2. au grand rabbin Maurice LIBER, Paris

Le grand rabbin Liber a proposé à André Neher de prendre la direction d’une nouvelle institution encore à l'état de projet : une "école de liturgie" (1), destinée à la formation de chantres. André Neher décline cette offre ; c’est l’occasion pour lui de préciser le point où il se trouve.



Strasbourg, le 19 juillet 1946

Cher Monsieur le Grand Rabbin,

Je m’excuse de ne répondre qu’aujourd’hui aux offres que vous avez eu la bonté de me faire à Nancy. Veuillez trouver dans ces délais une preuve de l’intérêt que je porte à ces propositions : je n’ai pas voulu prendre de décision avant d’avoir réfléchi longuement et à tête reposée.

À vrai dire, ma délibération n’a pas encore abouti et il m’est pénible de devoir, aujourd’hui, refuser un poste que, dans quelques mois peut-être, j’accepterai avec joie, voire je solliciterai avec insistance.

Au centre de mes préoccupations se trouve, plus que jamais, mon travail de doctorat (2). Vous savez mieux que personne combien ces recherches exigent de patience, d’effort, mais aussi combien elles exaltent. Si j’ai conscience de la modestie de ma contribution, je pense du moins n’avoir pas le droit de me dérober à la tâche.

Or, j’ai à Strasbourg des professeurs qui me connaissent et qui m’encouragent, une documentation abondante, des possibilités idéales de faire besogne ; les vacances me procurent des loisirs et j’espère achever la thèse d’ici l’automne ; la soutenance pourrait se faire avant la fin de l’année… J’espère ! Mais il faut compter avec tant d’imprévus que les délais pourraient s’allonger… Et alors, si je devais, début octobre, être obligé de quitter Strasbourg pour assumer des fonctions exigeant – dans la période préparatoire au moins – la totalité de mon activité, que deviendrait ma thèse ? Abandonner un tel travail, même provisoirement, c’est s’en détacher pour longtemps.

Évidemment, le jour où la thèse sera faite, le problème se présentera sous un angle différent ; car peut-être serai-je accueilli par une École spécialisée de Paris plutôt que par une Faculté (où les sections d’histoire religieuse sont peu nombreuses). Ce jour-là, je serai sans doute heureux de trouver à Paris une occupation susceptible de se concilier avec une activité pédagogique ou scientifique dans une École. Mais nous n’en sommes pas encore là. Pour le moment, deux tendances s’affrontent en moi, l’une laïque, l’autre rabbinique. J’ai l’impression qu’elles finiront par se rejoindre. Mais actuellement, la distance qui les sépare m’oblige à choisir. Or, c’est dans le choix que réside la difficulté.

Je crois devoir m’engager plus profondément, jusqu’à conclusion de la thèse, dans la voie laïque, et c’est à contrecœur que je dois en conséquence décliner l’offre aimable que vous avez bien voulu me faire. Mais j’ai essayé de décrire ce que ce refus avait de vraiment provisoire.

Si, par suite de circonstances fortuites, vos propres projets devaient subir quelque retard, si la réorganisation des sections pédagogiques du rabbinat français ne devait se faire que l’hiver prochain, je vous serais reconnaissant de faire de nouveau appel à moi. Qui sait ? Mon initiative précédera peut-être la vôtre.


Je vous prie, cher Monsieur le Grand Rabbin, d’accepter l’expression de mon dévouement le plus respectueux et reconnaissant.

André Neher



Notes :
  1. Finalement, ce projet n’aboutira pas.
  2. André Neher travaille à ce moment d’arrache-pied à sa thèse de doctorat sur Amos, dont la mise au point lui prendra plus de temps qu’il ne le prévoit dans cette lettre, puisqu’elle ne sera achevée qu’en automne 1947, et soutenue en décembre de la même année.

© : A . S . I . J . A.  judaisme alsacien