Décédé le 13 jullet 1952, celui qui fut député
de Mulhouse, puis de Castres fut surtout un artisan de l'unité européenne.
Portrait de l'égal, méconnu de Schuman ou de Monnet.
Nulle rue, nul lieu, nul édifice ne porte son nom. Au moment où
l'Europe semble prendre un nouvel envol, la mémoire collective se souvient
tant bien que mal (et plutôt mal que bien) de Robert Schuman et de Jean
Monnet ; presque jamais d'Aristide Briand pourtant illustre pionnier de l'esprit
européen. Silence total pour Salomon Grumbach qui fut pourtant, entre
les deux guerres et après 1945, l'un des hommes politiques français
les plus connus au plan international.
L'homme cumulait tous les handicaps : il était alsacien, juif et socialiste
(ce dernier terme recouvrant une réalité bien différente
de celle que nous connaissons aujourd'hui).
Salomon Grumbach naît à Hattstatt le 6 janvier 1884 dans le "Kreis"
de Guebwiller, l'Alsace depuis 1870 étant annexée à l'Empire
allemand. Dans l'une de ces familles israélites des campagnes alsaciennes
si bien décrites par Freddy Raphaël, le petit Salomon vit une
enfance modeste et studieuse : son père est marchand de
fromages, sa mère modiste, plus vraisemblablement couturière.
Il sera d'entrée parfaitement bilingue et également imprégné
de cultures française et allemande.
Cette dualité, on la retrouvera dans son attachement à l'Alsace
et à la France. A cette dernière le lient son amour de la démocratie
et sa conviction socialiste toute dressée contre le militarisme prussien.
LE TRIBUN
"Vous cherchez à réconcilier Bakounine et Marx. Pauvre Bakounine ! Pauvre Marx ! Je connais les oeuvres de Bakounine et j'ai trouvé dans ses livres beaucoup plus de clarté que je n'en ai trouvé dans votre discours". "J'ai ici une lettre qui porte deux signatures inoubliables: celles de Rosa Luxemburg et de Kart Liebknecht." Une voix à l'extrême gauche : "Ils sont morts" Grumbach : "Vous, vous êtes bien vivant, mais vous n'êtes pas plus intelligent pour cela !" "Je suis moi aussi, depuis 35 ans dans l'action, j'en ai connu d'autres défaites, d'autres défaillances, j'en ai connu des batailles perdues sans jamais avoir eu le sentiment que pour cette raison il fallait créer je ne sais quelle déception, je ne sais quel désespoir et la vie continuait..." Le président (du congrès) : "Je suis obligé de rappeler à Grumbach qu'il faut qu'il termine". Grumbach : "Il faut que ce congrès j'ai pris quatre minutes de trop ? Je les déduirai au moment où j'entrerai su ciel, et j'irai quatre minutes en enfer !" "Je ne dirai pas avec Bracke "Vive les difficultés !" Je dirai "Nous saurons comprendre les difficultés, les vaincre, aller en avant". Et j'exprime seulement le regret de ne pas être absolument sûr de pouvoir encore être là dans un siècle, pour voir quel sera le Congrès du Parti socialiste à ce moment !" (Grumbach au congrès de Marseille, 1937) |
A 18 ans, il adhère au Parti socialiste, le SPD allemand de l'époque,
celui de Bebel, Kautsky, Rosa Luxemburg, Liebknecht ; autrement dit un parti
clairement révolutionnaire. Son premier discours politique, à
l'âge de 20 ans, il le tient à Colmar contre le militarisme prussien.
En 1908, il s'installe à Paris. est le correspondant du journal du
SPD Vorwärts . Il devient l'un des spécialistes des problèmes
internationaux de l'Humanité de Jaurès qu'il admire et
qui l'apprécie Ses amis s'appellent Guesde, Marcel Sembat, Bracke-Desrousseaux,
Renaudel, Albert Thomas. II n'est pas encore l'un des hommes politiques européens
les plus connus; il est déjà l'une des signatures les plus lues
et les plus appréciées en raison notamment de sa remarquable
connaissance de la vie politique allemande. Or, depuis 1870, la France ne
cesse d'être fascinée par la "ligne bleue des Vosges",
rêve de l'Alsace-Lorraine ("N'en parlez jamais, pensez-y toujours").
Le 5 juillet 1912, un article de Grumbach intitulé En Alsace-Lorraine
: un bilan paraît dans l'Humanité. Il fait sensation.
En effet, le natif de Hattstatt s'en prend vigoureusement aux milieux cléricaux
alsaciens qui se sont ralliés à la prussianisation de l'Alsace
pour mieux combattre le socialisme.
II est déjà un inlassable artisan de la solidarité et
de l'amitié franco-allemandes et comme Jaurès, dont il est l'ami,
il y avait à cette époque, plus que du mérite. Août
1914 : c'est la guerre. Salomon Grumbach est obligé de quitter Paris,
étant considéré comme citoyen allemand. Mais il refuse
de porter les armes contre la France, se retire en Suisse où malade
mais déterminé il assure la correspondance de l'Humanité.
Au lendemain de !a guerre, l'Alsace étant à nouveau française.
Grumbach représente le Haut-Rhin au congrès de Tours de 1920
qui va consacrer la sciession mouvement socialiste et ouvrier France. C'est
à cette occasion qu'il s'affirme comme l'un orateurs les plus remarquables
de l'époque. N'ayant aucune prédisposition pour la langue de
bois, il déclare au cours des débats : "Nous nous sommes
opposés de toute notre force à l'adhésion sans réserve
(Ndlr : à l'Internationale communiste), nous nous sommes opposés
à devenir des esclaves de Moscou". L'on comprend aisément
que les partisans des thèses léninistes l'aient, par la suite,
empêché de reprendre une nouvelle fois la parole, ce qui
n'était pas facile.
Candidat dans le Haut-Rhin aux législatives de 1919 et 1924, Grumbach
est battu. En 1928, dans la circonscription de Mulhouse-ville, il est élu
au scrutin uninominal, au second tour. Immédiatement, il devient vice-président
de la Commission des affaires étrangères.
Son itinéraire international au plus haut niveau peut commencer ; même
sa défaite à Mulhouse face à une coalition de la droite
classique et des autonomistes ne le freinera pas (1932) et son parti, conscient
de la montée de l'autonomisme en Alsace qui lui enlève toute
chance d'être réélu, l'enverra conquérir de haute
lutte en 1936 un siège à Castres (Tarn).
Participant par ailleurs à toutes les conférences internationales
socialistes, Grumbach qui, entre-temps est entré au comité directeur
de la SFIO, fait partie dès 1934 de la délégation française
à la SDN (la Société des Nations) dont il suivra les travaux
jusqu'à la dernière assemblée plénière en
1939.
Cette année-là, lui habituellement si disert et si écouté
sur la situation politique allemande, sur la politique extérieure,
monte à la tribune du congrès de son parti pour dire en substance
: "J'aurais tellement de choses intéressantes à dire
sur la situation intérieure du parti, sur sa politique intérieure,
sur la politique extérieure que je renonce a prendre la parole
". Grumbach sait que le temps des discours est révolu.
Deux ans auparavant, au congrès de Marseille (1937), il s'était
écrié : "que deviendraient nos libertés, si nous
laissions à Hitler et à Mussolini le terrain libre ? Vous ne voulez
pas de défense nationale ? Laissez-les donc entrer en France et vous
verrez ce qui restera !"
Anti-munichois, il sera par la suite l'un des rares parlementaires français
à s'embarquer sur le paquebot Massilia pour aller organiser la résistance
en Afrique du Nord En 1940, il est avec Vincent Auriol, Max Dormoy et Jules
Moch, parmi les premiers parlementaires arrêtés et emprisonnés
par le gouvernement de Vichy. Après huit mois de prison, il est mis en
résidence forcée et surveillée à partir de 1941
à Mende (Lozère). Dès l'entrée des Allemands en
zone sud, il s'évade et rejoint avec sa femme le maquis des Cévennes.
En février 1943, sur ordre de Vichy, il est à nouveau arrêté
mais les gendarmes français qui sont des amis, le relâchent. Un
an après c'est à la Gestapo et aux SS venus le chercher dans la
montagne qu'il échappe de justesse.