux actes entrant ans le cadre de cette religion et qui sont accomplis en fonction d'un systèe de pensée élaboré prétendant expliquer au moins partiellement leur mode d'efficience. "
Il s'attache aussi dans la Cabale à définir les sefiroth :
" Pour les cabalistes, il existe dix médiations ou intermondes, dénommées sefirot ,elles constituent un pont reliant deux rives séparées par un abîme; sur une rive se trouve l'inconnu, l'inaccessible, l'indicible En-Sof sans nom . Sur l'autre rive, il y a le cosmos dont notre propre univers n'est qu'une parcelle. Les dix sefirot sont les fils qui permettent le passage d'un bord du gouffre à l'autre (…) nature essentielle du cabalisme ce qui fait son centre de gravité : la connaisance de la strucure médiatrice entre l'ici-bas et l'au-delà mystérieux. "(9)
" Le Dieu qui se révèle au Sinaï et aux prophètes et qui crée le monde ,et qui agit das l'histoire n'est pas l' Unique caché mais ses émanations ou ses fomes manifestées. Toute intevention divine est théophanie et toute théophanie , en méme temps qu'elle manifeste un aspect de l'absolu sans nom, l'entoure d'une enveloppe qui le voile et le dissimule...
"Toute forme est la manifestation limitée de ce qui est et cette limite produite par le passage par la forme disimule la plénitude de ce qui est . Le sefirot révèlent et ne révèlent pas l'insondable Eyn Sof."(10)
Il voit le Zohar sur les Lamentations comme une réponse implicite à la théologie chétienne :
Ce ne sont pas les fautes du peuple juif qui lui valent cette condition historique désastreuse mais la méchanceté du Serpent et de son compagnon Samaël, ange tutélaire du monde chrétien. Si une telle injustice a pu être commise , c'est que le Père a disparu dans les lointains et que la Mère est impuissante, qu'elle s'est éclipsée lors du procès que l'Accusateur a intenté à ses enfants. Ce n'est pas que Dieu a accepté le verdict de condamnation, c'est que les choses se sont déroulées en son absence ; alors qu'il était lui- même séparé en deux moitiés qui ont cessé de se rejoindre." (11)
"Certes la Mère est présentée comme une figure d'intercession en faveur de ses enfants, mais d'une part, cette Mère est une figure de la divinité et, non pas comme dans le christianisme, un personnage humain élevé au rang de sainte et d'autre part, cette intercession appartient au registre de la mémoire, elle n 'a plus aucune actualité. Par ailleurs, Jésus est censé avoir souffert sur la croix à la place de l'humanité par la faute du premier homme, dont il l'aurait pour toujours purifiée (...) Au lieu de quoi, la Mère interceptait régulièrement dans les hauteurs célestes les "coups de fouet" du Père et recevait à la place d'Israël les châtiments qu'ils avaient mérité. Cette passion de la mère, bien représentée dans le Zohar, n' a aucun caracrtère évènementiel. Alors que dans le christianisme, l'essentiel est considéré comme se jouant dans la relation père-fils, dans le Zohar, l'essentiel se joue dans le rapport mère-fils ou plutôt dans une relation triangulaire entre père, mère et fils où la figure maternelle est située dans le plan divin alors que celle du fils se situe dans celui de l'histoire humaine. " (12)
C'est là aussi qu'il revient sur le problème irritant de la relation entre Eyn Sof et les sefiroth, il y est revenu dans toute son oeuvre ; il écrit :
" Si le principe premier demeure insondable et inconnu, n'a pas de nom propre et échapppe à la saisie intellectuelle, ce caractère répercute de facon essentielle et déterminante sur l'ensemble de ses émanations et de ses manifestations. Celles-ci sont dans leur fond constitutif, parfaitement mystérieuses et inaccessibles ; ce qui se révèle ce n'est jamais elles en tant que telles, mais leur non-manfestation, le fait que jamais elle ne se révèlent. Les dix sefirot ne sont pas des émanations de l'Inconnu, au sens où celui-ci se mettrait à rayonner une lumière à partir de son obscurité ."
La seule image que le Zohar fournit est celle de la gravure (Zohar 17a) :
"c'est en creux ou comme des creux que les sefirot s'inscrivent au tout début de l'émanation. Elles ne surgissent pas hors du Néant divin : elles y sont des trous, des manques. Elles ne manifestent pas un Dieu inconnaissable , elles délimitent les strates de son inconnaissance. Elles désignent une à une notre ignorance en donnant une forme à l'Inconnu . C'est pourquoi, elles ne sont pas objet de pensée pour les cabalistes et encore moins des concepts. Elles sont les dix manifestations de notre ignorance au sujet de l'Infini. De la première à la dernière, elles décrivent l'étendue du néant de notre savoir en même temps que du Néant divin. Connaître ces dix émanations, c'est connaître précisément les limites de notre connaissance relativement à la divinité (…) Sonder le fond obscur de l'Infini dans le creuset par où il échappe à notre entendement . Les sefirot et bien sûr, les figures qui les représentent dans le Zohar, constituent donc le butoir de notre désir de connaître". (13)
Charles Mopsik ainsi nous laisse entendre que toute science s'achève en nescience. Il a occupé dans les études juives, une place qui transcende les catégories habituelles . Peut-être la meilleure illustration en est t-elle celle de Métatron. Dans le midrash, Metatron est figuré comme un cordonnier qui coud des semelles des chaussures. On dit de lui qu'à chaque couture, par laquelle il reliait la terre au ciel , il s'exclamait : " Béni soit le nom de la gloire de son Royaume " Je pense que l'œuvre de Charles Mopsik, tenait par bien des côtés, de cette pratique là.