18. à Karl THIEME, Germersheim/Pfalz (Allemagne)

Karl Thieme œuvre à une meilleure compréhension entre juifs et chrétiens. Avec Gertrud Luckner (1), il a créé la revue de réflexion philosophico-théologique Freiburger Rundbrief, qui publie certains articles d’André Neher et des comptes-rendus de ses œuvres. En rapport épistolaire avec Karl Thieme et Gertrud Luckner, André Neher n’a cependant jamais voulu les rencontrer sur le sol allemand. Il participera avec eux, en 1958, à un important colloque théologique, mais en Suisse, à Bâle (2).


Strasbourg, le 5 juin 1955

Cher Monsieur,


[…] Tout en suivant avec beaucoup d’intérêt votre effort de compréhension judéo-chrétienne pour lequel je tiens tout spécialement à vous rendre hommage, à vous-même et à vos proches collaborateurs, je ne puis envisager de participer à votre réunion d’octobre.

J’étais parmi ceux qui, dès le lendemain de la Libération, étaient opposés à la reconstitution d’une communauté juive en Allemagne. L’évolution de ces dix dernières années n’a pas entamé ma conviction profonde que la résurrection morale et spirituelle de l’Allemagne ne peut et surtout ne doit jaillir que d’un travail intérieur accompli avec humilité et foi par les seuls Allemands, en dialogue avec eux-mêmes.

De plus, la fidélité au souvenir de mes frères morts entre 1933 et 1945 m’empêche d’envisager d’aller en Allemagne, si ce n’est pour un pèlerinage sur les lieux de la mort. Une réunion de travail, si utile vous puisse-t-elle paraître, ne me délie pas de mon vœu. Je suis prêt à l’envisager à Strasbourg (3) et je vous serais reconnaissant de réfléchir à cette possibilité (4).


Veuillez croire, cher Monsieur, à l’assurance de ma sympathie dévouée.

André Neher

Notes :
  1. Gertrud Luckner (1900-1995) a vécu à Fribourg, en Allemagne. C'était une travailleuse sociale chrétienne, qui avait participé à la résistance allemande contre le nazisme, sous les auspices de l'organisation Caritas. Arrêtée, en 1943, elle a été emprisonnée au camp de Ravensbrück. Après la guerre, elle a fondé la revue Freiburger Rundbrief en 1948, dans lequel était promue la cause du rapprochement entre juifs et chrétiens, pour laquelle elle œuvrait depuis toujours. En 1966, l'Institut Yad Vashem lui a décerné le titre de Juste parmi les Nations.
  2. Sur le refus d’André Neher d’aller en Allemagne et plus généralement son attitude à l’égard de l’Allemagne, cf. "Dimensions et limites du dialogue judéo-chrétien depuis 1945", in : L’existence juive. Solitude et affrontements, et "Non à l’Allemagne" (L’Arche, mars 1965).
  3. À plusieurs reprises, André Neher a reçu à Strasbourg des étudiants, des professeurs ou des penseurs allemands.
  4. Quelques années plus tard, André Neher, invité à donner une conférence à l’Université de Heidelberg par le Dr Gerhard Knauss, décline cette invitation dans une lettre qu’il lui écrit le 10 septembre 1961 :
    "[…] ma réponse doit être négative. Des raisons personnelles et des raisons de principe (les secondes plus importantes que les premières) m’empêchent en effet, psychologiquement et moralement, de franchir le pont de Kehl. Je crois devoir, dans la mesure où la prévision humaine est possible, exclure définitivement que je consente à ce pas. Plus on attend et plus on habite près de la frontière, plus difficile est la décision. Beaucoup d’éléments entrent en jeu pour motiver ma résolution. Je me suis déjà exprimé assez souvent là-dessus, ouvertement et publiquement, et mes amis en Allemagne m’ont témoigné chaque fois la plus grande compréhension. J’espère que vous aussi, ainsi que la Commission du Sénat de l’Université de Heidelberg, saurez respecter ma décision. Je reste prêt à tout moment à envisager une rencontre avec vos étudiants à Strasbourg même, dans le cadre de mon Institut de l’Université de Strasbourg, et à m’y entretenir avec eux de théologie juive et de la conception juive du monde. […]" (© Archives André Neher)

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