Après la parution de son livre Jérémie en février 1960, André Neher a reçu un grand nombre de réactions, dont une de son ami Georges Hertz de Strasbourg, critique littéraire occasionnel dans des journaux juifs. Georges Hertz (1) n’apprécie pas les néologismes ou le style parfois "trop personnel" d’André Neher. Au nom de leur amitié, il lui a adressé de nombreuses remarques, auxquelles André Neher répond dans la lettre ci-dessous.
Cher Monsieur,
Le style de Jérémie. Un père jésuite me félicite des néologismes suggestifs ; une lectrice juive trouve mon style parfois irritant ; Siegfried Van Praag (2) écrit que, pour la première fois, un Juif orthodoxe sait couler sa pensée dans une esthétique… En ajoutant à cela vos propres critiques, comment m’y reconnaître ?
Voici comment :
En restant fidèle à ma manière d’écrire. Elle est mienne d’abord, en ce sens que je ne peux renoncer à ce qu’il y a de théologico-philosophique en moi, et il me faut assumer les risques que comporte cette conformation d’esprit, choisie et acceptée en âme et conscience. Elle est manière ensuite, ce qui veut dire qu’en un certain sens, elle est "manie", me vient du dehors, empoigne mon inspiration, l’infléchit vers des formes et des expressions qu’elle se crée elle-même.
Je vous assure que l’expérience d’écrire est tellement enivrante, et harassante aussi, que pour le prix de joie et de douleur que l’on en paie, on ne voudrait pour rien au monde la retoucher après coup. Vous parlez d’intoxication. Je dis : ivresse. Voulez-vous que je demande à Françoise Sagan ou à Littré d’exorciser l’Esprit qui m’habite en quelques instants trop rares, mais trop précieux pour que je ne leur demande autre chose que d’être les humbles réceptacles de ce pourquoi et pour quoi je crois avoir, à tort ou à raison, vocation d’écrire !
Vous ne le souhaitez pas, j’en suis sûr, et me conservez votre amicale et stimulante sympathie.
© : A . S . I . J . A. |