23. de Claude VIGÉE, Brandeis University (U.S.A.), à André Neher

Claude Vigée a initié une correspondance avec André Neher en 1955, marquant le début d’une amitié qui ira s’amplifiant. L’échange de leurs livres entre André Neher et Claude Vigée est un élément important de leurs rencontres intellectuelles, en dehors des conférences et des colloques auxquels tous deux participent. Ils se verront beaucoup plus souvent lorsque André Neher s’installera à Jérusalem, où Claude Vigée réside une grande partie de l’année. Comment mieux remercier André Neher de son Moïse et la vocation juive qu’en lui envoyant un poème ?


le 16 février 1957


Comment vous remercier, mon cher ami, pour ce livre admirable qu’à peine lu j’ai fait immédiatement circuler parmi tous mes amis de Brandeis, que mes étudiants se passent, et qui est en ce moment sur la table de Pierre Emmanuel, "professeur visiteur" du semestre en littérature comparée ? J’aimerais vous entretenir surtout de son premier chapitre et de sa conclusion, des liens si justes que vous établissez entre l’angoisse des intellectuels juifs déracinés du XXe siècle et l’absence de l’Être incarné dans la Loi. Vous dites la vérité du retour, la joie de la rosée, après les chemins du désert :

Le rubis de l’été
flambe dans la rosée :
sur nous la majesté
du monde s’est posée.

Comme l’espace enferme
et divulgue le jour,
dans la Parole germe
la gloire du retour.

Haute présence
o clarté sainte,
o verbe enfin concilié

Double silence
et simple étreinte,
o monde enfin sanctifié.


Il est temps, non seulement, que nous apprenions à penser la vérité du retour, mais à la vivre comme Moïse l’a connue, et comme son enseignement nous la transmet, balayant les théologies négatives qui nous entourent, répudiant surtout notre propre défaillance à affronter la Présence Réelle. Merci, cher ami, de nous donner cette nourriture qui nous fait renaître à nous-mêmes et nous fortifie tout en nous ravissant : car votre livre est très beau, l’écriture en lui est à la mesure de son exigence sacrée. Oui, je le sens, peu à peu nous reprenons pied sur la terre ferme – est-il un autre sens à la Terre Promise ? – et c’est à des guides comme vous que nous le devrons : vous êtes bien dans la lignée de celui que votre livre fait revivre, il y a entre vous des accointances, des relations intimes sans lesquelles votre intelligence du personnage demeurerait inexplicable. Vous vous souvenez de votre parenté ; la honte des autres Juifs, c’est qu’ils aient besoin de quelqu’un, et de quelques catastrophes, pour la leur rappeler. Mais telle est justement votre vocation : vous réveillez, comme un acolyte bienveillant de l’histoire. Redoutable complicité…


Croyez, mon cher Neher, à mon amitié reconnaissante.

Claude Vigée


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