Ève Mathis, Secrétaire générale de la société des Amis de Paul Claudel – et fidèle lectrice d’André Neher – l’a invité à entrer dans le Comité d’honneur de cette Société. C’est l’occasion pour André Neher, qui décline cette offre, d’exprimer ses réserves à l’égard de l’œuvre de Claudel concernant les Juifs.
Strasbourg, le 21 février 1958
Madame,
J’ai mis longtemps à répondre à votre aimable lettre du 7 janvier, mais croyez bien que ces délais m’étaient nécessaires pour pouvoir vous donner une réponse dont je suis navré qu’elle ne puisse être favorable.
J’ai estimé indispensable, en effet, avant que de vous écrire, de réentreprendre une lecture attentive, objective, profonde, des œuvres de Paul Claudel, dans la mesure où elles concernent le judaïsme. Ne m’aviez-vous pas écrit, en effet, que, dans votre esprit, ma présence au sein du Comité d’honneur serait représentative de celle de la communauté juive ? (1) Il me fallait donc faire abstraction de l’admiration que je porte au poète, de l’envoûtement que son Verbe exerce sur moi, pour mesurer et apprécier le malaise qu’avaient provoqué en moi certaines pages consacrées au judaïsme. Je les ai relues – elles ont confirmé mon impression première, en laquelle je suis bien obligé de reconnaître une réaction spontanée de ce qu’il y a d’intimement et d’ineffaçablement juif en ma personne. En particulier les pages d’Une Voix sur Israël, qui me sont destinées, n’est-ce pas ? et qui représentent le message le plus immédiat que Claudel entendait confier aux Juifs, me blessent douloureusement, par leur ton, par leur expression, par le manque radical de sympathie et d’amour qu’elles manifestent à mon égard. Ne voyez pas, je vous en supplie, dans mon refus aucun sectarisme. Vous me connaissez suffisamment, je crois, pour savoir combien je souhaite la communication des consciences et la communion de ceux qui œuvrent au service de l’Esprit. Mais comment puis-je, en adhérant à ce Comité d’honneur, indiquer par mon adhésion même que le judaïsme souhaite la diffusion de certaines pages, dont une conscience juive ne peut que regretter qu’elles aient été rédigées et publiées ?
Vous voudrez bien, chère Madame, assurer MM. Stanislas Fumet et Pierre Moreau (2) de mes regrets et de mes sentiments de vive et fidèle sympathie, et croire pour vous-même à ma gratitude et à mes pensées très dévouées.
© : A . S . I . J . A. |