Lettre écrite durant le voyage de noces d’André et Renée Neher à Celerina (Suisse).
Mes chers Papa et Maman,
J’entends ne pas me laisser limiter dans mes prérogatives si fraîches et intéressantes de chef de foyer, et je dispose ce soir d’un espace plus considérable et honorable que l’humble marge qu’avant-hier m’accorda ma jeune épouse. J’en profite pour vous dire toute la joie que nous a causé votre carte, reçue ce jour, et pour vous confirmer la plénitude de notre bonheur. Nous sommes gourmands et choyés comme des enfants ; les directeurs, les enfants et les hôtes du Kinderheim (1) nous entourent d’une sympathie chaude et cordiale ; la nature nous réserve des splendeurs miroitantes et diversifiées que nous cueillons avec toute la romantique naïveté dont vous nous savez capables. C’est un sentiment bien doux de vivre la réalité d’un rêve dans un cadre qui s’y prête si admirablement, dépouillé pour quelques jours des mille petits et grands tracas du quotidien. Nos soucis convergent dans le choix raffiné d’une tarte aux amandes ou d’une meringue, d’une promenade inexplorée ou d’un jeu puéril. Oui, nous jouons à la "dame" et au "monsieur" , tout en ressentant, avec un profond et intense frémissement, que ce jeu est d’un sérieux inouï, et que nous nous préparons ainsi et nous initions au rôle que la providence nous assigne dorénavant.
Renée vient de me lire par-dessus l’épaule et trouve que je suis bien grave. C’est vrai… La première fois, sans doute, dans ma vie où ma gravité naturelle se scelle entièrement dans un scintillement de joie et de bonheur.
Je vous embrasse de tout mon cœur débordant.
© : A . S . I . J . A. |