29. au Professeur Harold FISCH, Université Bar-Ilan (Israël)

Harold Fisch, installé depuis 1958 en Israël, y est professeur à l’Université Bar-Ilan, université "religieuse" fondée en 1955 sous l’égide du Mizra'hi (parti national religieux). Le Docteur Touvia Bar-Ilan, de l’illustre famille Berlin-Bar-Ilan, en est l’un des dirigeants. Harold Fisch souhaite beaucoup qu’André Neher puisse enseigner dans cette jeune université. André Neher décline son offre et s’en explique dans la lettre ci-dessous.


Strasbourg, le 5 avril 1959

Mon cher Harold Fisch,


Vous allez comprendre immédiatement pourquoi j’ai mis si longtemps à répondre à votre aimable et très sympathique lettre du 8 décembre : j’ai été frappé, en août dernier, par un deuil très cruel. Ma sœur aînée, Madame Suzel Revel, est décédée subitement, à l’âge de 50 ans. Je ne puis vous dire ce que cette perte – et ses circonstances – représente pour nous, pour ma mère, qui est constamment à mon foyer. Ma sœur occupait une place exceptionnelle, rayonnante, dans notre famille et dans toute la Communauté. Ce deuil a été – et est encore pour nous – un de ces grands tournants dans l’existence, qui bouleversent tous les projets et donnent – lentement, péniblement, mais avec une force contraignante – une nouvelle orientation à la vie.


Dans l’immédiat (outre que tout mon courrier a subi un long retard et que je ne me suis remis que très lentement au rythme régulier du travail), les projets de voyages lointains doivent être tous remis. Je ne crois pas pouvoir quitter ma mère pour longtemps dans les deux ou trois années à venir. Il ne saurait être, par conséquent, question d’accepter votre offre de venir à Bar-Ilan comme Visiting-Professor dès octobre prochain. Je suis très sensible, croyez-le bien, à votre amicale insistance – à celle aussi du Dr Touvia Bar-Ilan – et je vous en remercie de tout cœur. Mais, quoique je sente très profondément que le deuil récent m’oriente plus intensément encore vers Israël, je suis obligé de considérer ma prochaine tranche de vie dans le cadre de la Gola, en espérant pouvoir réaliser plus tard – en un climat moral différent et renouvelé – notre alya.


Je voudrais néanmoins répondre au fond de votre lettre. Tout ce que j’essaierai de vous dire reste très théorique, évidemment, mais votre lettre – celle aussi du Dr Bar-Ilan – mérite que je m’efforce de me faire comprendre, ce qui n’est pas facile, car nous avons, en France, une expérience du problème religieux assez différente de celle d’Israël et des pays anglo-saxons, et je crains que souvent nous ne parlions pas le même langage (même si nous nous exprimons en ivrit !).


Tout ce que vous me dites du climat moral et psychologique de l’Université Bar-Ilan me rassure dans une mesure grande, mais pas encore absolue. Je suis trop habitué, en effet, à trouver au sein de l’Université française (laïque par définition), dont je suis un membre tout à fait normal, avec des droits et des devoirs équivalents à ceux de n’importe lequel de mes collègues, je suis trop habitué, dis-je, à avoir trouvé dans cette Université un terrain d’action et de pensée juives authentiquement et traditionnellement religieuses, pour que je puisse envisager la nécessité d’enseigner, en Israël, dans une Université "religieuse", alors que l’Université "laïque" (celle de Jérusalem) existe et, je le crois, serait susceptible de m’accueillir un jour.


Il y a aussi ma conception générale de la tradition religieuse juive, dont je suis persuadé qu’elle doit s’exercer au sein du peuple juif, quel qu’il soit. "Religieux" n’ajoute rien, à mon avis, comme épithète au judaïsme. Je suis Juif, et ma manière d’être religieux est juive (et non pas l’inverse : je suis religieux, et ma manière d’être juif est religieuse !).


Nous aurons, je le souhaite, des occasions de reprendre tous ces problèmes qui, pour l’instant, je le répète, sont très théoriques pour moi.


Merci, en tout cas, et très sincèrement, à vous-même et au Dr Bar-Ilan, de me donner l’occasion d’y réfléchir.

Merci également de votre compte-rendu sur mon Moïse.

J’ai bien reçu votre The Dual Image et je le lirai ces jours-ci avec le plus vif intérêt. Tous les problèmes littéraires du judaïsme moderne m’intéressent beaucoup.


Ma femme et moi-même nous vous assurons, avec Madame Fisch, de nos sentiments les plus amicaux et les plus sympathiques.


André Neher

Lexique :

© : A . S . I . J . A.  judaisme alsacien