Une
des figures les plus prestigieuses du judaïsme alsacien au moyen-âge
fut, sans aucun doute, Joseph fils de Gershon Loans, plus connu sous le nom
de Josselmann de Rosheim.
La famille vivait à Endingen dans l'État de Bade, où trois
de ses oncles furent massacrés en 1470 sous l'accusation de meurtre rituel.
Lors de l'expulsion des Juifs d'Endigen, la famille Loans s'installe à
Obernai, d'où elle s'enfuit en 1476 après les campagnes de pillage
de mercenaires suisses, puis à Haguenau en 1476. Est-ce là que
naquit leur fils Joseph qui sera le plus célèbre des chtadladim
d'Allemagne ?
Le Chtadlan était le porte-parole, le défenseur de sa communauté
auprès des autorités.
En 1507, les Juifs qui avaient été expulsés d'Obernai firent
appel à lui pour intercéder auprès des autorités
provinciales et de l'empereur afin de faire abroger le décret d'expulsion.
Ayant rempli sa mission avec succès, il fut nommé en 1510, avec
Rabbi Zadoc, parnass ou-manhig (président et chef) des Juifs de
Basse-Alsace.
C'est à Mittelbergheim que Josselmann s'établit comme commerçant
et comme prêteur d'argent. En 1514, les Juifs de Mittelbergheim furent
accusés de profanation d'hosties. Josselmann parvint à prouver
leur innocence. Il s'installa alors à Rosheim où il demeura jusqu'à
sa mort.
Pendant plus de quarante ans, Josselmann fut le défenseur de ses coreligionnaires
en Alsace, puis, de plus en plus, des Juifs de l'Empire. Il interviendra avec
beaucoup de courage auprès de Maximilien, puis auprès de son petit-fils
et successeur, Charles Quint.
En 1515 et 1516 il défendit devant Maximilien les Juifs d'Obernai menacés
d'expulsion, et lors de la guerre des paysans, il parvint à détourner
les révoltés de Rosheim en échange d'une rançon
de 80 guilders.
Lors du couronnement de Charles Quint en 1520, Josselmann obtint des lettres
de protection pour les Juifs de l'empire, que l'empereur renouvella dix ans
plus tard.
Dès lors il fut considéré comme le Parnass ou Manhig
(chef) du judaïsme de l'empire, et se présenta comme le Regierer des Juifs. On l'appelait à intervenir à tous moments pour écarter
une menace d'expulsion ou pour combattre de fausses accusations de meurtre rituel
ou de profanation d'hosties.
C'est ainsi qu'on le vit en Brabant défendre les Juifs d'Allemagne, en
Bohème pour les Juifs de Prague, en 1537 pour défendre les Juifs
de Saxonie menacés d'expulsion.
Comme gouverneur ("Regierer") des Juifs, Josselman élabora
un règlement concernant le commerce d'argent.
A Augsbourg, en présence de l'Empereur, il participa à une disputation
avec un apostat Antonius Margarita, auteur de l'ouvrage antisémite Der
gantz juedisch Glaub (1530). Il triompha de son adversaire, qui dut quitter
la ville.
Parler de toutes les interventions de Josselmann de Rosheim dépasserait
le cadre de cette notices : on citera par exemple les interventions lors d'accusations
de meurtres rituels (Haguenau ; Hongrie en 1529 ; Silésie en 1535 ; Wuerzburg
en 1544), ou de profanation d'hosties (martyrs de Brandebourg en 1539).
Josselmann de Rosheim était l'auteur d'un ouvrage,
le SEFER HA-MINKNA, dans lequel il s'inspirait surtout
du Derekh Emunah d'Abraham Bibago, en sautant les passages kabbalistiques.
Toutefois il collectionnait pour lui-même des fragment de textes de
la kabbale, et avait même conçu le dessein d'écrire
et de reproduire le Ginnat Egoz de Josef Gikatilia. L'ouvrage de Josselmann a été édité en 1970 par Hava Fraenkel -Golschmidt chez les Mekize Nirdamim. Merci au Professeur Roland Goetschel de nous avoir communiqué ces informations. |
Pendant la guerre impériale contre les princes protestants, la Ligue
Smalkaldique, en 1546, il intervient au nom des Juifs, qui étaient persécutés
par les deux camps.
En 1548, il est à nouveau contraint de faire appel à l'Empereur
avec une plainte contre les villes d'Alsace.
Il est possible que Joseph de Rosheim ait été le débateur
juifs dans la controverse avec Calvin, relatée dans la publication de
ce dernier Ad quaestiones et obiecta Judaei cuiusdam Responsio.
Son intervention en faveur des Juifs de Colmar se poursuit jusqu'en 1551, lorsqu'à
la Diète impériale d'Augsburg il agit contre les sévères
restrictions imposées aux Juifs pour le prêt d'argent, et la menace
d'expulsion des duchés de Wuertemberg et de Bavière.
Ses dernières interventions concernèrent une fois de plus les
Juifs d'Alsace, quand il vint à l'aide de ceux de Dangolsheim et de Rosheim.
En 1543 il dut se défendre contre un pamphlet de Luther, Von den Juden
und ihrer Lüguen (Les Juifs et leurs mensonges).
Un an auparavant, il était parvenu au Reichtag à Ratisbonne, comme
représentant des Juifs de l'Empire germanique, à empêcher
la promulgation d'un édit destiné à leur interdire le commerce
de l'argent.
Il est difficile, dans ce cadre, de montrer combien les interventions de Josselmann
étaient dangereuses pour lui : traverser l'Allemagne, d'une cour à
l'autre, pour intervenir en faveur de ses coreligionnaires, c'était risquer
sa vie sur les routes, ou même auprès des personnages qu'il désirait
rencontrer.
Selon certains historiens, Josselman, en partant pour défendre ses frères,
portait sous ses habits de cour le sargueness, afin que s'il devait perdre
la vie, il soit enterré avec ses vêtements mortuaires.
Il mourut en 1554, à Rosheim selon la tradition. Mais il n'existe aucune
trace de sa tombe, car les pierres tombales du cimetière de Rosenwiller
ne subsistent qu'à partir du 18ème. A défaut
d'une stèle, l'histoire de cet homme exceptionnel s'est maintenue à
travers les siècles.
En 1954, la jeunesse juive de Strasbourg a célébré le quatrième
centenaire de sa mort. C'est la dernière fois que la synagogue de Rosheim
a connu une affluence extraordinaire. Mais n'était-ce pas un juste hommage
rendu à celui donna sa renommée à cette communauté
d'Alsace et à son cimetière de Rosenwiller ?
MEMOIRES DE JOSSELMANN DE ROSHEIM |